Attaques du loup : "Je me remettrai à travailler quand les gens seront moins cons" en Bourgogne, les éleveurs à bout

Depuis deux ans, le loup fait son retour en Bourgogne. L'an dernier, il a causé la mort de 400 brebis, notamment en Saône-et-Loire. C'est 10 fois moins qu'en Auvergne-Rhone-Alpes. Mais dans une région où il avait disparu, ce retour est un choc. Certains éleveurs renoncent à leur métier. 

D’ici quelques semaines, Hubert Mony va se séparer de près de la moitié de son troupeau de brebis. Eleveur à Francheville en Côte d’Or, il a décidé de vendre 200 de ses 500 bêtes. Le 26 janvier dernier, son fils de 23 ans, lui aussi éleveur, a perdu 6 brebis après une attaque attribuée au loup. Deux jours plus tard, 2 autres sont retrouvées égorgées, une troisième disparue. Un traumatisme pour cette famille d'éleveurs.

"Mon fils voulait tout arrêter après l’attaque. C’est moi qui ai fait la moitié de son agnelage, il n’était plus motivé du tout" raconte Hubert Mony. Si aujourd’hui, "il a repris un peu moral", c’est son père, Hubert, qui a pris une décision radicale.

"Ça fait 10 ans que je me dis un jour ou l'autre, ça va arriver" explique Hubert Mony. "Je n'ai pas l'intention de nourrir le loup avec mes brebis. Ça prend du temps et de l'argent. C’est une histoire de passion. Je ne veux pas sacrifier des super brebis pour le loup." En juin, une partie importante de son cheptel sera vendue. 

« Ce n’est pas ce métier-là que je veux faire »

L’éleveur veut garder "uniquement le nombre de brebis que [je suis] capable de protéger". Il a installé des clôtures électrifiées d’1 mètre 50 sur quelques parcelles. Un mois de travail pour tenter de sécuriser 25 hectares ! Il renoncera au reste de son exploitation en espérant retrouver un peu de sérénité. "Il y a deux semaines, à 30 km, des gens ont dit avoir vu le loup. A chaque fois que l’on nous dit un truc comme ça, matin et soir on va voir les brebis. On prend le fusil. Ce n’est pas une vie ça ! Ce n'est pas ce métier-là que je veux faire !"

Je suis dégouté de faire ce métier-là. C'est un métier qui ne m'intéresse plus.

Hubert Mony, éleveur de brebis à Francheville (Côte d'Or)

Pour les éleveurs, les revenus sont loin d'être toujours au rendez-vous. Et les journées ne cessent de s'allonger. L’arrivée du loup en Côte d’Or ces dernières années, c’est "la goutte d’eau qui fait déborder le vase" selon Hubert Mony. "On nous demande de travailler 10 heures par jours à l'agnelage pour faire des mises bas. On nous demande ensuite de chasser le loup la nuit, de le surveiller quand on a l'autorisation de tirs de défense. On nous demande de clôturer nos moutons. Il n'y a aucune profession qui est capable d'accepter ça en France aujourd'hui !" A 52 ans, avec un cheptel réduit de 40 %, Hubert Mony ne renonce pas totalement à son métier et à sa passion de la sélection génétique. Mais il dit vouloir continuer "en roue libre".

 

Des éleveurs découragés

L’inquiétude, la colère puis le découragement. Le phénomène n’est pas isolé parmi les éleveurs bourguignons selon Pascal Chaponneau. Il est président de l’OS (Organisme de sélection) du mouton Charollais. "On est complètement découragés. On se bat depuis le mois d'août l'année dernière et personne ne nous comprend." Car avant deux attaques importantes en Côte d’Or début 2021, ce sont les élevages de Saône-et-Loire qui ont vécu avec l’angoisse du loup. Sur l’ensemble de l’année 2020 dans le département, 215 brebis ont été tuées, "la responsabilité du loup n’ayant pas pu être écartée" selon un décompte officiel. C'est cette responsabilité non-écartée qui détermine l'indemnisation des éleveurs. La Saône-et-Loire regroupe près de la moitié de l'ensemble des attaques comptabilisées sur la région Bourgogne-Franche-Comté. Dans le département, un loup a finalement été abattu le 13 novembre 2020.

Mais ces dernières semaines, l’inquiétude a ressurgi dans le sud du département après la découverte de plusieurs brebis mortes sur la commune de Vineuse-sur-Frégande. "On est tous un peu dépité de ce qu’il se passe. On ne sait plus trop quoi faire. On se dit que peut-être on va arrêter tout simplement, parce que personne ne nous entend, personne ne nous écoute donc à quoi bon ?" s’interroge Pascal Chaponneau. Selon lui, plusieurs jeunes qui se destinaient à l'élevage de brebis on déja renoncé à s'installer.

"On a beau se battre, personne ne nous écoute. Plusieurs éleveurs poseront les armes. On laissera place au loup et on vendra les moutons."

Pascal Chaponneau, président de l'OS mouton Charollais

 

Le loup dans toutes les têtes

"Suite à l'épisode de l'année dernière, tout le monde est traumatisé. On sent qu'il y a un stress dans la campagne. Dès que l'on a une brebis qui est blessée, on y pense" constate Alexandre Saunier, éleveur et président de la « section ovine » à la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire.

