Alors que les traversées de la Manche sur des embarcations de fortune se multiplient, il n'y a jamais eu autant de migrants morts dans la Manche. Depuis le 1er janvier, au moins 37 ont perdu la vie en tentant de rejoindre l'Angleterre.
Au milieu de la file d’attente d’une distribution de nourriture organisée par une association dans le secteur de Grande-Synthe (Nord), Mariam patiente. Née au Kenya, la jeune femme a fui son pays en 2015, traversé l’Afrique jusqu’en Lybie où elle raconte avoir été esclave. La Lybie, où elle a donné naissance à deux enfants, âgés de 7 et 4 ans. Deux enfants présents à ses côtés, ce mercredi 4 septembre 2024, sur le littoral du nord de la France.
Une maman et ses deux enfants, qui ont déjà tenté de traverser la Manche à 5 reprises depuis leur arrivée dans le Dunkerquois il y a 3 semaines. Et qui, malgré la mort d’au moins 12 personnes dont une majorité de femmes et plusieurs mineurs il y a quelques heures, retenteront de nouveau de rejoindre l’Angleterre. "Bien sûr que j’ai peur et que je me dis que ce qui leur est arrivé pourrait nous arriver à nous aussi. Comment voulez-vous que je vous dise que je n’ai pas peur ?, lance-t-elle. Mais je sais aussi que d’autres parviennent à rejoindre l’Angleterre sur ces bateaux et je me dis que je peux y arriver moi aussi. Donc bien sûr que nous avons peur, mais nous n’avons aucune autre solution".
La mère de famille, qui a déjà traversé la Méditerranée avec ses deux enfants sur une petite embarcation, compte sur sa bonne étoile. "Je prie Dieu et lui demande de nous aider pour cette dernière traversée mais je ne pense pas à la mort".
Vies brisées
La mort n’a pourtant jamais été aussi présente au large des côtes du Nord et du Pas-de-Calais. Avec le naufrage au large du cap Gris Nez mardi 3 septembre qui a coûté la vie à au moins 12 exilés, 2024 est d’ores et déjà l’année la plus meurtrière de l’histoire moderne de la frontière britannique depuius l'explosion des traversées de la Manche.
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Derrière le décompte sordide des migrants qui ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Angleterre sur des bateaux de fortune, des vies stoppées, des familles brisées. Depuis le 1er janvier, au moins 37 personnes – hommes, femmes, enfants – sont mortes lors de cette ultime traversée, après des années de voyage sur les routes de l’exil à travers le monde.
C’est d’ores et déjà plus qu’en 2021, année marquée par le naufrage qui avait emporté 27 vies en novembre. C’est même deux fois plus que l’année dernière, alors que le mois de septembre vient à peine de débuter.
Sara avait 7 ans
Le 14 janvier, 5 migrants décèdent au large de la plage de Wimereux. Certains naufragés ont passé plusieurs heures dans une eau à moins de 10 degrés avant d’être héliportés en état d’hypothermie sévère. Sur la plage, le maire de la commune, qui assiste pour la première fois depuis sa prise de fonction à une scène d’horreur. "J’ai toujours prié pour que ça n’arrive pas chez moi", déclarait-il à l’époque. Un sentiment partagé par le maire de la commune voisine du Portel, qui parlait alors d’une nuit "d’horreur".
Le 3 mars, le corps inanimé d’une fillette de 7 ans est sorti de l’eau dans le canal de l’Aa, sous les yeux de ses parents et de ses frères. La famille avait tenté d’embarquer sur un petit bateau à Watten, un village situé à plus d’une vingtaine de kilomètres du littoral, pour éviter les forces de l’ordre. Le même jour, Jumaa Alhasan, Syrien de 27 ans, disparaît dans le canal de Dunkerque. Son corps sera repêché deux semaines plus tard.
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Le 23 avril, nouvelle scène d’horreur à Wimereux. 5 personnes meurent à quelques dizaines de mètres de la plage. Parmi les victimes, Sara, Irakienne de 7 ans, morte sous les yeux de son père. La fillette a été piétinée par d’autres exilés sur un bateau surchargé qui comptait plus de 110 passagers.
Je n’ai pas pu la protéger, je ne me le pardonnerai jamais. Mais je n’avais pas d’autre choix que de prendre la mer.
Père de SaraBBC
Entre le 12 et le 19 juillet, 7 migrants ont perdu la vie dans 4 naufrages différents. Parmi les victimes, une femme érythréenne morte noyée et une jeune passagère de 21 ans morte écrasée sous le poids d’autres passagers dans un canot surchargé.
Identifier les corps
Des drames qui se répètent, semaine après semaine, même si le nombre de départ de bateaux n’augmente pas, selon le ministre démissionnaire de l’Intérieur. "Il n’y a pas plus de bateau qui vont à la mer que dans les années précédentes, déclarait Gérald Darmanin après la mort de 12 migrants, mardi 3 septembre. Simplement aujourd’hui, par l’appât du gain, quand il y avait 30 à 40 personnes sur ces petits bateaux avec un petit moteur, aujourd’hui ils sont 70 à 80 sur les mêmes bateaux".
Sur le smallboat d’à peine 7 mètres qui s’est disloqué rapidement au large du cap Gris-Nez, à peine 8 exilés portaient un gilet de sauvetage. Les victimes - 10 femmes et 2 hommes - seraient d’origine africaine, pour la plupart nés en Erythrée selon le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer.
Ce mercredi 4 septembre 2024, les 12 corps sont en cours d’identification dans les locaux de l’Institut médico-légal de Lille. Au même moment, une nouvelle embarcation surchargée s’éloigne au large d’Audresselles, dans le Pas-de-Calais. "Quand cette horreur va-t-elle s’arrêter ?", s'indigne ce matin The Spectator, un célèbre magazine britannique.