L'institution exécutive de l'Union européenne a proposé aux États membres de modifier le classement du loup, qui passerait d'espèce "strictement protégée" à espèce "protégée" au titre de la convention de Berne. Ce qui, concrètement, pourrait autoriser sa chasse.
La Commission européenne a proposé mercredi 20 décembre de modifier la classification du loup, qui passerait, si les États membres de l'Union européenne (UE) donnent leur accord, d'espèce "strictement protégée" (comme il est aujourd'hui) à espèce "protégée". Ce déclassement créerait un "précédent inédit et dangereux" à la convention de Berne, selon un communiqué commun de six associations de défense de l'environnement publié jeudi 21 décembre.
La chasse au loup pourrait être autorisée
La convention de Berne a pour objectif d'assurer la conservation de la flore et de la faune sauvages européennes. Elle comporte quatre annexes qui listent les espèces selon leur degré de protection. Aujourd'hui, puisque Canis Lupus apparaît dans l'annexe II en tant qu"espèce de faune strictement protégée", les pays signataires du texte se sont engagés à prendre des mesures afin d'interdire sa capture, sa détention ou sa mise à mort intentionnelles, ainsi que la destruction de ses zones de reproduction, ou encore son commerce interne, vivant ou mort.
Si l'annexe II interdit toute exploitation (comprendre la chasse) des espèces qui y sont mentionnées, l'annexe III, portant sur "espèces de faune protégées", la réglemente. La convention de Berne demande par exemple aux signataires d'instaurer des périodes de chasse et de veiller à ce que les populations demeurent localement à un niveau de conservation satisfaisant.
Concrètement, si Canis Lupus change de statut de protection juridique et rejoint la classification d'espèce "protégée", les États membres de l'UE pourront autoriser sa chasse. Actuellement, les tirs létaux de loups peuvent être seulement opérés à titre dérogatoire.
Plus de 20 000 loups dans l'Union européenne
Dans un communiqué publié mercredi 20 décembre, la Commission motive ce changement par la date de négociation de la convention de Berne, 1979. La classification du loup au rang "d'espèce strictement protégée" avait alors été établi "sur le fondement des données scientifiques disponibles". À l'époque, l'espèce commençait à se rétablir en Europe après avoir frôlé la disparition. Quarante-quatre ans plus tard, une nouvelle "analyse approfondie du statut du loup dans l'UE", publiée (en anglais) le même jour que son communiqué, expliquerait une révision de ce classement.
Selon les données de cette étude, nommée simplement La situation du loup dans l'UE, la présence des loups a été attestée en 2023 dans pratiquement tous les pays de l'UE, à l'exception de trois îles (Irlande, Chypre et Malte). Des meutes reproductrices seraient réparties dans 23 pays. La population totale de loup dans l'UE a été estimée à environ 20 300 ; elle était de 11 200 en 2012.
Une "proposition de déclassement" ne reposant sur "aucun fondement scientifique" ?
C'est "cette évolution de la réalité sur le terrain" qui, selon la Commission européenne, justifie le changement de classe du loup. Elle "permettrait de bénéficier d'une plus grande souplesse en matière de gestion, tout en maintenant l'objectif juridique global consistant à atteindre et à maintenir un état de conservation favorable pour l'espèce".
"La proposition de déclassement du statut de protection du loup ne repose sur aucun fondement scientifique et relève d’une logique purement politicienne, à l’encontre même des opinions publiques", estiment quant à eux les associations de défense de l'environnement ASPS, FERUS, FNE, Humanité et biodiversité, LPO et WWF France dans leur communiqué commun. Les organismes rappellent les résultats d'une enquête d'opinion réalisée sur 10 000 habitants de zones rurales de dix pays européens où plus des deux tiers estiment que les loups devraient être strictement protégés.
Le plus gros des attaques en Espagne, en France et en Italie
Citée dans le communiqué de son institution, la présidente de la Commission européenne Ursula Van der Leyen a salué "la bonne nouvelle" que représente le retour des loups en Europe tout en s'alarmant sur le "véritable danger, en particulier pour le bétail", de "la concentration de meutes de loups dans certaines régions d'Europe". Elle explique que sa proposition de changer la classification du loup vient d'une demande de "davantage de flexibilité" de la part des "autorités locales". "Le niveau européen devrait faciliter les choses et le processus engagé aujourd'hui par la Commission constitue une étape importante."
Toujours selon l'étude La situation du loup dans l'UE, les loups tuent chaque année 65 500 bêtes d'élevages, dont les trois quarts sont des ovins (moutons) et des caprins (chèvres). Ces chiffres sont mis en perspective avec la population totale d'ovins dans l'UE, qui est d'environ 60 millions : "Le niveau de déprédation des moutons par les loups représente un taux d'abattage annuel de 0,065 %".
"À grande échelle, l'impact global des loups sur le bétail dans l'UE est très faible, mais au niveau local, la pression sur les communautés rurales peut être élevée", continue l'étude, qui souligne que le plus gros des attaques a lieu en Espagne, en France et en Italie, avec 10 000 à 14 000 bêtes tuées par an dans chacun des pays.
En Bourgogne-Franche-Comté en 2023, selon les derniers chiffres disponibles de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) qui datent du 31 août, 146 attaques de loup ont été constatées. La plupart sont survenues en Saône-et-Loire (96). En Franche-Comté, on en dénombre sept dans le Doubs, six dans le Jura, une dans le Territoire-de-Belfort et aucune en Haute-Saône.
"Le loup n'est plus une espèce en voie de disparition"
"Contrairement à ce que sous-tend l’annonce de la présidente de la Commission européenne, l’affaiblissement du statut de protection de l’espèce ne créera pas les conditions d’une coexistence durable avec l’espèce", affirment les associations de défense de l'environnement, et "ne règlera pas les difficultés auxquelles le monde de l’élevage est confronté et qui dépassent largement l’impact de la présence du loup". Les organisations tiennent à rappeler le succès des mesures de protections des troupeaux "sur la base de la trilogie bergers, chiens de protection et clôtures".
Mais tous les concernés ne sont pas du même avis. Pour Florent Dornier, éleveur de Ville-du-Pont (Doubs) et président de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) locale, "il paraît clair qu'aujourd'hui, ces mesures de protection ne marchent plus". "On a actuellement un problème avec la population du loup, qui explose. L'Union européenne a pris conscience que les loups ne sont plus en voie d'extinction, et que leur nombre devient dangereux pour les paysans et leur exploitation. C'est un rééquilibrage nécessaire".
Il faudrait pouvoir éliminer quelques loups par anticipation, avant la période d'alpage, et pas qu'en réaction. Les parcs, les clôtures... Ça ne marche pas. Sur 80 % des troupeaux ovins attaqués, des mesures de protections étaient pourtant mises en place. Elles ont leur limites.
Florent Dornier,président de la FDSEA du Doubs
Selon l'étude La situation du loup dans l'UE, "la meilleure façon de réduire les pertes de bétail dues aux attaques de loups est d'appliquer des mesures efficaces et adaptées pour prévenir la déprédation par le loup". La Commission européenne rappelle par ailleurs que les autorités locales et nationales peuvent faire appel aux financements européens pour investir dans des mesures de prévention et de compensation.
Si la proposition de la Commission est acceptée par les États membres, elle sera soumise au comité permanent de la convention de Berne. Ce n'est qu'avec son aval que la Commission pourra proposer une adaptation du statut de protection du loup au sein de l'UE.