J'ai testé pour vous : embarquer à bord d'un bus des années 90 pour découvrir la Montagne de Reims

Le dimanche 28 mai, l'Association de sauvegarde des transports urbains de Reims (Astur) a lancé sa première excursion post-covid destinée au grand public. Un vaste circuit autour de la Montagne de Reims. Récit de notre reporter dans un bus ramené des années 1990.

Je suis un journaliste multimédia essentiellement dévolu au journalisme Web. Ainsi, j'utilise plus souvent mon clavier d'ordinateur et mon téléphone pour concevoir des articles que mes pattes. Mais parfois - et heureusement - il m'arrive de sortir. C'est le cas le dimanche 28 mai 2023.

Ce jour-là, l'Association de sauvegarde des transports urbains de Reims (Astur) utilise son beau bus à damiers noirs et jaunes tout droit sorti des années 1990 (France 3 Champagne-Ardenne en a parlé) pour organiser une excursion. Au programme : une centaine de kilomètres en quatre heures autour de la remarquable Montagne de Reims

Et pour vous, mesdames et messieurs, je suis allé tester le concept. Précédemment, j'ai déjà étrenné la randonnée en barque à fond plat (j'espère moins de moustiques cette fois), une fête foraine au sortir du confinement (ça fait déjà quatre ans ??), et l'ouverture d'un love-store à Strasbourg (cette excursion sera sans doute moins olé olé).

Un évènement populaire et accessible

On peut profiter de la balade pour la modique somme de dix euros. Rendez-vous est donné à 14h00 devant la gare. Comme je suis un journaliste ponctuel et bien organisé, je m'organise pour arriver en avance... mais diverses péripéties font que je me pointe à 13h57, et que le bus est en train de partir sous mes yeux. Ce reportage s'annonce bien mal.

Heureusement, le Usain Bolt qui sommeille en moi s'éveille, et je parviens à rattraper le véhicule avant qu'il ne soit trop tard. À bord, c'est plein comme un oeuf : il n'y a que 45 sièges - confortables (il paraît) - pour 53 personnes, dont certaines restent donc debout. C'est ce qui s'appelle être victime de son succès.

Et moi, je suis victime de mon sprint, de l'habitacle transformé en fournaise par les nombreux gens présents, et des températures élevées : pourquoi diable ai-je eu la sublime idée d'enfiler un pull (noir) et une veste en cuir ? J'entends une passagère faire remarquer qu'"on gelait la semaine dernière, et que là, on crève de chaud". Je ne peux pas dire que vous avez tort, madame (même si techniquement, un printemps maussade n'est pas si anormal).

À l'intérieur, un public varié. Jeune ou âgé, masculin ou féminin, il y a de tout et la balade semble plaire à tout le monde. Comme ça discute pas mal, on ne s'entend pas beaucoup, et quand Cyril Regnier, le président de l'Astur, prend le micro pour donner des anecdotes, il doit pousser sa voix pour se faire entendre... et finit rapidement enroué. Il faut ce qu'il faut.

Des souvenirs au volant

Le véhicule s'ébranle, fait le tour de la place de la Gare, et salue de joyeux coups de klaxon chaque bus de la Citura (l'entité qui a succédé aux Transports urbains de Reims, ou Tur) qui passe par-là. Pour plusieurs conducteurs ou conductrices, croiser ce bus doit rappeler de sacrés souvenirs. Justement, Élise, la nôtre, est ravie de nous transporter... et de raconter ses souvenirs. "Ça fait quasiment seize ans que je suis chez Citura. Je les ai conduits, ces bus : j'ai fait la A, la H... C'est vraiment top, je suis contente [d'y rouler]."

"Je suis super ravie de le conduire à nouveau." Elle ne peut pas dire si ses collègues ont exprimé de la jalousie, puisqu'elle a remplacé au pied levé la conductrice également bénévole qui était prévue (elle a eu un souci de santé; on pense à elle). "Ils ne savent pas, même si j'en ai klaxonné certains à la gare avant de partir. J'ai toqué au carreau pour faire voir que c'était moi. On va pouvoir en rediscuter dans la semaine."

Je suis vraiment heureuse de cette belle expérience.

