Affaire du château de La Rochepot : "Personne ne s'en soucie, personne ne veut rien faire pour sauver le site"

Alors que l'ex-propriétaire du château est toujours en prison dans l'attente de son procès en appel, l'édifice resté à l'abandon continue de se dégrader. France 3 Bourgogne est retourné sur place.

Sa façade impressionnante domine le village de La Rochepot, 300 habitants, non loin de Beaune et des falaises de Saint-Romain. Mais depuis 2018, ce château néo-gothique qui attirait 30 000 touristes par an est à l'abandon, vidé de son précieux mobilier, pris dans une procédure judiciaire qui semble sans fin.

Le procès en appel est reporté à fin novembre

Ce lundi 23 octobre devait se tenir le procès en appel du propriétaire du château de La Rochepot, l'Ukrainien Dmitri Malinovsky. Il avait été condamné, en octobre 2022, à 4 ans et demi de prison ferme et 100 000 euros d'amende. La nouvelle audience s'est ouverte ce matin à Nancy, mais elle a été reportée car les avocats de l'ex-compagne de Malinovsky, elle aussi condamnée, ont déposé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité). La cour d'appel décidera le 29 novembre si elle transmet ou non la QPC à la Cour de cassation, indique l'AFP ce lundi après-midi.

En attendant, le château de La Rochepot se dégrade lentement, à la merci des intempéries, victime d'un manque d'entretien. Dans le village pourtant, certains tentent de lutter contre les ravages du temps. Ce lundi 23 octobre, alors que notre équipe se rendait sur place, nous avons rencontré Guy, agriculteur, occupé à débroussailler les abords du château. 

"Est-ce qu'il faudrait faire venir Stéphane Bern, ou un ministre, pour que l'histoire s'accélère ?"

"Moi, j'y passe tous les jours, je regarde s'il n'y a pas de dégradations, j'essaie d'enlever les détritus que les gens laissent, tout le bois mort qui tombe... On en ramasse des morceaux tous les jours, il y a un entretien énorme à faire."

"Aujourd'hui, ça se dégrade de jour en jour."

Guy

agriculteur à La Rochepot

Guy est dépité devant l'état du château. "Ça me désole de voir les portes fermées, des arbres et du lierre qui poussent sur les murs. C'est un crève-coeur pour nous. Rien que pour les gens qui l'ont bâti, laisser un bâtiment pareil porte close, ça me choque. Ça a demandé des années de construction", déplore l'agriculteur.

Son fils, Jérémy Fouquerand, conseiller municipal à La Rochepot, est tout aussi attristé.

"Personne ne s'en soucie, personne ne veut rien faire et prendre l'initiative de sauver ce site. Là, il est voué à l'échec, à l'abandon, et on ne voit pas le bout du tunnel."

Jérémy Fouquerand

conseiller municipal de La Rochepot

Le conseiller municipal, comme les autres habitants, espère que volet judiciaire se referme, pour aller de l'avant. Il regrette aussi l'inaction des pouvoirs publics. "Est-ce qu'il faudrait faire venir Stéphane Bern, ou un ministre, pour que l'histoire s'accélère, et qu'on retrouve un sentiment d'exister ?" s'interroge Jérémy Fouquerand.

Ceux qui ressentent le plus de peine, ce sont peut-être les anciens du village de La Rochepot. Comme Lucienne, qui a encore de nombreux souvenirs du château. "Ce château, c'est notre château", relate la retraitée. 

"Nos premières Saint-Vincent, on les a faites ici ! En janvier, monsieur et madame Carnot nous prêtaient gentiment la salle à manger. On faisait venir un restaurateur de Nolay et on servait le banquet des vignerons."

Lucienne

habitante de longue date à La Rochepot

Lucienne se rappelle de l'âge d'or du château : "Tout le secteur en bénéficiait. C'était le troisième monument le plus visité après les hospices de Beaune et l'abbaye de Fontenay ! Aujourd'hui, malheureusement, c'est vide. J'espère de tout mon coeur qu'il se trouvera bientôt une solution, que quelqu'un puisse reprendre ce château en main et qu'il soit rouvert à la visite."

Le château de La Rochepot : un feuilleton de plus de 10 ans

2012 : château à vendre

En 2012, le château est mis en vente. Cet édifice avait été acheté en 1893 par Cécile Carnot, l'épouse du président de la République Marie-François Sadi Carnot. Elle l'avait offert à son fils, colonel, qui avait entrepris la vaste reconstruction du château alors en ruine. En 2012, ce joyau de la Bourgogne viticole se visite encore, et attire 30 000 visiteurs par an.

2014 : classé monument historique

En 2014, le château de La Rochepot est toujours en vente, mais obtient son classement au titre des monuments historiques, ce qui le protège davantage. Dans ce reportage tourné à l'époque par France 3, vous découvrez l'intérieur et le mobilier du majestueux édifice.

2016 : le rachat

En 2016, le château finit par trouver preneur pour environ 3 millions d'euros. À l'époque, l'identité exacte des acheteurs est floue : on les dit ukrainiens, lituaniens... Cependant, on sait que les propriétaires souhaitent laisser le lieu ouvert aux visiteurs, au plus grand soulagement des habitants de la commune. 

