Attentat à la basilique de Nice : des avancées dans l'enquête

Le 29 octobre 2020, vers 8h30, Brahim Aouissaoui pénétrait dans la basilique de Nice armé d'un couteau. Nadine Devillers, Vincent Loquès, sacristain de la basilique et Simone Barreto Silva perdaient la vie sous les coups acharnés du jeune Tunisien. Nos confrères de l'AFP ont eu accès à certains documents qui révèlent la détermination du suspect à invoquer une amnésie. Samia Maktouf, l'avocate de la famille de Vincent Loquès, et Philippe Soussi, avocat de la partie civile, partagent avec nous leurs sentiments sur cette affaire.

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Je ne m'en souviens pas, je n'ai rien à dire.

Brahim Aouissaoui

Ce sont ces mots qu'a répondu Brahim Aouissaoui le plus souvent au juge d'instruction antiterroriste. Ce dernier l'a interrogé cinq fois entre le 6 avril 2021 et le 28 novembre 2022, selon des documents concernant l'attentat de la basilique de Nice en octobre 2020, qu'ont pu consulter nos confrères de l'AFP. Des mots qui révéleraient la détermination de Brahim Aouissaoui, accusé d'avoir tué trois personnes, mais qui refuse d'expliquer son acte, en plaidant une amnésie.

Rappel des faits

Le 29 octobre 2020, vers 8h30, Brahim Aouissaoui, 21 ans, pénètre dans la basilique de Nice armé d'un couteau d'une lame longue de 17 cm. D'abord il s'en prend à Nadine Devillers, une fidèle de 60 ans qu'il laisse pratiquement décapitée. Puis il poignarde la Franco-Brésilienne Simone Barreto Silva, 44 ans, mère de trois enfants, qui se réfugie dans un restaurant avant de mourir, et enfin le sacristain Vincent Loquès, 55 ans, père de deux filles.


Deux policiers municipaux lui tirent dessus à plusieurs reprises alors qu'il se jette sur une patrouille en brandissant son couteau et criant "Allah akbar". Gravement blessé et menotté en attendant les secours, il récite des prières en répétant plusieurs fois "Allah akbar".

Qui est Brahim Aouissaoui

  • Originaire de Sfax en Tunisie, il côtoie des adeptes de l'idéologie salafiste dont au moins deux sont connus des services antiterroristes tunisiens. Consommateur d'alcool et de drogues, il change de comportement fin 2018 et "devient assidu" dans sa pratique religieuse, relatent sa famille et des amis d'enfance. Il jeûne les lundis et jeudis - comme les musulmans d'obédience salafiste ou rigoriste- et multiplie les injonctions religieuses à sa famille et ses amis. Vendeur d'essence au noir, il a quitté son pays dans la nuit du 19 au 20 septembre à bord d'une embarcation avec dix autres personnes,sans prévenir sa famille.

  • Arrivé sur l'île italienne de Lampedusa, il est placé en quarantaine en raison du coronavirus et rejoint la Sicile le 11 octobre. Il y travaille deux semaines dans le "seul but de se procurer l'argent permettant de voyager jusqu'en France", selon les enquêteurs. "Normalement demain je partirai en France, le pays des mécréants et des chiens", écrit-il à un contact le 25 octobre. "Mon ami je travaille un peu, j'ai un projet, que dieu me le facilite", envoie-t-il la veille à un autre, "j'ai quelque chose à faire, j'espère que dieu facilitera les choses".Si aucun message explicite sur un projet d'attaque n'a été retrouvé, les investigations ont démontré "la radicalisation à caractère terroriste" du Tunisien et "sa haine de la France". Dans son portable ont été retrouvées des photos d'Abdullakh Anzorov, l'assassin de Samuel Paty, et du président Emmanuel Macron devant le cercueil de l'enseignant, publiées le 22 octobre dans un magazine du groupe Etat islamique avec un appel "à tuer les mécréants français". Brahim Aouissaoui réfute toute radicalisation, même si sa pratique rigoriste est confirmée.

  • Il arrive dans la soirée du 27 octobre en gare de Nice.

  • Sur Facebook, il envoie régulièrement à ses proches un lien vers un prêche de Khaled Al-Rashed, salafiste ayant appelé à la fermeture de l'ambassade du Danemark après la publication de caricatures de Mahomet. "Qu'est-ce que la pratique religieuse très stricte ? Moi je fais la prière", rétorque-t-il au magistrat qui relève qu'il s'est rendu plusieurs fois à la mosquée lors de son séjour à Nice.

Amnésie et confusion feinte ?

Lorsqu'il se réveille à l'hôpital, il affirme avoir "tout oublié de ses actes, assure à tort que ses parents sont morts et se trompe dans la composition de sa fratrie".
Lors de son premier interrogatoire, il pousse les dénégations jusqu'à l'absurde, refusant de se reconnaître sur des photos trouvées dans son téléphone ou les images de vidéosurveillance. "Si cela avait été vraiment moi sur ces images, je me reconnaîtrais", s'impatiente-t-il. "Allez-vous enfin cesser de nier les évidences !", s'agace le magistrat en soulignant son "indéniable mauvaise foi".

