Témoignage. "On est des sacrifiés" : atteint d'un cancer, ce pompier alerte sur l'urgence à mieux protéger sa profession

Publié le Écrit par Antoine Comte
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Depuis décembre 2022, Bruno, pompier professionnel en Franche-Comté et âgé de 57 ans, se bat contre un cancer du sang. Une maladie, diagnostiquée à quelques mois de la retraite. Après le choc, le quinquagénaire s'est posé beaucoup de questions sur ses conditions de travail, tout au long de sa carrière. Résultat, aujourd'hui, la tristesse a laissé la place à la colère.

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Pour lui, le couperet est tombé un soir de décembre 2022, juste avant Noël. Bruno est sapeur-pompier professionnel depuis plus de trente ans. Trente années marquées par des valeurs, un sens aigu du bien commun et de la protection d'autrui... Mais par-dessus tout par une passion et un amour de son métier, pour lequel il s'investit depuis l'enfance. Ces derniers mois, son quotidien a pourtant été bouleversé. Bruno, est aujourd'hui atteint d'un cancer du sang, une leucémie.

Les sapeurs-pompiers, où l'histoire d'une vie

Le sapeur fêtera bientôt son 57ᵉ anniversaire. "Chez nous, c'est le bout" sourit-il lorsque nous le contactons. "Je pars en retraite dans quelques mois". L'épilogue d'une carrière bien remplie, commencée chez les pompiers volontaires à 16 ans, avant une entrée chez les professionnels en 1993, à la caserne de Belfort.

Ce métier, je l'ai choisi en mon âme et conscience. Je l'ai exercé avec passion. Mais c'est une profession à risque, qui use.

Bruno,

sapeur-pompier professionnel

Pour preuve, les camions qu'il a connus tout jeune, le cinquantenaire n'y monte plus depuis déjà quelque temps. La cause, un dos en grande souffrance après des années de service. Il y a eu ce premier accident en 2012, à cause d'un outil de désincarcération trop lourd, qui lui a valu une hospitalisation. Puis cette hernie au même endroit, en 2015.

Ajoutez à cela toutes ces nuits de travail à répondre au bip pour partir en opérations et vous comprendrez la "fatigue physique" du sapeur, la santé mâchée. Depuis 2020, Bruno a donc été reclassé à un poste en retrait des interventions, "qui mélange administratif, gestion et entretien des bâtiments".

Un métier vecteur de maladies

Un poste plus reposant, en attendant la retraite, comme une récompense d'années de bons et loyaux services. "Mais la retraite, je ne sais même pas si je vais en profiter" lâche Bruno, la voix soudain tremblante. Tout s'est fracassé le jour où son médecin lui a diagnostiqué une leucémie, il y a un peu plus d'un an. "Depuis, j’ai l’épée de Damoclès au-dessus de la tête" confesse le pompier. "Et je m'interroge. À quoi cela est dû ?".

Une leucémie, c'est un cancer du sang, ça ne vient pas comme ça. Je n’ai aucune personne dans ma famille qui a déjà eu ça, donc ce n'est pas héréditaire. Moi, j’ai fait du sport toute ma vie, je n'ai jamais fumé, j’ai toujours fait attention. Reste une cause : mon métier.

Bruno,

sapeur-pompier professionnel

"J'ai posé à mon médecin la question directement" reprend le sapeur. "Est-ce que cela peut être lié au fait d'être pompier professionnel ? Il m'a répondu, "peut-être". Depuis, Bruno, sonné, cherche des réponses. Et fouille alors dans ses souvenirs de carrière, à la recherche d'indices, de moments qui pourraient expliquer cette leucémie qui lui est tombée dessus.

Des cancers fréquents dans la profession

Reviennent alors ces flash-back d'interventions sur feu "où on se prenait toute la fumée dans la tête". "Même si on est dans un petit département, on a beaucoup de feux. Et, on a "morflé" à cause de ça" assure-t-il. "Avant, on était beaucoup moins protégé que maintenant. Des composants toxiques, mon corps en a avalé des grandes quantités". Sans doute une première explication à son cancer. Une maladie qui, en réalité, ne lui est pas tout à fait étrangère.

En cogitant, le cinquantenaire s'est en effet remémoré des cas similaires chez ses collègues. "En y repensant, je me suis rappelé cette pompier atteinte d'un cancer du sein il y a quelques mois. Les trois copains aussi, qui sont décédés il y a peu, cinq ans seulement après être partis en retraite, dont deux à cause de cancers" précise-t-il. "D'autres vivent avec de lourdes séquelles. C'est affreux. Ce sont des gens avec qui j’ai bossé pendant des années qui disparaissent un à un. Et je suis peut-être le prochain sur la liste". Un constat qui, passé le choc et la tristesse, fait naître la colère.

J'étais content d'arriver au bout. J’avais des projets pour ma retraite, mais je ne vais peut-être pas en profiter. J’ai choisi de faire un beau métier, reconnu auprès de la population, mais laissé de côté par les instances.

