Coronavirus : "Le chacun pour soi n'est pas une option d'avenir", entretien avec François Alfonsi, député européen

Face à la pandémie de Covid-19, les mesures mises en place par le gouvernement Français et l'Europe ont-elles été suffisantes ? Quel risque pour l'économie, notamment insulaire ? Le député européen et maire d'Osani François Alfonsi a pris le temps de répondre à nos questions.

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La pandémie de Covid-19, nouvelle souche de coronavirus, a fait depuis le début du mois de mars plus de 21.000 morts de France. Aucun pays européen n'est épargné : le plus endeuillé, l'Italie, avec plus de 25.000 morts, et le plus touché, l'Espagne, avec quelque 213 000 cas de contamination recensés par la sécurité civile au jeudi 23 avril.

Dans ces conditions, la réaction et les mesures mises en place par le gouvernement Français et l'Union Européenne ont-elles été suffisantes ? Que penser des stratégies adoptées ? Comment cette crise sanitaire met-elle en péril l'économie mondiale, et notamment des territoires insulaires, tels que la Corse, et qu'attendre pour la suite ? 

Le député européen et maire d'Osani François Alfonsi, membre de la fédération Régions et Peuples Solidaires, a pris le temps de répondre à nos questions. Et à ses yeux, la sortie de crise ne pourra se faire qu'avec une solidarité entre états européens : "le chacun pour soi n'est pas une option d'avenir".


Entretien avec François Alfonsi, député européen et maire d'Osani


Une réunion s’est tenue mercredi entre le Premier Ministre,  trois de ses ministres Christophe Castaner, Jacqueline Gourault et Jean Baptiste Lemoyne. Deux heures de réunion mais qui visiblement n’ont pas vraiment satisfait le Président de l’Exécutif et celui de l’Assemblée. Partagez-vous ce sentiment et pourquoi ?

François Alfonsi : J’en retiens d’abord, comme le Président de l’Exécutif, que la tenue de cette réunion est à saluer. Elle entérine que la Corse doit faire l’objet d’une approche spécifique et c’est essentiel.
Nous entrons dans un « tunnel de crise » qui va durer plusieurs mois et dont on ne pourra sortir sans deux préalables : un Etat prêt au dialogue et des autorités corses en situation d’action dynamique, au plus près des besoins de la population.
 
L’Etat dispose de presque toutes les compétences budgétaires, sanitaires, réglementaires qu’il faut actionner avec détermination pour faire face à la maladie. Ce centralisme est très excessif, mais cela ne changera pas dans les quelques semaines à venir, et il faut donc faire avec.

Seul un dialogue structuré sera apte à optimiser les politiques publiques dans le cadre de la crise sanitaire, sociale et économique que nous nous apprêtons à traverser.

Cette première réunion a permis de poser la question essentielle, celle d’une stratégie adaptée au territoire de la Corse. 


De façon globale pensez-vous que cette crise sanitaire a été bien appréhendée et bien gérée par le Gouvernement et Emmanuel Macron ?

F.A : On sait que des erreurs ont été faites. La tenue malgré tout des élections municipales a sans doute été à l’origine de nombreuses contaminations, notamment la flambée d’épidémie en Balagne. La pénurie en masques, en tests et en matériels de protection est très grande et cela altère les conditions d’un retour à une vie collective plus normale, même si on sait que rien ne sera plus comme avant.
 
Il y a eu pire, là où les dirigeants ont été dans le déni, comme aux USA par exemple. Il y a eu mieux, ailleurs en Europe et dans le monde. Mais ce qui compte désormais, c’est la qualité de ce qui se fera ces prochaines semaines



Il y a beaucoup d’inquiétude quant à la réouverture des écoles le 11 mai. Cela vous paraît-il possible et surtout sans risque ?

F.A : La société est impatiente de sortir du confinement qui provoque une situation chaque jour plus insupportable.

Mais faut-il commencer par les écoles ? C’est un choix risqué car les enfants sont par essence peu enclins aux gestes barrières. Ils ont peu de risques pour eux-mêmes, mais ils peuvent en faire courir à leurs familles, chez les plus âgés notamment.
 
Il faut s’assurer qu’à tout niveau, dans les transports scolaires, à la cantine, lors des récréations, pas seulement dans les salles de classe, les conditions seront réunies. Le risque zéro n’existe pas, mais attention à ne pas agir à la légère, surtout là où le virus s’est propagé avec le plus de force comme dans la région ajaccienne.
 

Evoquons le rôle de l’Europe. Elle est devenue assez rapidement l’épicentre de l’épidémie et le moins que l’on puisse dire c’est que les pays de l’UE n’ont eu aucune politique coordonnée et chacun a agi selon ses intérêts. Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas eu de stratégie commune ?

