Atteinte d'une maladie dégénérative touchant ses yeux, Anne Bouchard, habitante de Besançon, perd progressivement la vue. Un handicap qu'elle a finalement accepté grâce à son apprentissage du braille, un système d'écriture et de lecture tactile pour personnes aveugles et malvoyantes. Témoignage.
Apprendre pour se reconstruire. Apprendre pour redevenir apaisée et accepter son handicap. Apprendre pour retrouver son intimité, aussi. Le tout grâce à un code alphabétique de 2 rangées de 3 points, permettant 64 combinaisons : le braille. Jeudi 4 janvier 2024 marque la journée mondiale de ce langage universel qui permet à des millions de personnes aveugles et malvoyantes de pouvoir lire.
Anne Bouchard, en fait partie. À 52 ans, la Bisontine est malvoyante depuis six ans. Atteinte d'une rétinite pigmentaire depuis son enfance (maladie dégénérative de l'œil qui provoque une perte graduelle de la vue, jusqu'à la cécité), elle a aujourd'hui un champ visuel très rétréci. "Je n'ai plus qu'un vingtième à chaque œil" explique-t-elle. "Et puis mes yeux sont très sensibles à la lumière, tandis que je suis complètement non-voyante la nuit".
Pour faire face à ce handicap, celle qui travaille au service relations publiques du théâtre des Deux Scènes, à Besançon (Doubs) a dû trouver des solutions. Le braille en fait partie. Ce système d’écriture tactile, à destination des personnes mal et non-voyantes, a été une porte de salut longtemps ignorée. "De mes 18 à mes 45 ans, j'ai tout fait pour éviter de reconnaître ma maladie" se souvient Anne Bouchard. "Cela me terrifiait, tout simplement".
Vous sentez que votre vue décline. Et on vous dit que cela ne va pas aller en s'arrangeant, que c'est inéluctable. Se dire que tout ce que je voyais n'existerait bientôt plus était très angoissant.
Anne Bouchard
De sa vue qui décline à vitesse grand V, Anne n'en parlait donc à personne et continuait à agir "normalement" car "chercher de l'aide, c'était déjà reconnaître mon infirmité". Jusqu'à se mettre en danger personnellement et professionnellement. "Au boulot, j'avais du mal à lire mes mails, à exécuter mes missions" se remémore-t-elle. "Dans la rue, je me cognais aux passants, qui, vu que mon handicap était invisible, étaient violents verbalement avec moi. Sans compter le nombre de meubles, de mobiliers urbains auxquels je me suis heurté, et de chutes que j'ai faite".
Il y a deux ans, Anne Bouchard, épuisée, est obligée de changer. "J'étais à l'arrêt, en plein burn out visuel. Je me suis dit, 'je n'en peux plus, il me faut de l'aide' ". Après un appel à une connaissance, elle aussi malvoyante, la Bisontine décide de se prendre en main. "En parler m'a déjà fait beaucoup de bien" confesse-t-elle. "J'ai découvert que je n'étais pas seule, et qu'il y avait des solutions". Elle s'entoure de professionnels, apprend l'informatique "à l'oreille" pour son travail, prend des cours de mobilité et découvre le braille. Ce qui changera sa vie.
J'ai tout appris en trois mois. Je n'ai fait que ça. Une heure de cours par semaine complétée par de multiples leçons à domicile. C'est comme apprendre une autre langue. On apprend les lettres, l'alphabet. Puis les autres signes, la ponctuation, les chiffres. Puis on constitue des phrases. Je me faisais des lignes à répétition, et j'écrivais des petites histoires pour m'exercer. C'était magique.
Anne Bouchard
Un nouveau champ des possibles s'ouvre alors. "Ça a été le début d'une nouvelle vie. J'ai retrouvé une intimité" sourit-elle. "Moi qui ai toujours aimé lire, je pouvais enfin m'adonner à nouveau à la lecture personnelle, de moi-même. Avec en plus ce rapport sensuel provoqué par le toucher". Au travail, sa plage braille ne la quitte pas, ce qui lui permet "de prendre des notes et d'écrire comme tout le monde".
Avec un avantage. "Je suis la seule à savoir ce que j'écris" s'amuse Anne Bouchard. "Les personnes sans handicap visuel sont obligées d'apprendre pour décrypter mes messages. Faire quelque chose d'inaccessible pour eux alors que dans la vie de tous les jours, c'est plutôt l'inverse, je dois avouer que cela fait plaisir".
"Un outil d'alphabétisation et d'émancipation"
Le braille, qui lui a permis d'être enfin apaisée, la cinquantenaire le revendique. "Aujourd'hui, avec la technologie et les nombreuses possibilités audios, le braille est délaissé" s'inquiète-t-elle. "Mais c'est un outil formidable d'alphabétisation et d'émancipation. Quand vous passez la journée à écouter, cela fatigue. Un peu de calme, grâce au braille, c'est précieux. D'autant plus que les livres seront toujours là si la Wifi lâche".
On ne peut pas le nier. Même si Anne a mis "un an à utiliser sa canne dans la rue", elle se dit aujourd'hui libérée et a même partagé son vécu dans un podcast. Avec l'espoir que son histoire permettra à des personnes malvoyantes d'accepter leur handicap, à travers le braille. Et le temps presse. En France, sur les 1,7 million de déficients visuels présents sur le territoire (dont 300.000 non-voyants), seuls 15% maîtrisent ce code universel.