Élise, conductrice professionnelle à la Citura (et bénévole ce jour pour l'Astur)

Conduire un bus des années 1990, ça n'a rien à voir avec les bus d'aujourd'hui. "Tout a changé. C'est comme comparer une voiture d'aujourd'hui et une vieille voiture. Au niveau du confort par exemple. Mais moi je les ai connus, je les aime bien. Ça ne me dérange pas, même s'il n'y a pas d'assistance de direction. C'est top et je suis vraiment heureuse de cette belle expérience." 

Voyage dans le temps

Cyril interroge chacune des personnes assises dans le bus pour savoir ce qu'elle pense de ce voyage. Et glane parfois quelques souvenirs savoureux. "J'ai eu ma première main aux fesses dans ce bus", fait remarquer l'une des passagères à l'avant. "Et j'y ai donc aussi mis ma première baffe", ajoute-t-elle avec un sourire.

Le bus commence par prendre les larges voies traversant Tinqueux, puis Thillois. On dépasse notamment Ikéa, avant d'arriver dans un secteur plus champêtre. Cyril, au micro, demande si tout le monde l'entend... et pas vraiment, mais c'est l'intention qui compte.

Premier point d'intérêt, mais où on ne s'arrête hélas pas : l'ancien circuit de Gueux. Même pas le temps de le photographier, zut. En plus, des affiches collées sur les vitres avant à droite empêchent d'y voir grand-chose (elles annoncent les prochaines sorties de l'Astur). "Le circuit sert pour la première fois en 1926 et la dernière course y est disputée en 1972", commente Cyril qui a revêtu sa casquette d'historien. "Il fait 7,86 kilomètres de long."

Le site a été abandonné un temps, faisant la joie des adeptes de l'urbex (exploration urbaine de bâtiments abandonnés comme des usines ou des manoirs), avant qu'une association tente de lui redonner un peu de vie. On peut encore apprécier aujourd'hui les anciennes enseignes de L'Union, L'Équipe, ou Elf rappelant les années 1960. C'est un véritable voyage dans le temps que propose ce bus, à tous points de vue. 

Une mascotte à bord

Le paysage agricole (des champs à perte de vue; ça manque un peu de haies, garantes de la biodiversité) laisse parfois place à des îlots de constructions récentes. Ici tel centre de logistique Aldi, là tel terrain de sport... Le contraste paraît parfois étrange.

Je ne manque pas d'être étonné en passant devant une colline verdoyante : on dirait vraiment le célèbre fond d'écran par défaut qui s'affichait sur les écrans d'ordinateur à l'ère de Windows XP. Pour l'anecdote, la colline de Microsoft dont je parle, située dans la vallée californienne de Napa, n'est plus couverte d'une prairie verte aujourd'hui mais de vignes, comme les paysages qui nous entourent. Pendant ce temps, Cyril poursuit ses explications, mais quelqu'un s'exclame "plus fort" : il semble y avoir un souci avec l'enceinte. Les aléas des premières fois...

J'ai parlé de 53 passagères et passagers, mais en réalité, j'aurais peut-être dû dire 54. "Elle est où ma dinde", s'exclame quelqu'un ? Non, personne n'a introduit de volaille dans le bus en revenant du marché : il s'agit d'un petit chien. "Ah, c'est ma paupiette." Attendez, c'est une dinde ou une paupiette ? Ce chien semble avoir beaucoup de noms (le vrai, c'est Millie). Une dame à proximité se met à expliquer que son chien à elle s'appelle Caramel. On est sur une thématique alimentaire visiblement...

Je me désintéresse du chien et me concentre un peu plus sur la route : je suis quand même là pour ça à la base. Les panneaux de commune indiquent Vrigny. Une résidence pavillonnaire dispose dans son jardin d'un immense drapeau corse flottant au sommet d'un mât.

L'un des édifices remarquables de cette petite commune, c'est une fontaine abritée par un préau. L'ensemble évoque un lavoir, qui a été rénové. La fontaine est de récente facture : 1995 (je venais tout juste de naître). Malgré son côté paisible, ce site en a vécu des choses : j'apprends en ligne qu'un camion a dérapé et foncé dedans en 2001, occasionnant quelques dégâts.

