Cet été, notre littoral a semblé comme envahit par les espèces sauvages : des raies à Marseille, des tortues dans le Var et les Alpes Maritimes, un requin bleu à Hyères et aussi des millions, sans doute, de méduses. Alors que se passe-t-il ? Y a-t-il de plus en plus de faune marine sauvage ?
Voici l’espace mer et littoral de la ville d’Antibes. Le site est au cœur d’un ancien fortin. Là, caché sous la pinède, face à la "grande bleue" est hébergé le centre de réhabilitation de la faune sauvage. Un petit bâtiment avec des bassins. Le lieu existe depuis 2017. Les tortues marines échouées sur nos plages y sont soignées avant, si elles survivent, de retourner en mer.
Sidonie Catteau est biologiste marine et c’est l’une des spécialistes françaises des tortues caouanes, celles que l’on rencontre dans les eaux de la Méditerranée. En six ans, le centre a déjà sauvé 20 de ces reptiles marins.
Un total de 526 naissances de tortues
Lorsqu’elles arrivent, chacune d’entre elle passe entre les mains d’un vétérinaire. Radio, prise de sang, hydratation, échographie, les tortues font un véritable check-up. Toutes présentes des lésions : fractures de la carapace, amputation d’un membre, ingestion de déchets.
"Notre capacité d’accueil est de cinq tortues. Le but est évidemment de les remettre à l’eau. C’est un aboutissement en soi, assure Sidonie Catteau. Depuis que je suis gamine, je me suis dit que je travaillerai sur la mer. Ça fait plus de 20 ans que je bosse avec elle."
Cet été, le nombre de pontes a battu des records : 13 répertoriés sur notre littoral méditerranéen français. Un été extraordinaire pour Sidonie.
La scientifique a passé la période estivale à sillonner les plages et à constituer des équipes de bénévoles afin de surveiller les nids et d’observer les naissances de ces tortues protégées depuis trente ans. Pas de jour de repos, pas de week-end, et parfois même pas de nuit au moment des éclosions. Au total, 526 bébés tortus sont nés.
"L'augmentation des températures de surface modifie les courants"
Alors pourquoi les tortues sont-elles venues pondre sur notre littoral ? "La tortue marine est une espèce migratrice. L’augmentation des températures de surface modifie les courants, souligne la biologiste marine. Durant la période d’accouplement, les mâles et les femelles se retrouvent, les femelles se laissent ensuite porter par les courants pour pondre."
Cela peut sembler une bonne nouvelle. Mais voilà, notre littoral est extrêmement peuplé et le comportement de l’homme impacte celui de cet animal fragile. Sidonie en fait un sombre inventaire.
Sur une table dite de caractérisation, elle étale tout ce qu’elle a trouvé dans les estomacs de tortues retrouvées mortes. Et il y en a pour tous les goûts. Emballage plastique de cigarette, morceaux de sacs en plastique, bouchons de bouteilles, Capri Sun, chouchou pour tenir les cheveux…
"Dans 100 % des tortues mortes, on retrouve du plastique."
Sidonie Catteauà France 3 Paca
"La tortue est une espèce opportuniste, elle mange tout ce qu’elle trouve, se désole-t-elle. Et parfois aussi le plastique est à l’intérieur de la nourriture qu’elle absorbe." Alors oui, il y a plus de tortues caouanes, mais vont-elles résister longtemps à notre comportement ?
Une recrudescence de méduses
Les méduses sont présentes depuis plus de 600 millions d’années dans les mers et océans. Fabien Lombard, scientifique lui aussi, vient d’arriver au centre de réhabilitation. Il est enseignant chercheur au laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer et travaille sur le plancton dont font partie les méduses. Un organisme complexe présent dans les océans depuis plus de 600 millions d’années.
"Comme les tortues, les méduses sont aussi portées par les courants, décrypte-t-il. Leur système nerveux n’est pas centralisé, il est très simple. Malgré cela, elles réagissent à leur environnement. Jusqu’à il y a peu, les océans étaient à elles."
Pour Fabien Lombard, "il y a parfois des vagues de cinq ou six années où les méduses sont plus nombreuses. Un phénomène décrit depuis les années 1980. Ce qui est difficile à décrire, c’est pourquoi elles viennent. Cela dépend des vents dominants qui vont ou pas les rabattre vers la côte."
Le scientifique précise aussi que les méduses n’ont pas la volonté de piquer. La solution pour éviter d'être dérangé : porter un masque pour regarder sous l’eau et éviter de se baigner lorsqu’elles sont trop nombreuses.
L'effet loupe des réseaux sociaux sur les requins
A 25 ans, Julien Gasc vient d’être embauché par Ailerons, une association dont le travail est de mettre en lumière les élasmobranches, c'est-à-dire les raies et les requins.
Car oui, ne tremblez pas, mais en Méditerranée, on ne compte pas moins de 40 espèces de requins. "Depuis 1874, on recense seulement cinq attaques de requins en France Métropolitaine, donc c’est extrêmement rare." Le jeune homme est un passionné, c’est lors d’un voyage dans l’océan Indien avec ses parents, qu’enfant, il a découvert les requins. "Mon rêve est de croiser un grand requin blanc en Méditerranée pour pouvoir l’observer !"
Pour Julien, il n’y a pas plus de raies ou de requins que d’habitude. "C’est l’apparition des réseaux sociaux et la multiplication des images qui nous donnent cette impression", assure-t-il.
"Chaque fois qu’un requin s’approche, il est photographié, filmé, médiatisé. Mais non, ils ne sont pas plus nombreux bien au contraire."
Julien Gascà France 3 Paca
Les requins qui s’approchent des côtes sont, pour la plupart, blessés ou malades. Certains sont aussi victimes de prises accidentelles de la part des pêcheurs qui les relâchent parfois en les blessant.
Dans le monde, 200 millions de requins sont tués chaque année pour leurs ailerons.
Pour ces trois scientifiques, notre littoral est loin encore d’être envahi par les espèces sauvages. Mais ils ont une certitude : nous devons cohabiter et surtout prendre soin de ces espèces qui risquent sinon de disparaitre.
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