Témoignages. Pauvres dès la naissance, elles sont victimes de maltraitance sociale : "on ne me voyait pas, ça a gâché ma vie"

Dijon se mobilisait ce samedi 19 octobre, à l'occasion de la journée mondiale du refus de la misère. Lucienne et Solange, deux femmes habitant en Côte-d'Or, sont venues témoigner sur leur enfance difficile, marquée par la pauvreté et surtout l’exclusion sociale.

Lucienne 72 ans et Solange 60 ans. Ces deux femmes ont été stigmatisées toute leur vie, car elles sont nées dans la pauvreté et la misère sociale. Les parents de Lucienne apprennent À sa naissance qu'elle est sourde. Ils n'ont pas les moyens de soigner leur fille ni de lui acheter un appareil auditif.

Lucienne va alors vivre l'enfer durant toute sa scolarité. "Je connais la maltraitance depuis mon plus jeune âge. L'école n’avait pas remarqué mon problème. Les dictées à trous, j’écrivais ce que j’entendais. C'était très dur le calcul mental pour moi. Chaque fois que je faisais une erreur, la maîtresse me tapait sur la tête. Ça m'a beaucoup marqué. À l’internat, j'étais maltraitée par des camarades, quasiment tous les jours, je pleurais et je me cachais. Je me faisais rejeter du réfectoire et je ne mangeais pas."

Pour sortir du silence, se libérer de sa souffrance, Lucienne se réfugie dans l'écriture. "Personne ne me prenait au sérieux. Je ne disais pas que je n’entendais pas. Dans ma famille, on avait interdiction de se plaindre. C’est comme ça que j’ai été éduquée. J’avais l’impression que j’étais invisible, on ne me voyait pas. Je le ressens encore à l’intérieur de moi, ça a gâché ma vie."

"J'étais la moins que rien"

Solange a aussi eu une enfance difficile. Elle a connu la pauvreté à plusieurs reprises dans sa vie, mais c'est surtout la solitude qui l'a le plus marquée. "Je n'ai pas été élevée par mes parents. Au foyer, j’ai été maltraitée par des personnes qui devaient me protéger. Quand j’étais là-bas et que je racontais que ça se passait mal chez mes parents, on ne m’écoutait pas. J’étais un peu l’enfant sans famille, la moins que rien. Les personnes qui m’élevaient ne m’aidaient pas au contraire, elles me rabaissaient encore bien plus."

Une enfance dans l'indifférence totale, qui aujourd'hui, a de lourdes conséquences. Solange n'a par exemple pas appris à se servir d'internet. À une époque où tout est informatisé, réaliser des démarches en ligne se révèle être un parcours du combattant "Quand je suis dans l'administratif, j'ai peur de me tromper. Il y a des institutions qui font des erreurs, moi si j’en fais, on considère que c’est une fraude."

Il n’y a plus d’humanité, ça s’appelle de la maltraitance citoyenne.

Solange

Alors Solange préfère se rendre directement sur place. Mais l'accueil est souvent difficile. "On me méprise. Quand l’entreprise où je travaillais a fermé, je suis allée à Pôle Emploi. On m’a dit de me débrouiller sur mon ordinateur. Mais tout le monde ne maîtrise pas ça. Ça me fait mal, il y a plein de personnes qui ne demandent plus leurs droits par peur qu’on les traite de fraudeur."

Aujourd'hui, les deux femmes sont bénévoles dans des associations et prennent la parole en public pour se libérer, et pouvoir enfin exister aux yeux des autres.