Les souvenirs de la guerre

À citer aussi, devant la mairie, plutôt jolie, un monument aux morts. Comme il y en a tant en France, mais notamment dans ces contrées dévastées pendant la guerre de tranchées en 1914-1918. 

Un autre monument, plus discret, rappelle cette période. L'une des fameuses bornes Vauthier, raconte Cyril. Elles ont été érigées après la guerre pour matérialiser la ligne de front, depuis la Belgique jusqu'au Hartsmannwillerkopf alsacien (décrite comme une montagne mangeuse d'hommes au plus dur des combats).

Elle a été vandalisée par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale, mécontents de la mention "ici fut repoussé l'envahisseur allemand", et déplacée au milieu de nulle part. Avant de susciter un certain émoi à l'approche du centenaire et d'être à nouveau installée devant la coopérative sise entre Vrigny et Coulommes-la-Montagne. 

Cyril profite du passage par ce village pour demander quel est le gentilé de sa population. Et il va le faire souvent, suscitant presque automatiquement des suggestions causant plus ou moins l'hilarité de la part du public. "Comment s'appellent les habitants de Vrigny ? - Les Vignerons ?" (il s'agit des Vrignolais et Vrignolaises) Puis une partie des gens se met à chanter à la conductrice "d'appuyer sur le champignon" : ce qu'elle fait, mais en montée, ça ne semble pas faire une grande différence.

Nous voilà à présent à Pargny-lès-Reims. Selon Cyril, c'est là où est née l'appellation d'origine contrôlée du champagne. Une mesure nécessaire pour que n'importe quel breuvage ne porte pas éhontément et abusivement un nom aussi prestigieux : gare, la douane surveille et n'hésite pas à détruire les saisies.

Des rues pittoresques

Le voyage suit son cours. Le ciel bleu azur est magnifique, il n'y a pas un nuage, et le thermomètre indique 29 degrés. On arrive à Jouy-lès-Reims, dont la voie principale est dotée d'une quantité impressionnante de ralentisseurs.

J'essaye de noter toutes les maisons de champagne établies le long de notre trajet et qui gagneraient à être connues. Mais devant l'ampleur de la tâche, j'y renonce bien vite. Certaines ont décoré les abords d'hôtels particuliers avec d'anciens pressoirs, et se repèrent donc de loin. D'autres sont abritées par de simples maisons avec une petite plaque signalant à qui on a affaire. Le monde du champagne, c'est beaucoup de géants, mais aussi de nombreux petits poucets. On passe parfois aussi devant d'immenses tonneaux de champagne découpés et reconvertis en bacs à fleurs. 

Une fois à Sacy, dont la rue principale est ornée de jolis fanions suspendus colorés, Cyril redemande comment on nomme la population locale. Pascale, assise tout à l'avant, s'autorise un trait d'esprit : "les debouts. Assis, debout, vous voyez ?" Mais ça ne fait pas mouche. Jusqu'à ce que Cyril, au fond du bus, reprenne la blague à son compte. "Il m'a piqué ma blague", s'écrie Pascale en riant (réponse : Sacéens et Sacéennes en réalité).

Puis, à Écueil, traversée par un drôle de bassin peu profond, la question est reposée. "Les habitants d'Écueil sont les Écureuils", tente quelqu'un. Mais en réalité, il s'agit des Écriennois et Écriennoises. À noter qu'on passe à côté d'un "Spa champenois" qui semble inviter à la détente, mais nous avons une route à poursuivre (et on ne va peut-être pas débarquer à 53 dans le jacuzzi). Cyril dit qu'il a mal à la gorge et boirait bien un peu d'eau. Ce que fait justement pendant ce temps Millie (le chien, on le rappelle), dans un petit tupperware sur les genoux de sa maîtresse : une solution astucieuse... ou asturcieuse (le nom de l'association) si l'on peut dire.

Un clocher recordman

On arrive à Chamery. Dont les habitantes ou habitants ne sont pas "les Chameaux" ou "les Chamallows", mais plutôt "les Chamayots", comme l'explique doctement Cyril dans son micro. Il nous apprend aussi que le clocher de l'église Saint-Pierre et Saint-Paul est le plus haut du département. Si vous vivez rue Perseval, dans le quartier Jean Jaurès de Reims, sachez au passage qu'elle est baptisée au nom de Nicolas Perseval, un peintre né dans ce village. 