Face aux attaques de loup, le plan loup défini par le gouvernement prévoit plusieurs réponses. "Aujourd'hui, on dispose d'outils dans le plan loup qui ne sont pas satisfaisants et qui demandent à être améliorés" explique l’éleveur. Mais ces outils restent indispensables selon lui. "Je ne dis pas que c’est parfait. Malgré tout, on n’a pas d’autre choix que d’essayer de protéger au mieux nos animaux – je dis bien au mieux". Parmi ces outils, les chiens de protection, la pose de filets électriques ou de clôtures électriques à 4 fils. Le représentant de la FDSEA reconnait néanmoins qu’un "travail de fond" est nécessaire pour aller plus loin.  

Pas de quoi convaincre tous les éleveurs

"On a déjà du boulot largement pour nous occuper. Tendre des filets dans tous les sens, les animaux, ça ne leur plait pas. Et on sait pertinemment que le loup, quand il veut attaquer, il saute le filet et il attaque" s’agace Pascal Chaponneau qui estime que le plan loup permet uniquement de "dépenser de l'argent public à poser des filets qui ne servent à rien".

S’il défend l’utilité de ces outils sur certains territoires, "on ne peut pas protéger l’ensemble de nos troupeaux" admet Alexandre Saunier. Les aménagements de protection nécessitent des investissements, de l'entretien, un terrain favorable mais aussi du temps. Pour certains éleveurs, l’ampleur de la tâche peut paraitre démesurée pour un résultat non garanti. "L'installation d'une clôture, pour une parcelle de 5 hectares, on est sur au moins 30 heures de main d'œuvre. Sur mon exploitation, il y a 125 hectares. Et je suis tout seul pour m'occuper des brebis." 

Les éleveurs demandent donc la création de zones considérées comme « non protégeables ». Sur ces zones d'exclusion, des tirs de prélèvements pourraient être faits, dès la première attaque. "Là où on n'a plus le budget, plus le temps, plus l'argent et que l'on ne peut pas installer ces moyens, ces zones que l'on considère comme non protégeables, [permettraient] de pouvoir bénéficier de dérogations pour effectuer des tirs si le loup vient à attaquer des troupeaux" détaille le représentant de la profession. Pour l'instant, cette demande des éleveurs n'a pas trouvé d'écho. Mais avec la PAC ou les pesticides, la Loup s'est ajouté ces derniers mois à la colère des agriculteurs en Bourgogne Franche-Comté, comme le 6 avril dernier à Dijon. Un mois plus tôt, des carcasses de brebis étaient déposées devant la préfecture de Côte. C'était aussi le cas en septembre 2020 devant la sous-préfecture de Charolles. 

"C’est le travail des éleveurs que l'on vient saccager pour une raison complètement illégitime, parce que dans des bureaux à Paris, 3 personnes qui ne connaissent rien à ce que l'on fait jugent que c'est bien d'avoir des loups dans la campagne. C'est complètement injuste."

Alexandre Saunier, Président de la section ovine - Chambre d'agriculture de Saône-et-Loire

 

Le loup et une "société hors sol"

Dans l’attente de solutions à long terme, chaque brebis découverte sans vie attise l’exaspération des éleveurs. A 52 ans, si Hubert Mony, vend une partie de son cheptel, c’est à cause des attaques de loup. C’est aussi en raison d’un climat plus général. "On n'arrête pas de se remettre en question par rapport à l'environnement, par rapport à la pollution, affirme-t-il. Y'a pas de problème, les paysans, on s'est toujours adaptés, on s'est toujours remis en question. Mais là c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase." Désabusé, l’éleveur de Côte d’Or pointe du doigt les critiques récurrentes contre l’élevage. "Les citadins veulent le loup alors qu'ils vivent en centre-ville. Ces gens-là, je les aime bien, mais ils sont incapables de se passer d'internet, de la 4G, du tout à l'égout. Et nous, il faudrait que l'on vive comme au Moyen-Age ? Il y a quelque chose qui ne va pas."

Moins virulent, Alexandre Saunier ne dit, sur le fond, pas autre chose. "Ce n’est la faute de personne, mais les sécheresses cumulées, les cours de nos produits qui ne sont pas à la hauteur, les attaques sociétales… Quand vous avez tout ça dans la même semaine et que le dernier jour, un loup qui vient bouffer vos brebis, ça démoralise plusieurs éleveurs." Adhérent à la FDSEA, le syndicat majoritaire, l'éleveur relie les attaques du loup aux "attaques sociétales". Sous cette expression, le syndicat majoritaire désigne les critiques régulières faites contre le modèle agricole français. Derrière le loup, c'est le rapport entre producteurs et consommateurs est déchiré.

En attendant de vendre définitivement 200 de ses brebis à un jeune éleveur dans quelques semaines, Hubert Mony conclut sans nuance, à l'image de la colère froide d'une partie de la profession : "On a affaire aujourd'hui à une société qui est hors-sol, qui ne comprend plus rien à rien. Je me remettrai à bosser quand les gens seront moins cons."

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