"J'ai peur qu'il soit noyé" : leurs enfants atteints d'un handicap n'ont toujours pas de place en classe ULIS, la détresse de ces parents d'élèves

Dans le Doubs, une dizaine d'enfants, éligible à l'inscription en classe ULIS, ne savent toujours pas s'ils pourront être inscrits dans une classe adaptée à la rentrée. Une situation mal vécue par leurs parents, qui poussent un cri d'alarme.

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Incertitude, stress, inquiétude et questionnement. Voilà le quotidien d'une dizaine de familles du Doubs, en cet été 2024. La cause : l'avenir de leurs enfants. Alicia, Françoise, Lucille et Alain* sont tous parents de jeunes élèves atteints de handicaps et qui viennent de finir leur année de CM2. L'an prochain, direction le collège et tous les changements que cela implique dans la vie de ses pré-adolescents. 

D'autant plus que ces derniers ont été reconnus par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) comme étant éligibles à une place en classe ULIS (Unité localisée pour l'inclusion scolaire) du fait de leurs handicaps, ou de leurs troubles à l'apprentissage. Problème, à quelques semaines de la rentrée, aucune place en ULIS ne leur a encore été accordée.

Placé sur liste d'attente le 27 juin

"C'est le flou total" explique Alain. "Au cours de l'année, notre fils de 12 ans a passé une batterie de tests pour savoir s'il serait éligible au dispositif ULIS à la rentrée prochaine". "On a enchaîné les rendez-vous et en février, on a obtenu une réponse positive" complète sa compagne, Lucille.

Pour rappel, un dispositif ULIS permet à des élèves en situation de handicap ou porteurs de troubles à l'apprentissage d'apprendre à leur rythme, avec des professeurs spécialement formés pour leur suivi, tout en restant dans une enceinte scolaire classique. De plus, ces sections sont en effectif réduit (15-16 élèves maximum). "Mais le 27 juin, l'académie nous a prévenus que notre fils était en liste d'attente" reprend Lucille. "Alors que les vacances commençaient dans quelques jours".

Commence alors pour les familles une période d'entre-deux, que résume parfaitement Alicia, dans la même situation. "On se demande si on doit attendre qu'une place se libère, ou si on doit tout de même inscrire notre enfant dans son collège de secteur sans place en ULIS" raconte-t-elle. "Mais c'est inquiétant pour nous, parents, de se dire que nos enfants vont être envoyés dans des environnements pas adaptés. On a peur pour eux".

"J'ai peur qu'il soit noyé, qu'il se fatigue"

Françoise, maman d'un enfant lui aussi éligible à la classe ULIS, mais sur liste complémentaire, va plus loin. "Le plan B maintenant c'est qu'il soit accompagné dans une classe de 30, avec un rythme qui sera de plus en plus compliqué à suivre pour lui" regrette-t-elle. "J'ai peur qu'il soit noyé, qu'il se fatigue, qu'il soit en échec scolaire et que cela finisse par le dégoûter de l'école". 

Ces enfants sont en effet pour beaucoup atteints de troubles de l'apprentissage, ou sont handicapés : dyspraxie, dyslexie, difficultés à se concentrer ou à retenir des informations. "Ils ont besoin de plus de temps, d'autres techniques d'apprentissage pour leur permettre de continuer à apprendre dans les écoles que fréquentent tous les autres enfants" précise Alicia.

On nous accorde une aide qu'on n'est pas en mesure de nous donner. On admet que l'enfant a besoin d'aide, mais on ne peut rien faire.

Alicia,

maman d'un enfant éligible à un dispositif ULIS, mais sans place pour l'instant

"Je suis en colère. Surtout en pensant à toutes les réunions, tous les rendez-vous qu'on a dû faire. On était confiant, et patatras" s'attriste Alicia.

19 élèves non affectés en ULIS en 2024

Contactée par France 3 Franche-Comté, l'inspection académique du Doubs précise qu'à la rentrée 2024, 426 élèves seront affectés à un dispositif ULIS, et que la liste d'attente s'élève à 19. "Mais attention, liste d'attente ne veut pas dire qu'ils n'auront pas de place en ULIS avant la rentrée" tient à souligner, Samuel Rouzet, Directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) du Doubs. "Ces élèves sont ceux pour lesquels on a le plus d'attention. S'il y a une liste complémentaire, c'est justement car nous ne voulons pas surcharger les classes". 

Il y a autant de places que d'élèves, mais les notifications de la MDPH accordant le dispositif ULIS sont en flux continu. Ce qui peut amener parfois à de l'attente.

Samuel Rouzet,

DASEN du Doubs

Une attente également expliquée par la priorité donnée à certains enfants. Le DASEN explique en effet que "les enfants qui disposaient déjà d'un dispositif ULIS en primaire sont priorisés au collège". Ainsi, Samuel Rouzet "ne garantit pas que tous les élèves sur liste complémentaire auront une place en ULIS à la rentrée". 

