Violences faites aux femmes. Plaintes, signalements : comment sont-elles traitées ?

Quelles prises en charge pour les plaintes ou signalements pour violences conjugales ? Après le féminicide de Monéteau, au procès de Valérie Bacot, la prise en charge des victimes est questionnée.

Quelle réponse apporter aux femmes victimes de violences ? Les affaires se multiplient et interrogent sur la prise en charge des dépôts de plainte des femmes victimes de violences. Le 11 juin dernier, Angélique Clere, 32 ans, a été tuée à Moneteau (Yonne) par son ex-compagnon. Elle avait déposée plainte contre lui pour violences conjugales au début de l’année.

Depuis lundi 21 juin, le procès de Valérie Bacot, a débuté devant les Assises de Saône-et-Loire. Violée, frappée, prostituée, elle a tué son mari le 13 mars 2016. Ses proches affirment avoir signaler sa situation aux gendarmes, sans succès. Il n'en reste aucune trace dans l'enquête.

Une formation jugée "insuffisante"

À travers ces faits divers, le rôle la justice est souvent remis en question. Pour l’association Solidarités Femmes, la prise en charge des plaintes et de la parole des femmes est toujours impactée par un manque de formation des forces de l'ordre. « Les choses avancent, mais c’est insuffisant. Il faut élever le niveau de formation de tout le monde, des magistrats, des gendarmes et de tous les acteurs de cette chaîne. Tant que l’on ne comprend pas très bien un phénomène, on ne peut pas vraiment le prévenir » avance Anne Joseleau, directrice de l’association en Côte-d’Or.

Jessica Martin, cheffe d'escadron de la gendarmerie de Mâcon, ne partage pas cet avis. Selon elle, les gendarmes serait de plus en plus préparés à recevoir les victimes de violences conjugales. La prise en charge des victimes fait cependant déjà partie de leur formation initiale. « Depuis l’année dernière, il y a une formation de huit heures pour les sensibiliser encore plus » informe-t-elle. Le dispositif de prise en charge des victimes a fait, selon elle, de nombreux progrès : « je dirais aujourd’hui qu’on a système qui est vraiment bien fait et on pourrait difficilement faire mieux en gendarmerie » affirme Jessica Martin. 

On entend encore des "on ne prend pas de plaintes le dimanche".

Anne Joseleau, directrice de l'association Solidarité Femmes 21

De son coté, la directrice de l’association appelle cependant à une plus grande considération de la parole des femmes : « on entend encore des "on ne prend pas de plaintes le dimanche" mais une femme qui fait la démarche d’aller déposer plainte, elle ne la fera peut-être pas 50 fois » tranche Anne Joseleau. Elle souhaite également une protection des victimes plus systémique : « à partir du moment où une personne demande une ordonnance de protection ça devrait lui être octroyée. Et puis dans le doute même si on se trompait, quel est le risque ? » s'interroge-t-elle. 

Comment les plaintes pour violences conjugales sont-elles traitées aujourd’hui ?

Jessica Martin explique comment sont prises en charge les plaintes de femmes victimes de violences.

Selon elle, les victimes sont dans un premier temps isolées afin de pouvoir témoigner librement. Les gendarmes tentent d'obtenir le plus d'informations possibles afin de constituer les éléments matériels de l'infraction. « C’est fait pour avoir une audition la plus complète et leur éviter le traumatisme d’être entendue plusieurs fois » explique la cheffe d’escadron, également référente VIF (Violence Intrafamiliale) du groupement de gendarmerie de Saône-et-Loire.

Dans le cadre de cette première audition, les informations sur le mis en cause sont collectées par les gendarmes : « on se renseigne pour savoir s’ils habitent ensemble, s’il y a des enfants… On détermine le degré d’urgence pour l’intervention grâce à un questionnaire » relate Jessica Martin. Ce degré d'urgence déterminera la rapidité de l'intervention, notamment en fonction du niveau de danger qu'encours la victime. 

S’il y a des traces des sévices, on a besoin d’un certificat détaillé pour établir l’ITT (Incapacité temporaire de travail).

Jessica Martin, cheffe d'escadron

La gendarmerie de Mâcon insiste également sur la prise en charge médicale, au-delà du simple dépot de plainte. Pour Jessica Martin, le plus important reste avant tout la santé et la protection de la victime : « si elle a besoin de soins immédiats, avant de prendre l’audition on va l’orienter vers l'hôpital ou son médecin.» Les traces physiques de violences constituent une preuve importante pour la gendarmerie : « s’il y a des traces des sévices, on a besoin d’un certificat détaillé pour établir l’ITT (Incapacité temporaire de travail). Ça permet ensuite de déterminer les poursuites sur le plan judiciaire » précise Jessica Martin. 

D'après la gendarmerie, dans certains cas, un logement d'urgence peut-etre proposé à la victime, si celle-ci n'a nul part où aller. Les services sociaux sont également saisit et un compte rendu est adressé au procureur de la République à la suite de chaque dépot de plainte. « La plupart du temps, le mis en cause est entendu dans le cadre de la garde à vue et s’explique sur ce qui s’est passé. Il arrive qu’il y ait une confrontation et suite à ça, une décision de justice » ajoute-t-elle.  

