L'évêque de Nevers, Thierry Brac de la Perrière, vient de se mettre en retrait de ses fonctions pour six mois, trop fatigué pour continuer. Un cas extrême mais symptomatique de l'épuisement dans la profession, comme le confirme Monseigneur Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre (Yonne).
"Je suis dans un état de fatigue qui fait que je ne suis pas complètement apte à mener correctement ma tâche. (...) J’ai besoin de reprendre les choses de manière plus profonde. Je ne peux pas me contenter de gérer les choses comme ça, au jour le jour…" Par ces mots accordés au quotidien le Journal du Centre, l'évêque de Nevers, Monseigneur Thierry Brac de la Perrière, expliquait les raisons de sa mise en retrait de ses fonctions à compter de lundi 2 janvier.
"On a une surcharge de travail"
Depuis le début de semaine, l'évêque a quitté la Nièvre pour un congé sabbatique de six mois accordé par le Vatican. En cause : une "lassitude", le besoin "d'un temps de repos, d'une reprise spirituelle, d'une remise en cause". Des termes caractéristiques d'un burn-out. Un syndrome aujourd'hui bien connu dans la société "civile", plus insoupçonné au sein de l'Eglise… mais pourtant bien réel.
L'archevêque de Sens-Auxerre, Monseigneur Hervé Giraud (ordonné en même temps que Thierry Brac de la Perrière il y a 20 ans) vient justement de publier une tribune dans le magazine chrétien La Vie, dans laquelle il appelle à repenser la fonction d'évêque. Contacté par téléphone, il raconte sans détour ce qu'il constate : "Je reçois beaucoup d'alertes. Il y a des évêques qui ont renoncé à l'ordination épiscopale. Certains font du burn-out ; d'autres déclarent des cancers. On sent des difficultés un peu partout. On a une surcharge de travail, qu'il faut hiérarchiser."
En résumé : "On nous demande beaucoup trop, tout le temps, de tout décider."
Monseigneur Hervé Giraud
Hervé Giraud explique qu'aujourd'hui, les évêques doivent être multifonctions, répondre à toutes sortes de sollicitations et endosser plusieurs casquettes. "On nous demande de résoudre des conflits, de penser à l'immobilier, aux finances, à la liturgie, on nous demande de parler des migrants, de la fin de vie. On doit être généralistes, et en même temps s'occuper du diocèse, des paroisses, des prêtres..." liste Monseigneur Giraud. "On parle à des gens qui nous demandent des conseils, qui sont dans la douleur ou qui traversent des épreuves. On voit beaucoup de gens en deuil, on organise des funérailles."
"Les gens nous voient le dimanche à la cathédrale, mais c'est presque reposant, une messe !"
Monseigneur Hervé Giraud
"On a envie de dire : ayez pitié de nous, nous ne sommes que des humains. On n'est pas meilleurs que les autres. En ce moment, c'est un peu limite."
Les révélations sur les abus sexuels dans l'Eglise, "un fardeau"
"Il y a aussi tout l'aspect lié au rapport de la Ciase", ce glaçant dossier rendu public l'an dernier qui révélait l'ampleur des viols et des violences sexuelles commis au sein de l'Eglise ces 30 dernières années. "Il faut aider les victimes, et en même temps, cela nous ébranle intérieurement. On a des difficultés à porter cela, parce que l'on est humain. On compatit. Forcément, ça pèse", relate l'archevêque de Sens-Auxerre.
"Il y a aussi beaucoup de "bashing". On serait responsables de tout. Dans les affaires de viols et d'agressions sexuelles, ce sont des évêques plus âgés que nous qui sont responsables. Malheureusement, c'est nous qui héritons de ce fardeau. Je vois bien, avec les victimes que je reçois : c'est nous qui devons assumer tout cela. Pourtant, on n'est pas moralement responsables, mais c'est malgré tout notre devoir de les écouter et de les prendre en charge. On a une sorte "d'héritage", une charge mentale. Certaines nuits, on ne dort pas bien."
Les raisons de cette surcharge
"Le fardeau est devenu de plus en plus lourd." Pourquoi ? Les raisons sont multiples : l'Eglise souffre depuis plusieurs années d'une "crise des vocations" qui voit le nombre de jeunes prêtres diminuer. Faute de prêtres, "on prend ce travail sur nous. On a aussi la possibilité de trouver des laïcs compétents, dans le domaine financier, dans le secrétariat..." Mais si l'Eglise emploie des laïcs, elle se doit de les salarier. Et le budget des diocèses n'est pas extensible : "Pour l'Yonne, nous avons un million d'euros par an. Ce n'est rien ! On ne peut donc pas se permettre de trop dépenser en salaires." L'archevêque, lui, touche 983 euros par mois.
Mais le manque d'ecclésiastiques n'est pas la seule raison : "En 20 ans, beaucoup de choses ont changé : l'émergence du numérique, les réunions Zoom, le covid..." note Hervé Giraud. "Avant, on s'adressait à un vicaire, puis à un curé, puis à un archiprêtre... Maintenant, avec le numérique, tout arrive directement à l'archevêque."
"Par mail, SMS, Twitter, Whatsapp, Signal, on est devenu très accessibles et on nous en remercie, mais ce contact est presque sans filtre. Auparavant, on avait un peu plus de temps et de distance. Maintenant, on nous demande tout tout de suite."
Monseigneur Hervé Giraud
Outre le changement d'époque, "il y a aussi une fatigue qui s'installe parce que ce métier use davantage qu'on ne le pense. On n'a pas autant d'énergie à 65 ans qu'à 45."
Le problème vient aussi, selon Monseigneur Giraud, du fait que les évêques sont responsables de tout dans leur diocèse. "On n'a personne au-dessus de nous, on est vraiment l'ultime décideur. C'est pour cela, selon moi, que la fonction devrait être amenée à évoluer, à être allégée."
Des semaines "de 100 heures"
A quoi ressemble concrètement le quotidien d'un évêque ? "Ce sont des semaines de 100 heures, presque trois temps pleins par semaine. En général, je fais 7h-22h."
"Ce jeudi, il y a les funérailles de Benoît XVI, donc une messe supplémentaire à Auxerre. Vendredi, c'est conseil épiscopal puis une visio, puis j'ai une personne à voir. Samedi et dimanche, je suis avec les prêtres de la Mission de France à l'Haÿ-les-Roses. Lundi, je suis à Perreux-sur-Marne, mardi, je suis à Paris. Mercredi, je suis avec les évêques de la province, jeudi prochain je suis en formation des prêtres puis j'ai une visio le soir."
Monseigneur Hervé Giraud
Et encore, l'archevêque se ménage : "Récemment, j'ai pris la décision de ne plus prendre de rendez-vous après 20 heures. Cela me permet de préparer les dossiers du lendemain."
Pour assumer de tels horaires, il faut une grande discipline et une rigueur dans l'organisation. Monseigneur Giraud, ancien professeur de mathématiques, se dit servi par son esprit "très organisé" : "J'anticipe beaucoup à l'avance, il le faut pour ne pas être sous l'eau. Thierry (Brac de la Perrière), il s'est épuisé."
L'archevêque de Sens-Auxerre participe régulièrement à un groupe de travail dont le but, justement, est de réfléchir à la charge de travail des évêques. La prochaine réunion est prévue ce jeudi, avec les évêques de la région Bourgogne, puis à l'assemblée plénière des évêques, fin mars à Lourdes. "Je pense qu'il y a urgence. Cela demande une réflexion profonde."