Une étude lyonnaise publiée dans une revue scientifique le 2 janvier estime que près de 17 000 morts au début de la pandémie de Covid-19 sont liés au traitement par l'hydroxychloroquine, promu par le professeur Didier Raoult.
Traitement méconnu, utilisé principalement pour le paludisme, l'hydroxychloroquine est devenue célèbre avec la médiatisation du traitement promu par le professeur Raoult, à l'IHU de Marseille, dès le début de la crise du Covid-19 en France en 2020, en dehors de toute autorisation des autorités sanitaires. Une étude publiée le mardi 2 janvier dans la revue scientifique "Biomédecine et Pharmacotherapy" estime à près de 17 000 le nombre de décès liés à cette molécule lors de la première vaque du coronavirus dans six pays. Cette étude a été menée par une équipe de chercheurs sous la direction du Pr Jean-Christophe Lega, professeur de thérapeutique aux Hospices Civils de Lyon. En France, ces chercheurs estiment que la molécule controversée a tué entre 115 et 293 patients, soit 1% des décès dus au Covid-19 lui-même sur la période. France 3 Provence-Alpes répond à quatre questions sur cette nouvelle étude.
Que révèle cette étude ?
Selon cette étude, 16 990 décès ont été enregistrés dans six pays, pendant la première vague de Covid-19, entre mars et juillet 2020. Les scientifiques ont analysé sur cette période la surmortalité chez les patients traités à l'hydroxychloroquine en France, aux Etats-Unis, en Belgique, en Italie, en Espagne et en Turquie, en se basant sur le nombre de patients Covid hospitalisés, leur taux de mortalité et le taux de prescription de l’hydroxychloroquine. Ils en ont extrapolé cette estimation de près de 17.000 décès qui se répartissent très inégalement. Ils comptent 95 morts en Turquie, à 199 en France, 240 en Belgique, 1 822 en Italie, 1 895 en Espagne et 12 739 aux Etats-Unis.
"Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il s’agit d’une estimation grossière, dans le sens ou elle ne concerne que quelques pays pendant une courte période et que le nombre total de morts est probablement bien plus grand", a souligné le Jean-Christophe Lega, coauteur de l’étude.
"Cela confirme que les patients souffrant d'un Covid et qui reçoivent ce médicament ont plus de risque de mourir que ceux qui ne le reçoivent pas", a estimé l'épidémiologiste Pierre Tatevin, chef du service des Maladies infectieuses du CHU de Rennes, invité le mercredi 3 décembre sur l'antenne de France Inter. Le spécialiste explique que la molécule, "quand c'est mal dosé, donné à trop forte dose ou sur des cœurs fragiles peut donner des troubles du rythme cardiaque" et que "donner un traitement inutile et potentiellement toxique à des patients déjà fragile est quelque chose de dangereux".
Quelles sont les limites de cette étude ?
L'étude porte sur six pays, mais elle n'inclut pas l'Inde et le Brésil, deux pays très importants prescripteurs d'hydroxychloroquine. Par ailleurs, ces chiffres ne représentent que "la partie émergée de l'iceberg", selon le Pr Mathieu Molimard, chef du service pharmacologie du CHU de Bordeaux, qui n'a pas participé à l'étude. Il a déclaré sur BFMTV : "Depuis mars 2020, on sait que l'hydroxychloroquine n'est pas efficace. Sur les premiers mois de traitement, on a eu huit arrêts cardiaques déclarés. Ce chiffre de 17.000 morts est sans doute très sous-estimé".
La prescription de l'hydroxychloroquine étant différente et le taux de prescription très variable d'un pays à l'autre (de 2 à 92%), les auteurs reconnaissent des "imprécisions" qui posent des limites aux conclusions de leur étude, tout en assurant néanmoins que leurs résultats "illustrent le risque de réorienter des médicaments avec des preuves de faible niveau"."Les relecteurs n’ont pas remis en cause notre méthode et confirmé que nous avions été extrêmement prudents dans nos estimations, a indiqué le Pr Jean-Christophe Lega, coauteur de l’étude à L'Express, notre certitude concernant la mortalité hospitalière est extrêmement forte".
Cette étude est-elle nouvelle ?
Les résultats préliminaires de cette étude du CHU de Lyon ont été présentés une première fois lors du congrès de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) en 2022 puis en juin 2023.
D'après une étude présentée au congrès de la @SFPT_fr, la prise d'hydroxychloroquine aurait causé au moins 9 500 décès dans le monde lors de la 1ere vague de #Covid.
— Nicolas Berrod (@nicolasberrod) June 22, 2022
Une version provisoire consultée par @le_Parisien présente un bilan de... 16 274. ⤵️
1/4 https://t.co/xSZYz1xzMl
La première version de l'étude avait comptabilisé environ 9.500 décès de patients du Covid-19 attribuables à l'hydroxychloroquine, dans huit pays où cette mortalité était estimable. Un nombre ramené à près 17 000 après réajustement.
Pour le professeur Pierre Didier Tattevin, président de la société de pathologie infectieuse, cette étude vient confirmer ce que d'autres études avaient montré dès le début de la pandémie. "Qu’on ait essayé ça au début ce n’est pas du tout critiquable, ça faisait partie des pistes, a-t-il déclaré à France 3 Provence-Alpes, ce qui est critiquable, c’est qu’on ait maintenu l’utilisation et la promotion du produit alors qu’au bout de trois mois, on avait déjà des études pour dire que ça n’apportait rien, et quelques mois plus tard des études complémentaires plus larges, qui montraient qu’en plus les gens qui l’avaient reçu avaient un risque de surmortalité de 11%".
Que répond le professeur Didier Raoult ?
Le nom de l'hydroxychloroquine est depuis plus de trois ans associé étroitement à celui de l'ancien directeur de l'Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) de Marseille. Interrogé ce jeudi 4 décembre par André Bercoff sur Sud Radio, Didier Raoult persiste et signe. "L’hydroxychloroquine est le traitement qui a été le plus prescrit au monde, a-t-il réagi.
Le professeur marseillais défend la validité de ses propres données collectées à l'IHU, sur la totalité des patients qui y ont été pris en charge. "Les gens qui ont reçu l'hydroxychloroquine ont un taux de mortalité cinq fois inférieur à ceux qui n'en ont pas reçu et le taux de mortalité des patients hospitalisés, parce qu'oxygénodépendants, est de 7%, ce qui est la plus basse du monde".