Interrogée sur les délais de gestion des plaintes, Jessica Martin explique : « ça dépend du degré d’urgence. On peut imaginer qu’une personne va venir porter plainte le matin à 8 heures pour des faits survenu la veille et le mis en cause peut venir témoigner le soir même. » Elle ajoute que « les violences intrafamiliales sont traitées en priorité » par rapport aux autres contentieux tels que les cambriolages. 

« Ça fait un moment qu’on tire la sonnette d’alarme »

Pour l’association, le second frein à une bonne prise en charge des victimes est le manque de moyens financiers et humains. « En France, il y a 1000 bracelets anti-rapprochement et seulement 78 sont utilisés. Les autres sont dans des placards et ne servent à rien. Il y a des mesures qui ne sont pas appliquées. Mais il faut du monde pour faire ça. On manque de personnel à tous les étages. Ça fait un moment qu’on tire la sonnette d’alarme » rapporte Anne Joseleau. 

Les forces de l'ordre insistent ses les avancées positives d'ors et déjà mises en place. À la brigade de Mâcon ainsi qu’à celle de La Chapelle-de-Guinchay (Saône-et-Loire), l’association France Victimes est présente une demi-journée par semaine. « L’intervenante sociale des commissariats et gendarmeries est là aussi quasiment tous les jours. Ça nous décharge de la gestion sociale de l’affaire. C’est vital pour la victime parce que le dépôt de plainte ne fait pas tout » témoigne la cheffe d’escadron Jessica Martin. C'est un modèle qui tend à s'élargir dans la région. Dix jours après le féminicide de Moneteau (Yonne), la préfecture du département annonce le recrutement d'une intervenante sociale au sein du commisariat d'Auxerre. Elle aura la fonction d'accompagner les victimes de violences intrafamiliales. 

Le danger des violences psychologiques

Dans certains cas, les violences ne peuvent pas être prouvées matériellement. Selon l’association Solidarité Femmes 21, le plus inquiétant est en effet l’emprise qu’un homme peut exercer sur une femme : imposer sa tenue, ses horaires, contrôler son téléphone, les insultes, les pressions… « C’est quand la victime veut plus de liberté qu’il ne va pas le tolérer. C’est quand "sa chose" lui échappe et qu’il peut devenir extrêmement dangereux. Et dans ce cas, il n’y a pas toujours de certificat médical » regrette la directrice de l’association, Anne Joseleau.

Dans ce cadre, Jessica Martin explique les difficultés rencontrées par la gendarmerie, en l'absence de certificat médical, permettant de matérialiser les faits de manière légale : « on est bloqué sur les dires de la victime. On va prendre un maximum d’informations et ensuite faire une confrontation. C’est aussi pour s’assurer que la victime dit bien la vérité. » La tâche est en effet plus délicate pour la gendarmerie, qui doit alors souvent opposer deux paroles. 

Un proche peut-il porter plainte pour une autre personne ?

Les proches sont parfois témoins des violences subient par un tier. Mais comme le rappelle Jessica Martin, la loi ne permet pas aux proches de porter plainte à la place de la victime. Cependant, une procédure de prise en charge de cette parole doit être mise en place : « on va rédiger un procès-verbal et on va se diriger vers le procureur. [...] Quand il y a des situations d’urgence on va prendre contact avec la victime. » Cependant, ces démarchent ont leurs limites : « dans ce genre de cas, si on n’a pas assez d’éléments, le procureur ne pourra pas prendre de décisions. » Le témoignage des proche permet donc d'alerter sur une situation, pour ensuite inciter la victime à venir à la gendarmerie elle-même : « on ne peut pas contraindre les victimes à parler. On dit alors aux proches qu’il faut la convaincre de venir » explique la cheffe d’escadron de la gendarmerie de Mâcon. 

Selon elle, en théorie, toutes les demandent devraient être traitées et les témoignages des proches, entendus. L'affaire Valérie Bacot met en effet en avant cette question. Le beau-fils et le fils de cette dernière s'étaient rendus à la gendarmerie afin de dénoncer les violences dont la mère de famille était victime. Il n'en reste aucune trace aujourd'hui, laissant penser que la procédure n'a pas été remplie à l'époque. Une situation que Jessica Martin ne peut pas expliquer : « je suis bien incapable de l'expliquer, parce que je ne sais pas ce qu'il s'est passé. [...] C'est une processus qui est sencé se suivre. Si il y a une défaillance dans le système, la justice va s'y intéresser et trouver la faille » commente-t-elle. 

Au sein de l’association Solidarité Femmes en Côte-d'Or, près de 300 personnes se font accompagner au quotidien dans leurs démarches juridiques, pour trouver un logement d’urgence ou simplement pour obtenir une écoute. En 2021 en France, 56 femmes ont perdu la vie, tuées par leur conjoint ou ex-conjoint.

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