Après les dernières violences mettant en cause des policiers et l'examen de la loi sur la sécurité globale, nous avons interrogé Rémy Alonso, secrétaire départemental Alliance Police Hérault et Bruno Bartocetti, secrétaire national délégué au sud de la France pour le syndicat Unité SGP Police FO.
Des policiers qui tabassent un homme sous l'oeil des caméras de surveillance, une manifestation contre la loi de sécurité globale qui dégénère à Paris entraînant la garde à vue d'un journaliste. Les images choc ont fait le tour des médias et choqué jusqu'au sommet de l'Etat. Nous avons recueilli le sentiment de deux représentants des principaux syndicats policiers.
Rémy Alonso est secrétaire départemental Alliance Police Hérault. Il revient tout d'abord sur le climat général dans la police. "Le moral des troupes n’est pas bon en ce moment. Les policiers subissent des violences, il ne faut pas oublier que tout le monde est humain. On a l’impression que la présomption d'innocence vaut pour tout le monde sauf pour les policiers. Ils ne se sentent pas soutenus."
Epuisés
Il souligne la fatigue accumulée par les policiers depuis deux ans : "Depuis le début des manifestations des Gilets Jaunes en 2018, la police n’a pas eu, ou bien très peu, de repos. Et là, la moindre occasion est sujette à des lynchages ou donne lieu à des enquêtes.Pour moi, il n’y a pas de violences policières s’il n’y a pas de violence en face.
Suivi psychologique quasi inexistant
Le suivi psychologique des policiers serait quasi inexistant. Dans l’Hérault, une seule psychologue est chargée de tourner dans tous les commissariats du département, selon Rémy Alonso. S'exprimant sur l'évacuation violente de réfugiés place de la République à Paris, il continue :"C’est une décision du préfet de police et on doit exécuter les ordres", justifie-t-il. "Le problème, c’est qu’une fois sur place, on juge les actions du policier sur le terrain et pas l’ordre du décisionnaire. Auparavant, lorsqu’ils jugeaient un ordre illégal, les policiers pouvaient choisir de se retirer. Or, maintenant, on doit en référer à notre N+1 : si celui-ci n’est pas d’accord et nous dit d’exécuter cet ordre, on doit en référer à notre N+2 etc., mais nous restons dans tous les cas obligés d’exécuter si aucune décision n’est prise entre temps."Les images de l’évacuation violente des réfugiés place de la République personnellement, ça ne me choque pas. C’est une opération de maintien de l’ordre : donc si on demande aux policiers de dégager ces gens, ils les dégagent.
"On ne va pas défendre l'indéfendable"
À propos de la vidéo du producteur tabassé, le syndicaliste reconnaît que le comportement des policiers était visiblement disproportionné. "On ne va pas défendre l’indéfendable. Et bien sûr que ce genre d’actions nous fait mal : ça nous révolte car ça jette le discrédit sur l’ensemble des policiers. C’est comme l’histoire de la petite fête à l’école de police de Nîmes en pleine crise sanitaire. Comment voulez-vous qu’un policier soit pris au sérieux lorsqu’il contrôle l’attestation d’une personne dans la rue ? On va forcément lui dire : “Et sinon, vos collègues de l’école de police, vous êtes allés les contrôler ?”
Filmer les policiers ou pas
Avoir des caméras embarquées sur les policiers et les voitures est une idée à laquelle un grand nombre de policiers semble adhérer. S'exprimant à son tour à propos de la vidéo du producteur tabassé, Bruno Bartocetti du syndicat Unité SGP Police FO enfonce le clou : "Ce sont des images très dérangeantes. Des policiers qui tabassent un individu, ce ne sont pas nos méthodes de travail."
Quoi qu'il en soit, la réponse de ces policiers est disproportionnée et inexcusable.
Pour le syndicaliste, cet événement est un cas isolé car, dit-il, " notre police est un miroir de la société : nous recrutons des hommes, des femmes, des personnes d’origine maghrébine ou antillaise, des homosexuels… Il y a une intervention de la police toutes les 10 secondes en France aujourd’hui, la majorité d’entre elles se passe très bien."
Faut-il alors arrêter de filmer les policiers ? "Filmer les policiers, ça ne me dérange pas, tant que cela reste justifié".
Rémy Alonso rappelle à ce sujet l'histoire d'un policier de la BAC accusé à tort d'avoir tiré sur un Gilet Jaune au flash ball, et dont le nom et l'adresse avaient circulé sur les réseaux sociaux. Le policier et sa famille, menacés de mort, avaient dû quitter la région. Cette histoire avait relancé le débat sur l'utilisation de l'image des policiers.
À l’époque, le sénateur de l'Hérault Jean-Pierre Grand s’était emparé du dossier et avait voulu faire punir la diffusion de l’image des forces de l’ordre. Bruno Bartocetti ajoute :"Il faut savoir qu’on est filmé très régulièrement, dans toutes les villes. Et ce n’est pas ça qu’on refuse."
