Agriculteurs en colère : un maraîcher de la Marne arrêté lors d'une manifestation à Paris, "on nous considère comme des terroristes"

Jonathan Bouton est maraîcher à Val-de-Vesle (Marne). Militant de la Confédération paysanne, il a manifesté devant le Grand Palais, à Paris, le jeudi 5 décembre 2024, et subséquemment été arrêté par la police avec quatre de ses collègues. Sa garde à vue a été prolongée.

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Une arrestation qui met en colère une profession déjà bien échaudée. La Confédération paysanne, deuxième syndicat agricole français (mais loin derrière la puissante Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, FNSEA), est vent debout après l'arrestation de cinq de ses membres.

C'était le jeudi 5 décembre 2024, devant le Grand Palais, à Paris. Il s'y tenait la Bourse de commerce européenne, institution très importante dans le négoce de céréales, et décriée par les petits paysans qui se réclament de la Confédération paysanne (quelques uns ont réussi à y entrer pour clamer leurs slogans).

"Sauvez les paysannes et paysans, mangez un trader", pouvait-on justement lire sur une immense banderole jaune déroulée devant le bâtiment. La manifestation s'est terminée sous les charges des forces de l'ordre.

Un maraîcher de la Marne en garde à vue

Parmi les cinq personnes arrêtées à Paris, on trouve Jonathan Bouton, maraîcher au sein du Groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec) des Jardins du marais. Il est situé à Val-de-Vesle, petite commune située dans l'agglomération de Reims, entre Prunay, Prosne, et Verzenay

Christophe Van Hoorne, agriculteur et éleveur à Tréfors (Marne), est secrétaire national et porte-parole départemental de la Confédération paysanne. Il exprime son dégoût auprès de France 3 Champagne-Ardenne. "À la fin de la manifestation, on a expliqué qu'on allait partir tranquillement."

"Et en fait, on nous a envoyé la gendarmerie, la police, les CRS, la Brav-M." C'est-à-dire la Brigade de répression de l'action violente motorisée, déjà mise en cause lors des manifestations contre la réforme des retraites. On pourrait la penser réservée aux émeutes, ce qui ne semblait pas le cas ici... 

Garde à vue prolongée 

"Ils nous ont nassés. On était encore une centaine. Puis ils nous sont rentrés dedans pour récupérer cinq de nos collègues, dont celui de la Marne... On vient d'apprendre que sa garde à vue est prolongée de 24 heures." Les prolongations de 24 heures d'une garde à vue sont admises, en droit commun, pour les délits passibles d'un an d'emprisonnement. Ce qui peut étonner ici.

Mais Christophe Van Hoorne, lui, n'est absolument pas étonné. "Pour la [Confédération paysanne], ce n'est pas si rare qu'on nous traite différemment de la FNSEA ou de la Coordination rurale." Les deux autres poids-lourds syndicaux du secteur, considérés comme plus proches de la droite, de l'industrie agro-alimentaire, et des contestations musclées sur le terrain des manifestations. 

Deux poids, deux mesures 

"C'est toujours la même chose." Le responsable syndical dénonce un insupportable "deux poids, deux mesures. On nous considère comme des terroristes, et on nous charge."

Cela remonterait aux manifestations contre les méga-bassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Le ministre de l'Intérieur d'alors, Gérald Darmanin, avait qualifié les opposantes et opposants d'"éco-terroristes", un terme contestable et contesté. "Depuis qu'on est maintenu dans cette logique-là", malgré les dénégations de la Confédération paysanne, "c'est à chaque fois la même chose".

Alors que pourtant, assure Christophe Van Hoorne, "on ne dégrade jamais les biens du pays. On ne balance pas de fumier, rien, sur les biens publics comme peuvent le faire les autres." On peut citer les grilles de la préfecture de l'Aube, la place Royale de Reims, ou encore des permanences de parlementaires. Sans compter les conséquences des panneaux indicateurs subtilisés aux entrées des communes.

Ils viennent cramer des pneus devant les préfectures, et on ne leur dit rien.