F.A : Le début a été catastrophique avec un « chacun pour soi » exprimé lors de la réunion du Conseil des chefs d’Etat le 23 mars quand l’Italie, puis l’Espagne, étaient déjà submergés par la crise. Depuis, la Présidente Von der Leyen a rectifié le tir en présentant ses excuses et en adoptant une attitude beaucoup plus solidaire.
 
Mais la santé reste une compétence des Etats-membres, chacun a son propre système de santé publique, et personne n’a jamais voulu aller vers davantage d’Europe en ce domaine. Il n’existe pas de « Politique Commune de la Santé » comme il existe une « Politique Agricole Commune ».
 

Il faut faire en sorte que l’accès aux ressources qui seront nécessaires pour relancer l’économie se fasse pour tous aux meilleures conditions, en mutualisant la capacité d’accès à l’endettement aux meilleurs taux d’intérêts possibles 


Ce qu’a fait l’Europe dans un premier temps a été de libérer des moyens financiers pour aider les budgets nationaux à prendre en charge le coût sanitaire de l’épidémie, ainsi que le premier choc économique de l’arrêt de toute activité productive ou presque. En chiffres ce premier train de mesures « pèse » 37 milliards d’euros.

Mais c’est sur le plan économique à moyen et long terme que son action sera la plus déterminante. Il faut faire en sorte que l’accès aux ressources qui seront nécessaires pour relancer l’économie se fasse pour tous aux meilleures conditions, en mutualisant la capacité d’accès à l’endettement aux meilleurs taux d’intérêts possibles.
 
Un premier plan a été validé, 540 milliards d’euros. D’autres suivront, et il faudra à chaque fois lever des réticences du côté des mieux nantis, pour l’essentiel du nord de l’Europe, pour qu’ils soient solidaires des plus affectés, les pays du Sud. Mais il est une évidence que chacun commence à intégrer : l’effondrement des économies du sud finirait très certainement par entraîner les économies du nord dans le gouffre
 


Il y a eu pire. L’absence de solidarité de façon générale. L’exemple des masques destinés à l’Italie et détournés par le gouvernement tchèque est édifiant... L’UE a-t-elle encore un sens ?

F.A : Soyons réalistes, ce genre de comportements est classique en temps de crise. On a bien vu une Préfète en Alsace détourner des masques sur le tarmac de l’aéroport de Mulhouse au détriment des régions (Franche-Comté et Provence) qui les avaient achetés !

L’Europe a un rôle utile pour éviter que cela ne dégénère en conflits entre des Etats. La Tchéquie, qui reçoit des aides européennes conséquentes, a dû s’excuser et l’Italie a finalement reçu sa livraison. Sans ce poids de l’Europe, ce n’est pas une seule affaire de ce type, mais des dizaines qui auraient eu lieu. Et qui ne se seraient pas réglées sans des tensions très fortes.

Il faut aussi ne pas oublier les nombreuses livraisons de matériels faites à l’Italie, les transferts de malades entre plusieurs pays, et beaucoup de témoignages concrets qui expriment la réalité d’une solidarité européenne sur le terrain.


Quelles mesures, du point de vue sanitaire, l’UE aurait-elle dû prendre ?

F.A : Je l’ai dit : il n’existe pas de politique commune de la santé en Europe comme il existe la Politique Agricole Commune. Chaque Etat est resté maître de ses politiques sanitaires. Qu’on le regrette ou pas, c’est comme ça. Je fais partie de ceux qui le regrettent.

En revanche sur le plan économique l’UE a été beaucoup plus réactive. 500 milliards injectés par la BCE et jusqu’à 1000 milliards possiblement. Il y a véritablement urgence certains parlent d’une crise semblable à celle de 1929...


Il y a un risque d’effondrement général ?

F.A : Beaucoup l’affirment et, franchement, je ne vois pas de raisons objectives d’être vraiment plus optimiste. Cette crise, nous n’en connaissons pas encore l’ampleur, car tout peut être remis en cause si l’épidémie repart et qu’il faut à nouveau prendre des mesures de confinement dans quelques semaines.
 

Les solutions n’existent qu’à l’échelle européenne. Le chacun pour soi n’est pas une option d’avenir.


Elle se greffe sur une économie mondiale qui montrait déjà de nombreux signes de faiblesse, et sur des institutions financières, notamment les grandes banques européennes, qui sont encore sous le choc de la crise financière de 2008. Il faudra beaucoup d’énergie collective pour repartir de l’avant en sauvant un maximum d’emplois.

De toutes façons il est une certitude : les solutions n’existent qu’à l’échelle européenne. Le chacun pour soi n’est pas une option d’avenir.