Néanmoins, il conseille aux parents d'élèves sur liste complémentaire de ne "pas hésiter à inscrire leurs enfants dans leur établissement de secteur sans ULIS". "Si une place se libère en ULIS dans un autre établissement du département, nous veillerons à ce qu'ils puissent y être transférés" complète-t-il "Et puis tous les enfants éligibles au dispositif ULIS, mais qui se retrouveront en classe classique, auront droit à une aide humaine avec un Accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH, NDLR)".

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Une situation qui laisse sur leur faim les parents d'élèves. "Dans tous les cas, il semble qu'il y aura une solution. J'étais en colère, puis dépitée. Maintenant, on va essayer de faire au mieux" assure Alicia. "Mais on parle souvent d'égalité des chances, alors qu'on voit que lorsqu'un enfant n'est pas dans le moule, c'est lui qui doit s'adapter et possiblement quitter son collège de secteur, où il y a tous ses amis, tous ses repères".

"On sait qu'on n’est pas les seuls dans cette situation, que les notifications ULIS augmentent tous les ans, donc pourquoi ne pas ouvrir une ULIS dans chaque établissement ?" se questionne Lucille. "L'école est obligatoire pour nos enfants, l'académie devrait s'adapter aux besoins, et pas l'inverse. Cela rajoute des problèmes dans leur vie d'enfant, déjà compliquée par leur handicap".

Pour nos enfants, c'est toujours la double peine. Le handicap les freine, et les institutions aussi. Pourquoi ne pourraient-ils pas être scolarisés dans leur collège de proximité, avec leurs amis ?

Françoise,

maman d'un enfant éligible à un dispositif ULIS, mais sans place pour l'instant

"Mon fils me demande pourquoi il n'a pas été choisi pour la classe ULIS, et je n'ai aucune réponse à lui donner" continue Françoise. "Il n'aspire pourtant qu'à retrouver ses amis et continuer vaille que vaille à apprendre à son rythme".

Malgré le manque de repères et la perte des amis, tous les parents sont néanmoins prêts à emmener leurs enfants dans un autre établissement possédant une classe ULIS. "C'est tellement important qu'on le fera" souligne Alain. "Ça leur permettra de s'intégrer, d'être inclus tout en s'adaptant. De ne pas être en marge des autres enfants. Dans l'estime de soi, la confiance, c'est très important".

Alors que toutes les familles interrogées sont toujours en liste complémentaire, elles s'attendent donc à vivre des prochaines semaines sous tension, dans l'incertitude, et regrettent "que l'annonce de la liste d'attente ait eu lieu si tard".

Face à ces critiques, l'académie prend acte et regrette aussi ce timing serré, tout en précisant bien que "la MDPH délivre ses notifications tout au long de l'année, sans pause estivale". "Nous avons fait de notre mieux" explique Samuel Rouzet, DASEN du Doubs. "Nous comprenons les inquiétudes des parents. Mais qu'ils se rassurent : leurs enfants, on ne les lâche pas. On opère un vrai suivi sur le long terme".

Sur la création des ULIS, on en a inauguré 2 en 2022, 1 en 2023 et 3 en 2024 au niveau des collèges. On ne peut pas dire que nous ne nous y intéressons pas. Mais on ne peut pas créer des ULIS partout. On le fait en fonction des besoins, en flêchant les investissements. Ce n'est pas une question de manque de moyens financiers ou humains.

Samuel Rouzet,

DASEN du Doubs

Quid des élèves obligés de quitter leur établissement de secteur ? "J'en suis conscient, ce n'est pas la solution idéale Mais malheureusement, ce genre de changement fait partie de la vie" admet le DASEN, avant de mettre en lumière son bilan. "Il faut se rendre compte que pour l'ultra majorité des enfants admis en ULIS, tout va bien. Une dizaine d'élèves en attente à l'échelle d'un département, c'est extrêmement peu. Il y a des efforts de fait et nous continuerons à en faire" nous dit-il.

"On a peur que tous nos efforts soient sabotés"

Derrière ce "extrêmement peu" se cache malgré tout une vingtaine de familles bien réelles. "Même si nous ne sommes pas beaucoup, on parle de l'avenir de nos enfants, ne les prenons pas à la légère" prévient Françoise. "Derrière les nombres, il y a des parcours de vie, mais aussi des familles qui ont fait des sacrifices pour que leurs enfants puissent grandir, évoluer de la meilleure manière possible. Et on a peur que tous ses efforts soient sabotés. C'est rageant".

En conclusion, Samuel Rouzet, DASEN du Doubs, nous a assuré que "le dialogue entre les familles et l'inspection académique est maintenu et constant". Les familles interrogées, elles, ont pourtant choisi de rester anonymes, par crainte que leur prise de parole leur "porte préjudice au niveau des places en ULIS".

*Ces prénoms ont été modifiés pour respecter l'anonymat

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