Christophe Van Hoorne, porte-parole départemental de la Confédération paysanne

En colère, il ne mâche pas ses mots. "Par contre, dès qu'on s'attaque aux intérêts privés, ce que ne font pas les autres syndicats, on nous envoie la police. Dès qu'on s'attaque aux milliardaires, c'est le cas. C'est comme ça que ça se passe." Il rappelle que la FNSEA a muré des locaux de l'Office français de la biodiversité (OFB) impunément. "On ne leur a rien demandé. C'est honteux. Ils viennent cramer des pneus devant les préfectures, et on ne leur dit rien." 

"Alors que nous, hier après-midi, on vient simplement expliquer que pendant deux jours, il va y avoir du trading sur la céréale pour pouvoir faire du fric sur le dos des agriculteurs." Entraînant la réponse policière qu'on connaît. Il regrette que seuls "les intérêts des puissants" semblent vraiment défendus.

Rassemblement pour l'agriculteur arrêté

"On ne va pas lâcher", assure Christophe Van Hoorne. "Ce n'est pas possible. Sinon, on est morts. Moi, dans cinq ans, ma ferme [qui pratique l'agriculture biologique; ndlr], elle est foutue."

"Avec mes collègues, on refuse de se regarder mourir." L'objectif pour le moment est d'obtenir la libération de Jonathan Bouton et de ses quatre collègues. "On rappelle que notre démarche, elle est syndicale. Nous, on ne s'est jamais caché."

Pour soutenir le maraîcher arrêté, une action suivie d'une conférence de presse était prévue sur son exploitation agricole, dans l'après-midi de ce vendredi 6 décembre. Le but également : rappeler les enjeux du Mercosur, qui vient de franchir une étape décisive

Corentin Clair, associé de Jonathan Bouton, se retrouve par ailleurs tout seul pour assurer le travail de deux personnes. Depuis l'arrestation, "il est débordé, on le harcèle. Il ne fait que ramasser des légumes, autant qu'il peut." De telles arrestations, qualifiées d'arbitraires, peuvent donc mettre des fermes en danger (voir localisation de celle-ci sur la carte ci-dessous).

Plusieurs personnalités politiques de gauche et écologistes ont fait le déplacement, parmi lesquelles Évelyne Bourgoin. La candidate du Nouveau Front populaire (NFP) à Reims a fait part à France 3 Champagne-Ardenne de son soutien aux enjeux défendus par la Confédération paysanne. "Elle est en phase avec ce qu'on défend : le bio, la préservation des paysages et de l'eau, la défense d'un travail justement rémunéré et d'une alimentation saine pour le plus grand nombre." 

Regrettable double-discours

"Si on fait disparaître ces paysans-là", craint-elle, "on met toute notre agriculture dans les mains de l'agro-industrie". Et elle dénonce, en étrillant la FNSEA, "un double-discours. D'un côté, leurs représentants clament haut et fort qu'il ne faut pas signer le Mercosur, car on vient de découvrir que ce n'était pas bien; qu'il faut planter des haies et préserver l'eau, un discours pour soi-disant soutenir les paysans. Et d'un autre côté, ils soutiennent le maintien des pesticides et des accords céréaliers qui privent de revenus corrects ceux qui pratiquent une agriculture paysanne, pas intensive." (voir dans la vidéo ci-dessous les discours de soutien diffusés dans le reportage du 19/20 de France 3 Champagne-Ardenne)

Il y a aussi "un deux poids, deux mesures, par rapport à la façon dont les manifestants sont considérés. C’est l’impunité totale pour les autres syndicats - Coordination rurale et FNSEA - pour les graves dégradations devant et dans des préfectures et autres lieux publics."

Par contre, "c’est la répression et les gardes à vue contre des manifestants d'un rassemblement avec banderoles. Mais voilà : comme ceux-là s'opposent au système en place qui met en avant l'agro-industrie et l'élevage intensif, ils ne sont pas les bienvenus et on s'oppose violemment contre eux... Ça ne va pas. Pour continuer à avoir une nourriture saine, la population doit soutenir ces paysans qui se préoccupent de l'environnement, du bien-être animal... et humain."

Jonathan Bouton était toujours en garde à vue lors de la publication de cet article. En règle générale, une garde à vue n'excède pas 48 heures.

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