Vous avez signé une lettre avec 10 autres parlementaires européens originaires des différentes îles de l’Europe. Lettre adressée à la Commission européenne, au Président du Conseil européen et au Président du Conseil de l’Europe. Vous mettez l’accent sur les conséquences encore plus importantes sur l’économie des îles. Pourquoi les îles seraient plus impactées ?

F.A : Il est admis que les activités sont impactées différemment selon leur nature, à 100% si elles sont à l’arrêt total comme la restauration, à 90% pour le transport aérien, à 50% pour le commerce de détail puisque certains restent ouverts pour subvenir aux besoins essentiels, etc…


Il en est de même pour les territoires qui sont impactés différemment selon leurs caractéristiques.

F.A : Pour les Îles, c’est la situation la plus difficile : elles dépendent pour beaucoup du tourisme qui est une des activités les plus impactées, et leur tourisme dépend de transports collectifs, avions et bateaux, dont la reprise est très problématique tant que le virus circule.

S’y ajoute des services publics vitaux, notamment pour leur désenclavement, qui sont menacés si les opérateurs actuels ne résistaient pas à la crise.
 
Thierry Breton, le commissaire en charge de l’économie, a déclaré mardi 21 avril en commission Transports et tourisme « je n’oublie pas ces zones géographiques, ces régions, ces îles en Europe, qui dépendent pour certaines quasi-exclusivement du tourisme et qui se retrouvent dans des situations très compliquées, en Espagne, Grèce, Italie, France et ailleurs. »

Un message commence à passer. C’était important de le faire.


Quelles mesures spécifiques demandez-vous ?

F.A : Ce sera du « sur mesure » car chaque île est un cas particulier, mais une attention aux services publics de base est essentielle, et cela ne se pose pas qu’en termes financiers.

Si demain il faut intervenir pour soutenir un opérateur, il faut aussi obtenir des aménagements au plan des règlements européens sur les aides d’Etat. Le mécanisme européen de solidarité doit être renforcé et adapté dans le cas des îles.


Le tourisme est évidemment un secteur clé. La Corse va être fortement pénalisée. Comment l’UE peut-elle agir et à quelle hauteur ?

F.A : Les mesures sont opérées par chaque Etat-membre : report ou annulations de charges des PME et TPE, soutien direct à l’activité, prêts de trésorerie, etc … Le rôle de l’Europe est de leur en donner les moyens en abondant leurs budgets à proportion de leurs besoins.
 
Des clefs de répartition des subsides européens vont être adoptées. Il est important que l’Europe prévoie de renforcer la prise en charge des territoires insulaires pour qu’ensuite cela se répercute au sein de chaque Etat-membre.


Il y a un autre secteur fortement menacé c’est celui des transports, aérien et maritime. Les compagnies insulaires sont-elles en danger ?

F.A : Très clairement, le transport aérien est très affecté. La chute d’activité est vertigineuse. Nul ne peut espérer en sortir indemne, ni les compagnies low-cost, ni les compagnies internationales, ni les compagnies régionales comme Air Corsica ou d’autres.
 

C’est la qualité de l’intervention publique qui permettra de faire face à la crise. D’où l’importance des réunions initiées avec le gouvernement pour pouvoir agir en temps et heure, avant que la situation ne dégénère trop et rende les choses encore plus difficiles


Même chose dans le transport maritime. C’est la qualité de l’intervention publique qui permettra de faire face à la crise. D’où l’importance des réunions initiées avec le gouvernement pour pouvoir agir en temps et heure, avant que la situation ne dégénère trop et rende les choses encore plus difficiles.


Cette crise va peut-être inciter à la réflexion sur un nouveau modèle. L’Europe devra évoluer mais ne croyez-vous pas, au regard de la gestion de cette crise, que l’on assiste surtout au retour des Etats ?

F.A : Les Etats n’ont jamais disparu derrière l’Europe !

Je pense que cette crise leur fera prendre conscience, qu’ils le veuillent ou non, qu’aucun d’entre eux n’est en mesure d’y faire face seul. Et que poursuivre la construction européenne est une nécessité vitale.


L’écologie, la proximité économique, politique vous paraît-elle la solution ?

F.A : Cette crise est la conséquence d’un dérèglement du monde. L’émergence de ce virus est liée au recul des espaces naturels qui chasse les espèces sauvages de la forêt et de leurs habitats traditionnels et les amènent au contact des hommes.

L’affaire des masques est révélatrice des limites de la délocalisation économique qui a été jusqu’à l’absurde. Les sociétés doivent redevenir maîtres de leur destin, et chaque pas en ce sens contribuera à la solution globale.
 
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