2017 : la nouvelle vie du château

Des événements sont organisés au sein du château, comme les Médiévales en 2017. Elles attirent 1500 visiteurs sur le week-end. L'occasion, là aussi, pour les amateurs de découvrir l'intérieur du bâtiment.

2018 : le choc

Le 5 octobre 2018, les gendarmes arrêtent le propriétaire du château, l'Ukrainien Dmitri Malinovsky, et saisissent plus de 4,6 millions d'euros de biens : le château, mais aussi une Rolls-Royce Phantom de collection, des oeuvres signées Salvador Dali...

L'opération est menée avec le soutien d'Europol. Trois complices suspectés, un homme et deux femmes, sont également arrêtés. Il s'avère que Dmitri Malinovsky était recherché en Ukraine, suspecté de nombreuses fraudes et de blanchiment d'argent. 

Les jours passant, on en apprend davantage sur le sulfureux châtelain ukrainien, qualifié de "fugitif de haut rang" par Europol. Il est suspecté d'avoir, en Ukraine, volé "plus de 12 millions d'euros appartenant à une compagnie privée" en février-mars 2015.

L'enquête démontre aussi que Dmitri Malinovsky s'était fait passer pour mort en Ukraine, échappant ainsi aux autorités de son pays. Mais les enquêteurs finissent par retrouver sa trace, après des investigations débutées en janvier 2018 autour de l'acquisition du château. Elles se penchent sur des transactions douteuses liées à l'achat du bâtiment, par une société luxembourgeoise derrière laquelle se trouve en réalité Dmitri Malinovsky. Les enquêteurs français et ceux d'Europol se rendent alors compte que l'Ukrainien est bien vivant, et mène la belle vie en Bourgogne.

2021 : une douloureuse vente aux enchères

Les choses stagnent pendant trois ans, mais en octobre 2021, un nouveau coup dur s'abat sur les habitants de La Rochepot : ils apprennent que le mobilier du château va être mis en vente. Une pétition en ligne qui s'oppose à cette vente récolte plusieurs milliers de signatures. 

Le maire de Beaune, Alain Suguenot, s'insurge lui aussi : "Il y a sûrement des dettes, mais on confond vitesse et précipitation. Quelle urgence y-a-t-il à vendre le mobilier du château ? Je sais qu’il y a une décision de justice, mais le préfet peut demander de repousser la vente de quelques semaines. Disperser le mobilier, c’est perdre 100 000 ou 200 000 euros sur la vente globale du château plus tard. C’est réaliser une moins-value", déplore le maire. 

► À LIRE AUSSI : Château de la Rochepot : Alain Suguenot, le maire de Beaune, s'oppose à la vente des meubles

En dépit de ces protestations, la vente a bien llieu le 10 octobre 2021. Elle rapporte 450 000 euros, soit trois fois plus que prévu par les commissaires-priseurs. Parmi les lots très prisés : une statue de bouddha en bois doré, offerte par la dernière impératrice de Chine au président Sadi Carnot, vendue 52 000 euros. 

Le ministère de la Culture, lui, préempte plusieurs objets classés : des statues de plâtre, très fragiles, de l'artiste dijonnais Xavier Schanosky.

Lot de consolation pour les habitants : des paroissiens du village voisin de Nolay réussissent à se cotiser pour racheter une Vierge à l'enfant 5 000 euros. Cette statue est aujourd'hui toujours visible dans le village.

Début 2022 : toujours pas de procès 

Pendant ce temps, Dmitri Malinovsky reste emprisonné. Son procès doit avoir lieu à Nancy en février 2022, mais le jour prévu de l'ouverture, celui-ci est reporté. En effet, une requête en nullité est déposée par l'avocate d'Irina Malinovska, la mère du châtelain. Cela provoque le renvoi de l'intégralité du procès. Malinovsky et les six autres prévenus seront donc jugés ultérieurement, toujours à Nancy. Ce tribunal (la juridiction interrégionale spécialisée) est en effet compétent sur les affaires internationales aux multiples ramifications.

Pendant ce temps, sur place, France 3 constate que le château attire toujours des visiteurs, malgré sa fermeture.

Fin 2022 : le couperet tombe

Finalement, le procès a lieu mi-novembre 2022, et la justice rend sa décision le 8 décembre. Dmitri Malinovsky est reconnu coupable de blanchiment, usage de faux papiers d'identité, travail dissimulé et détention d'armes. Il est condamné à quatre ans et demi de prison, dont quatre ferme et six mois avec sursis, et 100 000 euros d'amende. Il est aussi interdit de séjour dans les quatre départements de Bourgogne. La justice prononce également la confiscation du château de La Rochepot.

► À LIRE AUSSI : Affaire du château de la Rochepot : Dmitri Malinovsky condamné à 4 ans et demi de prison

2023 : et maintenant ?

Comme indiqué plus haut, le procès en appel de Dmitri Malinovsky et de six complices devait débuter ce 23 octobre. Mais, les avocats de l'une des prévenues ayant déposé une question prioritaire de constitutionnalité, le procès est à nouveau reporté. Prochaine échéance le 29 novembre 2023.

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