"Si un projet est jugé illégal, les juges doivent s'y tenir" : l'autoroute A69 à l'épreuve du droit et de l'intérêt public

Le tribunal administratif de Toulouse rendra lundi 9 décembre 2024 sa décision sur l'avenir de l'autoroute A69 reliant Toulouse (Haute-Garonne) à Castres (Tarn). Après la recommandation surprise de la rapporteure publique d'annuler les autorisations du chantier, le projet se trouve à la croisée des chemins. Julien Betaille, Maître de conférences en droit public à l’Université Toulouse Capitole, nous explique les enjeux de ce dossier.

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La justice administrative doit rendre lundi 9 décembre 2024, une décision cruciale concernant l'avenir de l'autoroute A69 reliant Toulouse à Castres. Le 25 novembre, la rapporteure publique Mona Rousseau a recommandé l'annulation des autorisations du chantier, estimant qu'il n'y avait pas de "raison impérative d'intérêt public majeur" justifiant sa construction. Cette position a été saluée par les opposants écologistes, mais a inquiété les partisans du projet, dont le chantier est déjà avancé avec 300 millions d'euros investis sur un budget total de 450 millions. La décision du tribunal, attendue lundi, pourrait soit stopper les travaux, soit autoriser leur poursuite, avec des conséquences importantes pour le développement économique du sud du Tarn et l'environnement. Julien Betaille, Maître de conférences en droit public à l’Université Toulouse Capitole décrypte les enjeux juridiques de ce dossier.

France 3 : Comment percevez-vous l’audience sur le fond qui s’est tenue devant le tribunal administratif de Toulouse concernant les demandes d’annulation du projet de l’A69?
Julien Betaille : Sur le principe, cela reste assez banal. La plupart des projets de cette nature sont sujets à des recours en justice. Ce n'est pas un phénomène exceptionnel, juste le fonctionnement normal de l'État de droit en démocratie : les citoyens et les associations ont le droit de vérifier que la loi est bien appliquée.
Néanmoins, le contexte de ce projet est effectivement particulier. Il est très médiatisé, notamment en raison des mobilisations sociales et de l'implication des élus locaux. Mais pour moi, en tant que juriste, c’est juste un dossier qui, du point de vue juridique, suit son cours normal.

France 3 : Les référés déposés par les opposants ont été tous rejetés. Pourquoi cela ne préjuge en rien de la procédure au fond ?
Julien Betaille : Le référé est une procédure d'urgence. Il permet d'obtenir une décision rapide, parce que, dans ce type de dossier, la justice met du temps à rendre une décision. Ce délai est dû à la complexité des affaires et à la surcharge des tribunaux. Il y a un vrai problème de moyens de la justice.
Les recours en référé sont souvent déposés pour éviter des atteintes irréversibles à l'environnement. C'est donc une question de réactivité face à des situations urgentes.
Quant à la différence entre référé et jugement sur le fond, cela réside dans la nature des décisions. Le juge des référés se concentre sur l'évidence : si un problème majeur est immédiatement visible, il suspendra la décision administrative. C’est comme s’il y avait un éléphant dans la pièce en quelque sorte. S’il y a une irrégularité évidente, la décision est suspendue. Mais dès que la situation devient complexe, le juge laisse l'exécution continuer et reporte l'examen au fond.

A lire : INFO FRANCE 3. Coup de théâtre : le Rapporteur public rend un avis négatif à propos du chantier de l'A69, l'autoroute controversée Toulouse-Castres


Il y a souvent des questions techniques et scientifiques complexes à résoudre dans des dossiers environnementaux. La raison d'intérêt public majeur est un concept assez compliqué à manier. C’est d’ailleurs sur ce point que le projet de l'A69 risque d'être annulé. Ce qui n'était pas évident en référé est examiné en détail lors de la phase d'examen au fond, c'est ce qui explique ces différences. D’ailleurs si souvenez-vous du dossier Sivens. Il y a eu plein de demandes en référé, elles ont toutes été rejetées. Quand le juge a examiné le dossier sur le fond, il a fini par l’annuler.
Cette distinction, entre le référé et le fond, est difficile à comprendre de l'extérieur ou pour le grand public. Je pense d’ailleurs que pour les élus locaux qui défendent le projet, c'est probablement assez frustrant. Ils peuvent estimer avoir obtenu une décision en référé qui leur était favorable mais en réalité ce n'était pas le cas. Il faut toujours attendre que le dossier soit réellement examiné par le juge, par prudence.
Concernant l’A69, le fait que les travaux aient démarré sans attendre la décision du juge est très étonnant. Soit les conseillers de la société autoroutière ont mal appréhendé le risque juridique, soit c'est la société elle-même qui a absolument voulu lancer les travaux.

France 3 : une "stratégie du fait accompli" ?
Julien Betaille : Oui c'est tout à fait possible. Et cette stratégie n'est malheureusement pas nouvelle. Les aménageurs ont souvent tenté d'avancer les projets, même quand une contestation juridique est en cours. On met tout le monde au pied du mur en disant que « de toute façon on a déjà fait les travaux, les espèces sont déjà détruites, donc il n'y a plus rien à discuter. » C'est une tactique regrettable, car elle risque de mettre en péril l'État de droit. Il y a une forme de brutalité, de mépris à la fois pour le droit et pour la justice. Nous l’avons vu dans beaucoup d'autres projets, dès les années 80 avec le tunnel du Somport, plus récemment avec Sivens ou Beynac.


Concernant les travaux en cours sur l'A69, si la décision du préfet est annulée par le tribunal puis que le préfet reprend la même décision pour permettre la réalisation des travaux contre l'avis de la justice, cela pourrait être considéré comme une violation de la chose jugée. Ce serait très grave de se comporter de cette manière dans un Etat de droit, là aussi une forme de mépris du droit et des juges.

France 3 : Depuis plusieurs jours, les partisans de l’A69 alertent sur les éventuelles conséquences d’un arrêt de ce chantier, aussi bien économiques, en termes d'emploi et d’indemnisation. Est-ce que ces alertes peuvent peser sur la décision des juges administratifs ?  
Julien Betaille : Il y a effectivement une évolution de la jurisprudence du Conseil d'État, depuis plusieurs années, qui demande de plus en plus au juges de prendre en compte l'impact de leurs décisions, notamment dans les dossiers complexes. Je fais partie de ceux qui critiquent cette tendance car je considère que c'est, d'une certaine manière, accepter l'idée que le respect du droit est secondaire.


Mais, de manière générale, il est crucial de rappeler que le respect du droit ne doit jamais être secondaire. Si un projet est jugé illégal, les juges doivent s'y tenir, même si cela entraîne des conséquences économiques. C'est la règle de l'État de droit.

A lire : Autoroute A69 : le groupe Pierre Fabre menace de délocaliser ses activités si le chantier est annulé, les opposants dénoncent un "chantage à l'emploi"

Dans le cas présent, si un juge considère qu'il n'y a pas de raison impérative d'intérêt public majeur pour ce projet, il ne changera pas d'avis simplement parce que des millions ont déjà été investis. Si la décision est annulée, ce sera pour des raisons juridiques solides.
Souvenez-vous de l'affaire du centre commercial Val-Tolosa. L’histoire est identique. Le dossier est monté jusqu’au Conseil d'État qui a maintenu l’annulation.

Pour l’A69, si le tribunal administratif de Toulouse annule le projet, parier sur le fait que la Cour administrative d'appel ou le Conseil d'État vont autoriser l'autoroute, c'est un pari risqué qui n’est pas du tout gagné d’avance.

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