En nous dirigeant vers la sortie du village, on passe devant un joli champ de coquelicots, assez étendu mais que je n'ai pas le temps de photographier. L'occasion pour moi de vous présenter à la place ce tableau de Monet, grand peintre impressionniste, visible actuellement au musée d'Orsay à Paris.

Le bus peine à prendre la montée assez longue qui s'étend devant lui. "Vous pouvez pédaler", demande la conductrice, hilare, d'une voix sonore. En parlant de pédale, deux cyclistes en tenue ont fait un arrêt sur le bas-côté, dans l'herbe, et saluent le bus à son passage à leur hauteur.

Finalement, le panneau annonçant la commune de Nanteuil-la-Forêt est dépassé. Et le bus doit encore grimper une côte, à 20 km/h seulement. Il faut 48 litres de carburant (du gazole) pour faire 100 kilomètres. À deux euros du litre, c'est donc un investissement.

La capitale du champagne

Place à Hautvillers. Recouverte en grande partie d'une forêt domaniale et de vignes, elle prétend avec Reims et Épernay au titre de capitale du champagne, rappelle Cyril. En effet, c'est à l'abbaye Saint-Pierre de Hautvillers que sont morts Dom Pérignon et Dom Ruinart, à qui l'on doit le vin effervescent tel qu'on le connaît de nos jours.

Le bus arrive juste à côté d'un point de vue en hauteur, où ont été aménagées une croix en fer forgé et une grande sculpture en bois. Un motard, garé là, démarre précipitamment pour laisser de la marge au bus. Tout le monde descend, y compris le chien. "On va se dégourdir les pa-pattes." Le panorama est à couper le souffle. 

Des panneaux indicatifs nous apprennent qu'au début de l'ère commune, quand les vignes n'avaient pas encore été plantées, on ne trouvait ici que des pâturages, des parcelles de forêts, et des champs de froment. Désormais, c'est une véritable mer de vignes qui s'étend devant nous. 

L'occasion d'apprendre que le phylloxéra a profondément bouleversé ce paysage au début du XXe siècle : il a fallu tout arracher. Aujourd'hui, on voit des rangs bien nets de vignes supportées par des fils de fer, à savoir des cépages de chardonnay, de pinot noir, et de pinot meunier. Autrefois, c'était bien plus touffu et moins ordonné.

Deux dames font un direct devant une sculpture en fagots avec leur téléphone pour envoyer un souvenir à leur entourage. On les entend pas mal de par leur enthousiasme : il y a vraiment une bonne ambiance lors de cette sortie.

En route vers le pays d'Aÿ

Après une demi-heure d'arrêt, il est temps de remonter à bord. Une sorte d'appel est fait... en quelque sorte. "Les absents, levez la main. Mais... pourquoi j'en vois lever la main ?" Après avoir mitraillé (photographiquement) le tableau de bord, je laisse la conductrice redémarrer.

Le bus ne va pas aller bien loin : un camion municipal obstrue le carrefour d'une petite rue, alors que ce qui semble être une fête franco-allemande a lieu dans un square abritant une grande statue de Dom Pérignon. Il s'agit en réalité du parc Pierre Cheval, et la statue, qui tient un vrai verre en verre, a moins d'un an.

Après négociation avec un agent de la commune, le bus peut passer s'engager dans des rues assez étroites, devant des passantes et passants qui ne cachent pas leur étonnement de voir cet ancien véhicule dans leur village. Tout le monde donne des conseils à Élise pour slalomer entre les voitures et le mobilier urbain, mais elle sait ce qu'elle fait, merci pour elle.

Le passage dans le centre-ville est l'occasion de découvrir l'élégant bâtiment abritant la mairie. Lors de la redescente vers l'agglomération d'Épernay, l'ex-journaliste de France 3 Alsace que je suis n'a pas pu manquer un panneau indiquant le jumelage d'Hautvillers avec Éguisheim. Ce village du Haut-Rhin est non seulement l'un des préférés de la population française, mais c'est aussi le berceau de la viticulture alsacienne. Un jumelage plein de symbole, donc.