Le problème n’est pas tant dans le fait de filmer mais dans l’exploitation de ces vidéos. On demande simplement à ce qu’il n’y ait pas de lynchage gratuit.
"Un grouffre entre la théorie et la pratique"
Faut-il réformer la formation des policiers ? "À l’école de police, il y a des cours sur le racisme et sur la manière de gérer les débordements en tout genre. Mais quand on arrive pour la première fois sur le terrain, il y a un gouffre entre ce qu’on a appris et la réalité", rappelle le syndicaliste Rémy Alonso, qui admet que le nombre de stages est certainement insuffisant.
À mon époque, les policiers devaient avoir plus de 12 de moyenne au concours pour être recrutés. Aujourd’hui, vu que les candidats sont moins nombreux, on recrute en dessous de la moyenne. On fait bien moins le tri.
Les policiers sont formés tout au long de leur carrière, parfois même à l’étranger, et notre formation est exemplaire, propre et professionnelle. La différence avec ce qu'il se passait auparavant au niveau du recrutement, c'est que le métier de policier ne fait plus rêver personne.
Le problème du recrutement
Au moment du recrutement, les futurs policiers étaient soumis à une enquête des Renseignements généraux, rappellent les deux syndicalistes. "Il y avait une enquête de moralité auprès de leurs familles, de leurs voisins, et de leur entourage en général, ce qui n'existe presque plus aujourd'hui. Il n’est d’ailleurs pas rare que certains élèves policiers soient exclus de l’école après leur recrutement car on découvre qu’ils sont sous un mandat de la justice", ajoute Rémy Alonso.
Des propos que Bruno Bartocett nuance. "Les enquêtes de moralité existent toujours, mais elles demandent beaucoup d’effectifs pour être réalisées optimalement. Alors oui, on en fait mais parfois avec un peu moins de précision qu’auparavant."
Lorsque l’on auditionne un candidat à l’école de police à l’oral, on a souvent une demi-heure pour savoir s’il est apte ou pas à exercer ce métier. Alors forcément, il peut y avoir des ratés. Depuis 2012, nous avons énormément recruté et bien sûr, nous avons sûrement recruté des gens qui ne devaient pas être recrutés.
L'IGPN
"S’il y a un souci, aucun policier ne passe entre les mailles du filet, il passe automatiquement en conseil de discipline. On est la profession la plus contrôlée de France. Et l’IGPN a tendance à monter des enquêtes à charge", assure Rémy Alonso qui conclut en pensant qu'il faut respecter la présomption d'innocence des policiers.
Bruno Bartocetti, qui siège au conseil de discipline depuis bientôt 20 ans, affirme que les policiers ne protègent pas les voyous : "Nous ne laissons pas dans nos rangs des gens violents." Comme son collègue du syndicat Alliance, il a le sentiment que les enquêtes de l’IGPN sont souvent à charge. "On a presque 120 000 policiers en France et il est possible pour n’importe quel citoyen de faire une requête auprès de l’IGPN s’il se sent lésé. Et ce qui est important à retenir, c’est que l’IGPN ne fait aucun cadeau."
Flics et citoyens côte à côte
Y a-t-il un fossé entre la population et la police aujourd’hui ? "Je ne pense pas qu’il y ait un fossé. C’est une minorité de voyous qui s’en prend aux policiers, je ne pense pas que ce soit représentatif de l’ensemble de la population. Rappelez-vous : en 2015, c’était les mêmes flics et les mêmes citoyens qui s’étaient réunis après les attentats. Généralement, tout se passe bien lors des manifestations publiques. Là où les problèmes commencent, c’est lorsque des voyous et des casseurs arrivent", conclut Bruno Bartocetti.
Les 7 péchés capitaux de Gérald Darmanin
Ce lundi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a présenté devant la commission des lois de l'Assemblée nationale ses propositions de réforme de la police pour tenter de répondre à la crise provoquée par une multiplication des violences policières.
Les propositions du ministre de l'Intérieur répondent à la demande du président Emmanuel Macron vendredi de lui "faire rapidement" des suggestions pour "réaffirmer le lien de confiance qui doit naturellement exister entre les Français et ceux qui les protègent et pour lutter plus efficacement contre toutes les discriminations". Il les a présentées comme les 7 péchés capitaux.
En premier lieu, "la formation initiale" qui doit être "plus importante". Pour recruter plus de personnel, après les attentats de 2015, la formation initiale (période de scolarité en école de police) avait été ramenée de 12 à 8 mois. Le ministre a également insisté sur l'importance de la formation tout au long de la vie. "Nous devons" aux policiers "plus d'heures de formation", a également dit Gérald Darmanin. Il répond ainsi aux réprésentants syndicaux.
Comme pour l'encadrement : "Une des difficultés est qu'il n'y a pas assez de chefs, de sous-chefs présents dans la rue (...) il faut recréer un corps intermédiaire d'encadrement sur le terrain. (...) Être sur le terrain est la plus noble des fonctions".