Mis en examen après 37 plaintes, le Dr Luc Clemens, présumé innocent, voit son droit d'opérer suspendu. Des patients comme Céline et Eric racontent les séquelles de leurs interventions ratées. L'association de victimes Fleur de lotus se mobilise pour que justice soit faite.
Le 30 octobre dernier, la chambre de l'instruction de Besançon (Doubs) confirmait l'interdiction d'opérer du Dr Luc Clemens, proctologue, présumé innocent, mis en examen suite à 37 plaintes déposées par des patients, pour des opérations "ratées" des hémorroïdes. L'association Fleurs de lotus a vu le jour et compte aujourd'hui 63 adhérents. Chaque semaine, la présidente, Sophie Ferrer, reçoit en moyenne trois appels de patients victimes. Au total, 85 personnes ont appelé l'association.
"Depuis l'opération, c'est un calvaire"
Parmi ces nouveaux adhérents, Céline. Après une rechute d'hémorroïdes en 2021, elle retourne consulter le Dr Clemens, qu'elle avait déjà vu en 2018. L'annonce tombe comme un couperet, elle doit subir une grosse intervention chirurgicale. "Après l'opération, il m'a dit que je retrouverais un transit normal. Mais depuis l'opération, c'est un calvaire, confie-t-elle. Je suis toujours en incontinence." Les premiers mois qui suivent l'opération, elle décide de prendre des médicaments pour limiter les effets post-opératoires.
Puis, au bout d'un an, ne voyant pas d'évolution, le praticien décide de lui mettre un neurostimulateur. Une opération 'très compliquée, très douloureuse". "C'était un enfer, car je n'étais pas endormi pour la pose de l'appareil", se souvient alors Céline. Tout ça, pour ne constater aucune amélioration. Si au début, le docteur lui disait qu'il fallait trouver le bon réglage, il finit par lui dire : "Je ne peux plus rien faire pour vous".
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"J'ai le sentiment de ne pas avoir été pris en considération"
Eric, fait lui aussi les frais d'une opération ratée. Après des mois de douleurs, il consulte le Dr Clemens pour remédier à ses problèmes de santé. Il se fait opérer en septembre 2022 et l'enfer commence. "Après l'opération, je n'arrivais pas à uriner. En moins de 24 heures, j'ai eu trois sondes urinaires, ce qui a provoqué une infection de la vessie", raconte-t-il. Cinq jours après l'intervention, il se retrouve aux urgences avec une septicémie et est admis en réanimation.
Je suis restée une semaine dans le service. Les trois premiers jours, personne ne savait de quel côté j'allais basculer.
Thierry*, patient et victime du Dr Clemens
Depuis, comme Céline et les autres adhérents de l'association, il souffre d'incontinence et de douleurs. Alors qu'il effectue sa consultation de contrôle, Eric est frappé par le manque d'empathie du proctologue et a le sentiment "de ne pas avoir été pris en considération".
"Mes enfants me disent que je suis toujours aux toilettes"
Céline a été reconnue invalide à 80 % par la MDPH. Elle a perdu son travail, ne fait plus de sorties avec ses enfants. Quand elle a un rendez-vous, elle ne mange pas de la journée. "Je mange que le soir, pour ne pas avoir de souci. Ma vie tourne autour des repas", explique Céline, précisant qu'elle fait l'impasse sur le petit déjeuner et le déjeuner. Même en vacances.
Mes enfants me disent que je suis toujours aux toilettes. Quand on va dans un magasin, la première chose que je cherche, ce sont les toilettes. Voilà, ma vie rime avec toilettes.
Florence*, patiente et victime du Dr Clemens, proctologue à Besançon
Si le proverbe dit "quand on veut, on peut", pour Céline, c'est plutôt "quand on peut". "J'ai le sentiment que ma vie a été gâchée. J'ai 35 ans, je me disais que j'avais encore plein de choses à faire. Malheureusement, je ne pourrais plus rien faire", déclare-t-elle, le cœur lourd.
Pour Eric aussi, son quotidien est perturbé. Pour le chauffeur routier, tout est calculé. "Je dois toujours tout prévoir. Pour aller faire les courses, ou une simple marche, je prévois tout dans un sac à dos, en cas de problème."
On ne vit que pour ça, et en fonction de ça. Ce n'est plus vraiment une vie.
Thierry*, patient et victime du Dr Clemens
"C'est dur de se dire qu'on est autant à être abimés"
Quand tout cela lui arrive, Céline se sent seule et se dit qu'une fois encore, elle n'a pas eu de chance. Puis l'association vient soulager ce sentiment de solitude. "On se rend compte que, malheureusement, on est nombreux à être dans le même cas."
Psychologiquement, ça fait du bien, mais intérieurement, c'est dur de se dire qu'on est autant à être abimés.
Florence*, patiente et victime du Dr Clemens
Aujourd'hui, Eric comme Céline espèrent que d'autres vies ne seront pas gâchées. "J'espère qui ne puisse plus opérer. Même si ça ne me rendra pas ma vie d'avant, au moins, le massacre sera arrêté", lâche Céline, suivit de Eric : "Si on n'est pas compétent dans son métier, il faut arrêter de faire du mal aux gens. J'attends beaucoup de la justice, qu'elle nous reconnaisse comme victimes et que lui soit reconnu comme étant le responsable de nos vies détruites".
*Les prénoms ont été changés