Deux interventions chirurgicales et un séjour en réanimation ont pu altérer ses souvenirs dans les jours précédant les faits, notent deux experts psychiatres, mais pas au point de lui faire perdre totalement la mémoire et ses repères biographiques.

Une stratégie de défense ?

"Le caractère systématique et opportuniste" de son amnésie ne constitue pas "un déni" mais "un système de défense qui relève d'un refus de toute collaboration avec la justice", considèrent les deux experts psychiatres.

"Il est enfermé dans une mémoire défaillante qui l'empêche de savoir exactement ce qu'il s'est passé pendant les quelques jours du périple meurtrier qu'on lui prête", analyse son avocat, Tewfik Bouzenoune. "Rien ne permet de dire qu'il mente sur cette amnésie".

Des propos que réfute Samia Maktouf, avocate de la famille de Vincent Loquès : "Cette amnésie révélée lors de l'instruction n'est que stratégie et n'est que moyen de disperser les éléments et de ne pas avouer l'évidence".

L'avis des experts

Selon les experts, Brahim Aouissaoui, longtemps accro à l'alcool et aux stupéfiants, "se rachète dans le rigorisme et l'ascétisme avant de basculer dans l'engagement radical puis l'action terroriste". Son discernement lors de l'attaque n'était ni aboli ni altéré et il présente un "profil psychopathique violent".
Les coups portés aux victimes, notamment à la gorge, confirment "l'acharnement et la détermination à tuer de Brahim Aouissaoui", ajoute une note de synthèse. Les policiers qui sont intervenus se souviennent de son "regard noir", de son "cri de haine", un "cri de guerre". "Cet homme voulait nous tuer", dit l'un d'eux.

Un écho aux attentats jihadistes de 2015 ?

En France, la menace d'un attentat jihadiste renaît avec la republication début septembre des caricatures de Mahomet par Charlie-Hebdo à l'ouverture du procès des attentats de janvier 2015. Plusieurs groupes jihadistes appellent à viser la France.

Fin septembre, un Pakistanais poignarde deux personnes devant les anciens locaux de l'hebdomadaire satirique à Paris. "Votre projet de départ est à peu près concomitant à ces appels", constate le magistrat instructeur. Mais l'attaque de la basilique n'est pas revendiquée par les groupes jihadistes, qui s'en félicitent néanmoins.

Sur Brahim Aouissaoui, les enquêteurs ne découvrent aucune preuve d'allégeance à l'un de ces groupes. Mais pour eux, son parcours migratoire semble s'inscrire "dans une logique terroriste".

Dernières révelations de Brahim Aouissaoui

Après quasiment deux ans à éluder le sujet ou invoquer une amnésie, Brahim Aouissaoui laisse entendre à l'un de ses frères, incrédule, qu'il est bien l'auteur de l'attaque lors d'une conversation téléphonique en juillet 2022.  "Tout est fonction du destin du seigneur (...) Je suis satisfait de ce que le
seigneur a écrit pour moi", lui dit-il. En détention, où il enchaîne les incidents et se rapproche de détenus radicalisés, il se vante aussi d'être l'assaillant de Nice.

Deux semaines après son arrivée en juin 2022 au centre pénitentiaire de Meaux (Seine-et-Marne), il est transféré en urgence à Beauvais (Oise), soupçonné de préparer une attaque contre les surveillants avec deux autres détenus radicalisés. "Le caractère terroriste de sa démarche ne repose que sur des éléments recueillis a posteriori. Qu'en est-il de sa radicalisation avant son arrivée en France et de son éventuelle participation à un groupe terroriste ? Pour l'instant, il n'y a rien", estime son avocat. Rien si ce n'est les confidences faites à l'un de ses frères qu'il est bien l'auteur de l'attaque lors d'une conversation téléphonique en juillet 2022, selon Philippe Soussi, un des avocats des parties civiles.

Dans ce dossier, aucun complice ou commanditaire n'a pu être identifié, selon les documents consultés par l'AFP.

L'avis des avocats de la partie civile

"Je vous parle dans le principe du respect du contradictoire" nous explique Samia Maktouf, avocate de la famille de Vincent Loquès, "Nous sommes très très loin de la théorie du loup solitaire. Nous avons à faire à quelqu'un qui avait décidé de frapper la France et de tuer des mécréants en les égorgeant. Il y a des éléments dans ce dossier qui ne laisse aucun doute sur sa détermination, son profil, ses échanges téléphoniques et Facebook quant à son adhésion à l'idéologie terroriste."

Selon maître Maktouf et maître Soussi, avocats des parties civiles, le prochain rendez-vous judiciaire serait la date de clôture et l'ouverture des voies de recours pour le suspect. Seul regret pour maître Maktouf : " Malheureusement, nous n'avons pas eu assez d’éléments par le biais de la convention franco-tunisienne d'entraide judiciaire. C'est bien dommage. C'est également la même situation pour l'attentat du 14 juillet sur la promenade des anglais de Nice".

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