Nous en sommes à la moitié de l'excursion, qui va bon train, et voilà que je m'aperçois de la disparition de mon stylo quatre couleurs fétiche. Je l'ai posé deux secondes à côté de moi le temps de photographier une scène, et il en a profité pour se carapater. Je bascule donc sur un crayon de secours, non sans pester. Un des bénévoles a aussi la gentillesse de me donner un joli stylo-cadeau Moët & Chandon : c'est sans doute la seule chance de ma vie d'en obtenir un, vu que je ne risque pas d'avoir les moyens d'acheter ce champagne pour millionnaires et têtes couronnées

J'ai tout juste le temps de noter la nouvelle anecdote de Cyril. Selon lui (les experts en linguistique n'ont pas l'air d'approuver à l'unanimité), Épernay est une ville dont le nom est d'origine latine. En se centrant sur la ville d'Aÿ, la ville située avant aurait donné Avenay, et celle après Épernay. 

L'heure du goûter

Après un trajet à travers les communes constituant Aÿ-Champagne, on se retrouve sur la longue avenue Leclerc de Dizy... où se tient une brocante qui nous bloque (on en avait déjà croisé une dans l'un des villages précédents). Le bus remonte ensuite vers Avenay citée précédemment, Fontaine, Tauxières-Mutry où j'apprends que le compteur kilométrique vient d'atteindre 773 952 (pas mal). Finalement, nous voilà à Louvois. 

Là, un nouveau point de vue nous attend. Et surtout, un goûter constitué de petits pains et de croissants. Des boissons style Oasis sont servies, mais aussi du café et du chocolat (quelqu'un manque de recevoir du café au lieu de son chocolat, ça aurait été assez amer). 

Le point de vue est orné de différents panneaux indicatifs. Ils nous apprennent que la vaste étendue de vignes visible d'ici est constituée de pas moins de 282 000 parcelles. Je ne m'amuse pas à compter pour vérifier... Pendant ce temps, Élise photographie sa fille qui est allée se placer au volant : je m'amuse donc à photographier la scène pour constituer une amusante mise en abyme. 

Comme je tiens un carnet pour prendre mes notes, deux participantes viennent me demander si elles peuvent réserver pour les prochaines sorties, ayant lieu notamment à Axo Plage (dans l'Aisne), et au lac du Der. Oui, c'est possible de réserver... mais pas auprès de moi. Cyril va bientôt se faire prendre d'assaut, littéralement, pour enregistrer toutes les demandes.

On redémarre

Le goûter est englouti. Et mon stylo quatre couleurs est mystérieusement récupéré dans la sacoche de Cyril (par une bénévole : je ne fouille pas les affaires des gens), sacrée anecdote, il devait avoir glissé. Nous devrions repartir, mais le bus semble avoir besoin de se refroidir. Cyril ouvre le moteur (qui se trouve à l'arrière) pour montrer le mécanisme, sous plusieurs paires d'yeux ébahis. Ravi, je filme la scène (le bruit est assez charmant), avant de me rendre compte, agacé, que j'ai photographié au lieu de filmer : le soleil est tellement fort que je ne vois pas grand-chose à ce qui s'affiche sur l'écran. Pas grave, ça a un certain effet quand même.

Après redémarrage, nous traversons Bouzy, puis Aubonnay. Une petite boîte circule pour rassembler une cagnotte, de quoi financer les activités et frais de l'Astur.

Il règne une sorte de petite torpeur : le goûter et la chaleur semblent avoir calmé tout le monde, il y a moins d'agitation et d'exclamations. Des gens s'endorment même, mais je ne peux décemment pas dire qui. Néanmoins, l'ambiance reste assurée par les bénévoles. Trépail puis Villers-Marmery et Verzy suivent.

À l'arrivée sur Verzenay, Cyril nous apprend que les habitantes se nomment les Bouquines, et les habitants les Bouquins. Pourquoi pas ?

Plus dramatique, il nous apprend que la position idéale de la ville en a fait une cible privilégiée des artilleurs allemands pendant la Première Guerre mondiale. Avec près de 6 000 obus tombés sur les bâtiments, Verzenay aura été une des localités les plus bombardées pendant la guerre, et il faudra une décennie pour tout reconstruire. 

