Au dernier jour du procès Capricorne, les avocats dénoncent une "enquête à charge"

Au 8e et dernier jour du procès de l'escroquerie dite "Capricorne" à Dijon, les derniers avocats ont pris la parole ce jeudi matin pour défendre leurs clients. Tous éfutent la notion de "bande organisée".

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Qui était la tête pensante du réseau d'arnaques ? Y en avait-il au moins une ? Dans quelle mesure les prévenus ont-il agi sciemment afin d'escroquer leurs clients ? Difficile de répondre à ces questions à la fin du procès de l'affaire dite "Capricorne". Ce 8e et dernier jour d'audience, jeudi 8 juin, a vu défiler les avocats des trois derniers mis en cause, clôturant ainsi les débats. 

À l'époque, "on est dans la logique de l'argent roi"

Comme la veille, les avocats de la défense se sont employés à atténuer les responsabilités de leurs clients et à démonter méthodiquement l'accusation. Pour rappel, neuf hommes sont mis en examen. Pour la plupart installés à Saint-Dizier en Haute-Marne, ils étaient poursuivis pour escroquerie en bande organisée, tromperie sur prestation de service, pratiques commerciales agressives, abus de faiblesse et blanchiment aggravé.

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Ils étaient soupçonnés d'avoir incité des personnes, souvent âgées, à réaliser des travaux coûteux sur leur charpente, au prétexte que celle-ci était infestée de capricornes, des insectes mangeurs de bois. Ils se faisaient, pour cela, passer pour de faux techniciens commerciaux. Il leur était aussi reproché d'avoir lourdement insisté auprès de leurs prospects (d'où la qualification de "pratiques commerciales agressives") en se présentant à plusieurs reprises à leur domicile pour les relancer, refusant de partir lorsque les clients le leur demandaient, et en les appelant par téléphone.

"Je voudrais poser le contexte social de l'époque, les années 2000 à 2010", rappelle Emmanuel Tournaille, l'avocat de Yohann T. "2009, c'est la création du statut d'autoentrepreneur. On dit aux gens : "Devenez votre propre patron, fondez votre business et vous gagnerez encore plus d'argent." En 2007, c'est la campagne où Nicolas Sarkozy sera élu avec le motto "Travailler plus pour gagner plus". En 2010, c'est la sortie du film Wall Street 2 : L'argent ne dort jamais."

"On est dans ce moment social et historique où la valeur absolue, c'est l'argent. Le business est légitime, du moment que vous travaillez."

Emmanuel Tournaille

avocat de Yohann T.

"Alors en 2010 vous avez ce jeune garçon de 24 ans, Yohann T., qui a un diplôme de chaudronnier mais qui n'a pas réussi à trouver un CDI et qui fait différentes missions auprès de différents employeurs. C'est un bosseur qui a la valeur du travail. Et Yohann T. rencontre monsieur P. [également mis en cause dans l'affaire, ndlr] avec qui il joue au foot et qui lui dit : "Viens chez nous, il y a de l'argent à se faire." Souvenez-vous du contexte. On est vraiment dans la logique de l'argent-roi. Aujourd'hui, les prismes ont changé mais il faudra que vous en teniez compte", lance l'avocat à la cour.

A l'époque, les mis en cause étaient jeunes, influençables, tout juste arrivés dans le monde du travail : c'est aussi l'argumentaire développé par les autres avocats de la défense. "Mon client, il avait du talent artistique et n'a pas pu faire les Beaux-Arts pour des raisons d'argent et de famille. Alors il arrive dans cette société, mais il n'a pas du tout conscience d'entrer dans une entreprise criminelle, à 20 ans", plaide Adrien Devonec, avocat d'Anthony G.

"Quand on commence à gagner un peu d'argent, on s'achète des grosses voitures"

Systématiquement, la défense réfute les termes de "bande organisée", arguant que les prévenus n'ont pas sciemment prémédité l'escroquerie. Ils rejettent aussi l'accusation de "blanchiment". Au cours de la procédure en effet, plusieurs biens de valeur ont été saisis : voitures de luxe, une villa à Biscarosse, un coffre contenant de l'argent en espèces, et même un avion. Ce dernier a d'ailleurs déjà été vendu aux enchères dans le cadre de la saisie.

"Quand on commence à gagner un peu d'argent alors qu'on n'en avait pas trop à la base, bah on s'achète des grosses voitures. C'est simple, mais c'est comme ça. Ça ne veut pas dire qu'on est un escroc", assume Catherine Rambaud, l'une des deux avocates de Gilles C. considéré comme le principal mis en cause. "Je trouve qu'il y a un problème de classe. Ça sous-entend que les gens malins n'ont pas le droit de devenir riches. Il vaut mieux être un actionnaire de la famille Mulliez et là, il n'y a pas de problèmes !"

Une enquête "partiale", "à charge" contre les prévenus

À l'époque des auditions en 2016, 247 parties civiles (victimes) avaient été référencées. Aujourd'hui, certaines ont souhaité abandonner la procédure, d'autres sont décédées ou trop âgées. Les faits ont principalement été commis en Marne et Haute-Marne, mais aussi en Côte-d'Or, en Haute-Saône, dans les Vosges, l'Aube, la Meurthe-et-Moselle, l'Aveyron, les Ardennes, la Meuse et le Haut-Rhin.