Bruno,

sapeur-pompier professionel

Avec le recul, Bruno est en effet très amer. Certes, sa profession est dure, physiquement et mentalement. Mais pour lui, la protection des pompiers est insuffisante. "Aujourd'hui, il y a des chiffres parlants, on profite moins de notre retraite que le reste de la population" met-il en lumière. "Mais on ne fait rien pour nous protéger. On est dans un système soumis à un budget, où il faudra des accidents pour que les choses évoluent".

Et le cinquantenaire d'égrener, selon lui, ce qui ne va pas. Le fait que les pompiers, malgré les dangers qu'ils affrontent au quotidien, ne sont toujours pas en France considérés comme une profession à risques, "alors que dans toutes les souscriptions d'assurances, une surcotisation pour métier à risques nous est appliquée" dénonce Bruno.

En France, un seul cancer reconnu maladie professionnelle chez les pompiers

Autre anomalie à ses yeux, le fait qu'en France, un seul cancer, celui du nasopharynx, soit reconnu comme maladie professionnelle pour les pompiers professionnels, contre 28 aux USA. "Cela change beaucoup de choses au niveau de la prise en charge du parcours de soins", explique Bruno. "On n'a pas de traçabilité sur nos expositions aux fumées toxiques et, on en parle très peu pendant les visites médicales. Même au niveau des équipements, nos collègues européens sont mieux protégés que nous. On trouve cela anormal". 

Une grogne sur la protection au travail qui monte dans la profession, devant de nouveaux constats accablants. Il y a quelques semaines, l'émission Vert de rage consacrait un épisode aux retardateurs de flamme, ces produits toxiques présents dans bon nombre d'objets de notre quotidien. Dans ce programme, il était indiqué que sur les 55 000 pompiers professionnels français, environ 2 200 étaient atteints d'un cancer. Un nombre bien supérieur à la moyenne nationale.

"Aujourd'hui, on est en train de bousculer nos instances sur le sujet de la protection" reprend Bruno. "En France, on a pris beaucoup de retard, notamment sur l'exposition aux fumées. On ne protège pas assez ceux qui sauvent les citoyens. Je pense que les choses vont bouger, mais d'ici là, combien mourront ?"

Une plainte contre X pour "mise en danger de la vie d'autrui"

En décembre 2023, la CGT du secteur des pompiers a ainsi porté plainte contre X pour mise en danger de la vie d'autrui. Un moyen de dénoncer la faible prise en compte des risques liés à l’amiante, la suie et les fumées toxiques en France. "On sait désormais qu’aller au feu nous expose aux substances cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques. Mais rien n’est fait pour évaluer notre contamination !" s'insurgeait Angelo Carlucci, représentant CGT du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord, dans les colonnes du Monde le 5 décembre 2023.

Depuis, la Direction générale de la sécurité civile, organe étatique qui, entre autres missions, détermine les équipements utilisés par les pompiers sur le terrain, a annoncé l'arrivée d'une tenue plus protectrice en 2025. Mais cette dernière ne sera pas obligatoire. Son achat sera laissé à l'appréciation des conseils départementaux, qui déterminent le budget des SDIS de leur territoire (le SDIS organise ensuite l'activité de l'ensemble des centres de sapeurs-pompiers du département).

Des mesures de protection déjà prises

Dans le même sens, en novembre 2023, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a indiqué avoir lancé une enquête épidémiologique sur les risques du métier, qui pourrait conduire à un élargissement de la liste des maladies professionnelles. Les résultats de cette étude cruciale ne seront connus que fin 2024. Pas de changement jusque-là. En attendant, Bruno devra lui se battre contre son cancer.

Contacté par France 3 Franche-Comté, le SDIS 90, dans lequel Bruno a fait toute sa carrière, nous a indiqué "être très attaché à la santé de ses hommes". Et l'instance d'énumérer plusieurs mesures de protections prises ces derniers mois : port d'appareil respiratoire isolant (ARI) sur les incendies, procédures de nettoyage et d'échanges des tenues souillées directement sur le terrain, douches obligatoires après interventions, présence d'un "officier sécurité" sur les opérations d'envergure...

On en est conscient : sur la sécurité, on peut toujours faire mieux. Mais on est tenu par un budget. Et les pompiers doivent aussi s'auto-responsabiliser. Dans tous les cas, l’objectif de chaque direction de SDIS est d’amener le pompier jusqu’à la retraite dans le meilleur état possible.

Colonel Stéphane Berrez,

directeur départemental adjoint du SDIS 90

Ce ne sera pas le cas pour Bruno, comme pour certains de ses collègues avant lui. "On est des sacrifiés" assène le sapeur atteint d'une leucémie. "Les mesures prises sont trop légères, et pour certaines, leur bonne application n'est pas surveillée par la direction. Si on voulait vraiment nous protéger, on le ferait".

"J'ai commencé mon métier, j'étais tout content. Aujourd'hui, je suis détruit. J'encaisse mentalement, mais c'est très dur" conclut Bruno. "Il y a de la colère, voir de la haine. La leçon, c'est que quand tu rentres chez les pompiers, ce n'est pas dit que tu puisses partir en retraite à la fin". 

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