À l'horizon, un village détruit

On quitte un ancien village détruit (et reconstruit), traverse Prunay connue pour son aérodrome, et se dirige vers un autre village détruit (et qui l'est resté)... ou ce qu'il en reste. Il s'agit de Nauroy.

Ravagé lors de la guerre, le secteur a été abandonné par son maire et sa population. Il ne restait plus rien à reconstruire. Les arbres ont ensuite poussé, offrant une configuration végétale inédite à ces lieux dévastés. Aujourd'hui, seuls quelques panonceaux et un grand tableau permettant de savoir qui vivait ici il y a plus d'un siècle.  

L'histoire des lieux invite à la retenue et au calme. Excepté des bourdonnements d'insectes, on n'entend pas grand-chose. J'avance sur l'allée tracée entre les arbres, et tombe soudain sur deux dames du groupe. "On est perdues ? - Non, y a le gamin, il est avec nous." Leur échange me fait sourire, même si je suis passé pour le gamin de l'excursion.

Le cimetière, ceint de murs assez hauts et d'une petite chapelle, a résisté au temps. Une association, Les Amis de Nauroy et de l'église de Beine, entretient les lieux et fait vivre le souvenir de l'ancien village (voir publication ci-dessous).

Un carré militaire allemand y subsiste, entouré d'anciennes pierres tombales plus ou moins brisées. Les ennemis d'autrefois ont été traités avec respect par les bénévoles de l'association quand trois corps et des petits ossements ont été découverts. "On a retrouvé des obus creux, retournés, et vides. On pense qu'ils ont servi de vases pour mettre des fleurs." 

Beaucoup de personnes viennent d'outre-Rhin pour visiter ce village détruit et marqué par la présence allemande. Des publics scolaires notamment, qui sont invités à participer, le temps d'une journée, à l'entretien du cimetière et de la chapelle attenante. Son fronton représente une veuve pleurant sur la tombe de son mari.

Plus que des considérations géopolitiques, c'est ça la guerre : des familles brisées. Ce village le rappelle bien. Et le message passe avec amertume.

Une dame passe à côté de moi et fait remarquer à son mari que "c'est un peu la même chose en Ukraine". C'est vrai que la comparaison paraît pouvoir se tenir, même si nous sommes pourtant au XXIe siècle. 

Retour au bercail

Il est temps de s'en aller et de revenir sur Reims. Le bus s'ébranle, traverse Beine-Nauroy (qui a officiellement absorbé le territoire de la commune détruite et ajouté son nom au sien) puis Nogent-l'Abbesse. Devant une maison récente, des hommes qui ont tombé le maillot boivent des bières. "Ils ont l'air bien, eux", fait remarquer un passager. 

En traversant Berru, connu pour sa très grosse antenne de télécommunications (et une surprise fâcheuse qui avait été découverte sur son toit), j'aperçois une rue de Caurel. Cela m'amuse, car me fait penser à mon collègue Teddy Caruel (il suffit d'inverser deux lettres), un brillant journaliste reporter d'images (JRI, qui filme à la caméra).

Une fois Cernay-lès-Reims atteinte, une longue route mène vers l'est de Reims. On y devine les deux tours du beffroi de la cathédrale Notre-Dame. La vue est très jolie. On atteint la Cité des sacres vers 19h30, un peu en retard sur le programme prévu (voir la carte du parcours ci-dessous).

Une dame a l'insigne honneur d'être déposée à un arrêt du quartier Jean Jaurès : elle habite juste à côté. Puis le bus poursuit vers le centre-ville. "C'est quoi ce bus de ouf", s'écrie un jeune au croisement de la rue de Cernay et de Carteret.

À l'opéra, Élise donne une dernière salve de coups de klaxon, et s'attire une quantité de regards curieux. Un monsieur presque ému vient demander, lors d'un arrêt à un feu rouge, ce que c'est que ce drôle de bus sorti du passé. Tout le monde descend devant la gare. Il est 19h35, et une belle excursion vient de prendre fin grâce au dévouement et à la bonne humeur de Cyril et des autres bénévoles.

Mais ça reprend dès le lendemain, à savoir le lundi 29 mai, où une nouvelle date surprise a été proposée devant le succès considérable rencontré par l'excursion de ce dimanche. En plus des autres balades prévues ailleurs, l'Astur tient là un bon filon, assurément. 

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