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"L'enquête a été faite à charge !" dénoncent plusieurs avocats, affirmant que les chiffres qui ont initialement été donnés étaient faux. "On a fait de ce dossier une affaire médiatique. Au début, on parlait de 600 plaintes, 92 millions d'euros de préjudice : c'est faux ! Ces 92 millions, c'était le chiffre d'affaires total des sociétés", note Yann Le Goater, l'autre avocat de Gilles C.

La défense cite aussi le rapport qu'il juge "partial" d'une adjudant-cheffe de la gendarmerie. Elle écrit en 2014 : "Nous pouvons affirmer que le montage de ces sociétés a été réalisé afin de permettre à chacun des acteurs de s'enrichir personnellement, ceux-ci se moquant éperdument de la détresse morale et financière dans laquelle ils laissent leurs victimes." "De là, on va faire concorder tous les éléments de l'enquête pour le prouver", affirme Yann Le Goater.

Des peines "très inadaptées"

Les avocats fustigent aussi les peines demandées par la procureure la veille, qu'ils jugent trop sévères. Anthony G. par exemple, contre qui ont été requis quatre ans de prison dont trois ans de sursis probatoire et 74 000 euros d'amende. "Mon client a déjà été largement condamné. Malgré sa présomption d'innocence, il va faire trois mois de détention provisoire, parce que son avocat de l'époque lui avait conseillé de garder le silence pendant la garde à vue."

"C'était sa première incarcération et il venait d'avoir son premier enfant. C'est déjà une sanction gigantesque pour quelqu'un qui n'est pas habitué à la délinquance, une sanction qui le marquera à vie."

Adrien Devonec

avocat d'Anthony G.

"Puis, il a eu 7 ans de contrôle judiciaire et l'obligation de mettre l'essentiel de ses revenus post-mise en examen dans des sommes destinées au trésor public chaque mois. Il y a aussi eu la saisie de tous ses comptes, d'une voiture."

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Y a-t-il eu d'autres fautifs qui n'ont pas été inquiétés ?

Autre angle d'attaque de la défense : les autres responsables qui, eux, n'ont pas été inquiétés. Emmanuel Touraille, avocat de Yohann T., cite tous les autres salariés des sociétés qui ne figurent pas dans la procédure : "Il y a monsieur X, qui touche 44 000 euros par mois. Monsieur B., 36 000 euros par mois en neuf mois. Monsieur O., 47 000 euros par mois sur 14 mois. Monsieur C, 27 000 euros par mois pendant 30 mois. Monsieur P., qui perçoit 53 000 euros par mois sur 23 mois... Eux, ils ne sont pas dans la procédure, on ne leur demande rien sur les investissements qu'ils ont pu faire avec cet argent."

"Ces gens-là ne font pas l'objet de la moindre poursuite, ils n'ont aucune saisie judiciaire, ils n'ont pas une épée de Damoclès au-dessus de la tête !"

Emmanuel Touraille

avocat de Yohann T.

Quand au "soi-disant cerveau de ce réseau d'escrocs" Gilles C., son avocate rappelle aussi : "Il y a quelqu'un d'omniprésent dans ce dossier, c'est un avocat spécialiste du droit des sociétés qui intervient depuis 2003. Il tient la main de monsieur Gilles C., qui ne fait rien sans lui. Mon client n'a même pas les capacités de créer ce montage, c'est un artisan, pas un intellectuel !"

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Les avocats, enfin, accusent les organismes bancaires ayant accepté les crédits contractés par les clients victimes. Quelques jours plus tôt, les avocats de trois banques ont comparu en tant que parties civiles pour réclamer des compensations financières. "Les banques nous ont fait un magnifique laïus, notamment la BNP, qui s'est présentée comme un sauveur, une mère Teresa qui n'a pas hésité à geler les crédits des clients quand elle a eu connaissance des faits... Mais cette même BNF accorde trois crédits de suite à monsieur D. [l'un des clients victimes de l'escroquerie], alors que les documents indiquent "zéro charges". Comment pouvait-elle ne pas se rendre compte ?" tance Yann Le Goater.

"Ce montage a été validé dans les grandes largeurs par la BNP Paribas, qui était l'unique banque des sociétés mises en cause."

Yann Le Goater

avocat de Gilles C.

Emmanuel Touraille, avocat de Yohann T., rappelle le sort des banques dans une autre affaire qui a défrayé la chronique en Bourgogne : l'affaire Bach, du nom d'un céréalier de Mirebeau-sur-Bèze qui avait réalisé des montages frauduleux. Les banques avaient été condamnées, en 2013, à verser 50 millions d'euros aux créanciers : "Il fut un temps où au parquet de Dijon, les parquetiers avaient assez de courage pour aller chercher les établissements bancaires." 

"À l'époque, les banques en ont pris plein la gueule parce que les juges ont dit : "Ce n'est pas possible que vous fonctionniez comme ça." Bach, ça a été un désastre économique parce que les banques n'avaient pas fait leur vrai métier. Dans notre affaire, on ne va pas chercher les établissements bancaires, c'est un scandale intégral."

Emmanuel Touraille

avocat de Yohann H.

À l'issue des débats, les prévenus n'ont rien souhaité déclarer de plus. L'affaire a été mise en délibéré, la cour rendra son jugement le 18 septembre à 13h30 au palais de justice de Dijon.

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