C'est une première qui pourrait faire jurisprudence pour les autres ex-salariés. Édith a travaillé 34 ans chez Tétra Médical à Annonay. Sa pathologie non cancéreuse vient d'être reconnue comme maladie professionnelle en lien avec une forte exposition à l'oxyde d'éthylène, un gaz mutagène et reprotoxique.
Revenir devant l'usine Tétra Médical réveille ses angoisses. Édith Pasquion ne garde que des mauvais souvenirs des trois décennies passées dans ce laboratoire de stérilisation des matériels médicaux. Mais elle a gagné son premier combat. Le mal dont elle souffre – bien que non cancéreux – vient d'être reconnu comme maladie professionnelle. Une décision encourageante qui servira de jurisprudence pour les autres salariés, souffrant, eux aussi, de nombreuses pathologies.
Une maladie enfin reconnue
"Avoir travaillé 34 ans dans ce soi-disant laboratoire, avoir été exposée, sachant qu'on ne nous a rien dit, c'est dur. Je me sens avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête" dit-elle. Comme tous les salariés de l'entreprise, c'est uniquement équipée de blouses et de charlotte qu'Édith a travaillé quotidiennement en contact avec de l'oxyde d'éthylène, le gaz cancérigène utilisé pour stériliser les compresses.
Après quelques années dans les ateliers de découpes des compresses, elle est affectée au service de contrôle de conformité. Édith vérifie les cartons endommagés. "Quand j'ouvrais les cartons déjà passés par la stérilisation, je ressentais une certaine chaleur, due au gaz qui se dégageait et j'étais au milieu des boîtes entreposées pour leur désorption. Maintenant, je sais que j'ai été exposée à l'oxyde d'éthylène. " Pour son dernier poste, elle avait mission de récupérer les blouses utilisées par ces collègues avant de les conditionner pour le pressing... "des blouses contaminées" souffle-t-elle.
Quand les médecins diagnostiquent à Édith un abcès non cancéreux il y a une dizaine d'années, elle ne fait pas spontanément le lien. Elle entame un parcours de soins long et très éprouvant. C'est encouragée par d'anciennes collègues qu'elle entame une procédure pour faire reconnaître sa maladie.
Après un premier refus en juin 2023, le caractère professionnel de sa maladie vient tout juste d'être reconnu dans un courrier de la Mutualité sociale agricole. Un comité de reconnaissance des maladies professionnelles a finalement donné un avis favorable après consultation du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides.
Être reconnue en maladie professionnelle, bien que ça ne soit pas cancéreux, c'est une première victoire pour moi.
Edithex-salariée de Tetra médical
Cette reconnaissance, une première salutaire
Depuis la révélation du scandale sanitaire, la scientifique Annie Thébaud-Mony de l'association Henry Pézerat qui dénonce les "crimes industriels", accompagne les salariés dans leur démarche. Cette première reconnaissance d'une maladie non cancéreuse liée à l'oxyde d'éthylène, elle l'attendait. "On s'aperçoit qu'il y a toute une diversité d'atteintes moins caractérisées qui peuvent être des atteintes de type sensoriel, de type infectieux. L'ensemble de ces atteintes devrait être pris en compte. On espère que ce cas va faire jurisprudence" conclut-elle.
Aux côtés d'Édith, Cathy Guironnet est la première ex-salariée, à avoir obtenu la reconnaissance de ces deux cancers comme maladie professionnelle. La première aussi à avoir alerté le syndicat CGT et l'opinion publique sur ce scandale. Désormais, elle se bat pour sensibiliser aux multiples ravages de l'oxyde d'éthylène et faire tomber les tabous liés à la santé. "On se rend compte que les gens n'osaient pas parler de leurs problèmes de santé. Maintenant la parole se libère. Les gens parlent de plus en plus de leurs pathologies. Il faut qu'ils viennent vers nous et on les aidera".
Le spectre des potentielles pathologies est large : cataracte, abcès, fausses couches, problème sur les ovaires, la glande thyroïde, et d'autres sont encore à découvrir.
Un produit pire que l'amiante
L'oxyde d'éthylène est aussi connu sous le nom d'ypérite ou de gaz moutarde. Il a été utilisé pendant la guerre de 1914/18. Aujourd'hui, il est interdit en agriculture, dans l'alimentation, pour la stérilisation des biberons, mais pas dans le domaine de la santé. "Ça peut être pire que l'amiante, car il est mutagène. [...] Ça peut aller jusqu'aux petits-enfants !", alerte Guy Rousset. Des dossiers sont en cours devant le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides pour plusieurs enfants d'ex-salariés.
"L'oxyde d'éthylène est en effet un fongicide, un biocide" rappelle Annie Thébaud-Mony. Il est classé dans la catégorie des pesticides.
Ce n'est pas parce qu'on est des petits ouvriers qu'ils ont le droit de faire n'importe quoi
Guy Roussetsecrétaire de l'union locale CGT
Ex-salariés, famille et scientifiques, tous réclament un véritable suivi post-professionnel pris en charge par l'assurance maladie. Un programme est en cours d'élaboration avec le centre de santé des Cévennes à Annonay.