Démissions et crise de vocation chez les maires : à la recherche de l'heureux élu

Agressions, insultes, mais aussi surcharge de travail, paperasse, lourdeurs administratives... Les démissions sont légion parmi les maires, et les candidats à la reprise se font rares. La Bourgogne ne fait pas exception.

Le 105e congrès des maires de France, qui s'est ouvert ce lundi 20 novembre à Paris, réunit 10 000 élus dans un contexte où la vocation de maire est soumise à rude épreuve. Agressions, insultes, mais aussi surcharge de travail, paperasse, lourdeurs administratives... Les démissions sont légion, et les candidats à la reprise se font rares. La Bourgogne ne fait pas exception.

Insultes, incivilités... et parfois, violences physiques

Nous sommes à mi-mandat depuis les élections des municipales 2020. En trois ans, 84 maires de Bourgogne ont donné leur démission, dont 31 en Côte-d'Or et 30 en Saône-et-Loire. "Depuis 2020, ce phénomène de démissions s'accélère", note Ludovic Rochette, président de l'association des maires de Côte-d'Or, invité de Dimanche en politique ce 19 novembre sur France 3 Bourgogne. "On est au-dessus du rythme de démissions du précédent mandat 2014-2020, avec +44% de démissions de nouveaux maires."

Il avance plusieurs explications : "On a eu le covid, avec des listes constituées au dernier moment. Il faut aussi noter que de nombreux conseillers municipaux démisisonnent", explique Ludovic Rochette. Mais surtout :

"Les Français veulent de la proximité, or le maire est l'élu de proximité qui est aussi, malheureusement, à portée d'engueulade. L'image se dégrade"

Ludovic Rochette

président des maires de Côte-d'Or et maire de Brognon

À portée d'engueulade... ou de coups, dans les pires des cas. Certains élus se retrouvent en effet confrontés à des violences. Cas emblématique en Bourgogne : le maire d'Ouges (Côte-d'Or), agressé en 2021 à coups de barre de fer par sept personnes alors qu'il demandait à un conducteur de quad de rouler plus doucement. L'affaire sera jugée le 5 décembre prochain.

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Autre exemple en septembre 2020 en Saône-et-Loire : le maire de Cheilly-lès-Maranges agressé et menacé de mort à deux reprises dans la même semaine. Plus récemment, en 2022, le maire d'Azé Patrick Monin quittait ses fonctions "avant le point de rupture", confiait-il au JSL. Un mois plus tôt, il avait subi des menaces : "Un élu, ça marche droit ou je lui casse la tête", lui avait lancé un habitant. 

"Quoi qu’il se passait, c’était de ma faute"

Même sans subir de violences physiques, les maires sont soumis à une lourde charge mentale. Maurice Frachisse par exemple, ex-maire de Barjon (Côte-d'Or), a quitté son mandat avec "des souvenirs de merde" - ce sont ses termes. "Je recevais des plaintes, mais c’était n’importe quoi, et avec des incivilités. Quoi qu’il se passait, c’était de ma faute", se remémorait-il, amer, devant les caméras de France 3 en mai 2023.

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Autre exemple à Annay, dans la Nièvre, en 2020. L'accumulation des tensions avait fini par faire éclater le conseil municipal : le maire et huit conseillers avaient préféré démissionner.

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La vie des élus municipaux est parfois compliquée, même dans les petites communes. A Annay, dans la Nièvre, le maire et 8 conseillers viennent de démissionner. L'accumulation de tensions les a poussés à jeter l'éponge. ©Francetelevisions

Des remontrances pour "une crotte de chien" ou "une ampoule grillée"

Stéphanie Dumoulin, maire de Chauffailles et présidente de la communauté de communes du Sud-Brionnais Bourgogne, confirme une aggravation en particulier en cette année 2023. "On sent que les tensions, l'inflation, les conflits mondiaux, ont vraiment une influence sur nos administrés qui sont un peu moins tolérants."

"Il y a un décalage entre l'investissement des maires (des dossiers complexes, le sacrifice de la vie de famille) et les exigences des administrés qui semblent parfois démesurées."

Stéphanie Dumoulin

maire de Chauffailles

"Parfois, les administrés viennent pour des choses qui semblent mineures et peu importantes : une crotte de chien, une ampoule grillée, de l'herbe dans les cimetières... Certes, il faut entendre leurs attentes, mais j'aimerais qu'ils voient aussi la charge de travail que ça représente pour un élu", poursuit la maire de Chauffailles.

Sentiment d'impuissance

Mais les agressions, menaces et autres incivilités ne sont pas les seules raisons qui éloignent les maires de leurs fonctions. Il y a aussi une lassitude, grande, face à la sensation de manquer de moyens et de ne pas être écouté.

"Après les élections 2020 marquées par le covid, plein de normes ont dû se mettre en place", relate Benjamin Vasseur, maire d'Ancey en Côte-d'Or, lui aussi invité de Dimanche en politique. "L'État nous met souvent en avant en parlant de nous, mais nous balance souvent les choses comme ça, sans nous donner les moyens financiers ou matériels de pouvoir les faire."

Cette sensation d'impuissance est partagée par de nombreux maires. À Eringes, 60 habitants entre Montbard et Châtillon-sur-Seine, le maire Eric Astolfi n'a pas démissionné mais ne se représentera pas en 2026. "J'ai l'impression d'être le grand chef indien de la réserve. On vient me donner quelques subsides, mais bon... Si je crève, ça ne va pas changer grand-chose", confie-t-il à France 3.

D'autres maires doivent faire face, en parallèle, à des problèmes qui semblent insolvables : de plus en plus de communes sont lâchées par leurs assurances, à la suite de catastrophes naturelles ou d'émeutes. Nous vous en parlons dans ce dossier.

Au congrès parisien, on craint "une déception forte par rapport aux attentes exprimées"

Au 105e congrès des maires de France, cette question de la perte de motivation des élus est "centrale", appuie Ludovic Rochette, joint par France 3 Bourgogne ce 22 novembre. Le représentant des maires de Côte-d'Or est à Paris depuis trois jours, et résume : "Mes collègues sont pour la plupart résolus à continuer, mais les lourdeurs administratives font que tout est compliqué."

Il prend l'exemple de l'accélération des énergies renouvelables, un objectif fixé par le gouvernement "avec des délais extrêmement courts, qui rendent les objectifs irréalisables alors qu'on est d'accord sur le constat".

"Entre les injonctions de Paris et les indications locales, c'est inapplicable."

Ludovic Rochette

président de l'association des maires de Côte-d'Or

Aujourd'hui, les maires espèrent des évolutions sur leur statut - le gouvernement a promis une loi pour l'été 2024, visant à faciliter la vie des maires. Ils attendent aussi les résultats de la "mission décentralisation" confiée à Eric Woerth, pour réduire le millefeuille territorial, "une mission qui nous interroge beaucoup", note Ludovic Rochette. 

Le congrès des maires de France se termine ce jeudi 23 novembre. "Au moins, les ministres passent. Au moins, il y a une amorce", salue Ludovic Rochette. Qui prévient : "Il ne faudrait pas que la déception soit forte par rapport aux attentes exprimées."

Selon un sondage Ifop de 2022, 55 % des maires élus en 2020 ne souhaitaient pas se représenter. À l'époque des dernières municipales, ils étaient près d'un million de candidats. Combien seront-ils en 2026 ?

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