Témoignages. "C'est un peu une double vie" : bénévoles, véritables citoyens-enquêteurs, ils recherchent les personnes disparues

Publié le Mis à jour le Écrit par Antoine Comte
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Les recherches continuent dans le Haut-Jura pour localiser Jérôme Panisset, introuvable depuis le 7 janvier 2024. La famille du disparu et les forces de l'ordre peuvent compter dans leurs investigations sur l'Association assistance et recherche de personnes disparues (ARPD), une structure citoyenne méconnue où des bénévoles enquêtent de leur côté.

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Des citoyens qui, à leurs heures perdues, se transforment en détective privé bénévole, regroupés au sein d'une même structure pour résoudre les disparitions non résolues. Non, vous ne rêvez pas et nous ne sommes pas dans une fiction. Depuis 2003, c'est bien la raison d'être des membres de l'association Assistance et Recherche de Personnes Disparues (ARPD). 

Composée d'environ 500 enquêteurs bénévoles sur tout le territoire français, l'ARPD est implantée dans douze régions, dont la Bourgogne - Franche-Comté. Qui sont ces hommes et femmes ? Rencontre avec ceux qui font vivre cet organisme créé dans un but précis : permettre aux familles des disparus de "faire leur deuil".

Reprises de "cold case" et aide aux forces de l'ordre

"Je ne refuse jamais une enquête". Au bout du fil, Claire Descargues a la voix décidée. Aujourd'hui à la retraite, elle est la responsable de l'ARPD en Bourgogne-Franche-Comté. "Nous sommes une association créée pour les familles de disparus. Notre but : les retrouver, soit vivant, soit leur corps malheureusement mort, pour permettre aux familles d'avoir l'esprit clair".

Dans les années 80, le fils de Claire Descargues a été enlevé pendant quelques jours. La sexagénaire connaît l'attente et la douleur insoutenable des proches de disparus. "C'était naturel de s'investir" continue-t-elle. "Avec l'association, on reprend des affaires jamais élucidées par les autorités, à la demande des familles. Soit avec les forces de l'ordre, qui sont parfois tenues par des limites de temps et de moyens, soit sans elles. Mais nous leur communiquons toujours nos avancées". 

L'ARPD mobilisée sur la disparition de Jérôme Panisset

La structure se mobilise ainsi depuis six semaines pour retrouver Jérôme Panisset, cet homme porté disparu depuis le 7 janvier 2024, du côté de Saint-Lupicin (Jura) après une sortie sportive un dimanche matin. Chargée de l'affaire, Patricia, retraitée jurassienne, ancienne gendarme et ex-propriétaire d'une agence de transports en commun. "Claire m'a dépêchée sur ce dossier" sourit-elle. 

Dès le lendemain, j'ai fait mes bagages et je suis partie sur le terrain. Depuis six semaines, je mène l'enquête.

Patricia,

enquêtrice-bénévole à l'ARPD de Bourgogne-Franche-Comté, chargée des recherches de Jérôme Panisset

Depuis janvier, la sexagénaire se démène. Enquêtes de voisinage, entretiens avec les proches du disparu et sa famille, participations aux battues organisées par la famille Panisset... Le travail est minutieux, et de tous les instants. "Le matin, je me lève et je consigne tout ce que j'ai fait la veille dans mon dossier" explique Patricia. "Je mène des entretiens téléphoniques, j'épluche les coupures de presse, avant de partir l'après-midi sur le terrain".

Les initiatives se multiplient : battue à l'aide d'un drone, présence de Jason, le chien pisteur de Claire Descargues, spécialement formé pour la recherche de corps, analyse des caméras de surveillances privées... "L'idée est de refermer le plus de pistes possibles" analyse Patricia. "Là, le chien a marqué à deux endroits. Petit à petit, avec de la patience, on reconstitue le trajet potentiel de Jérôme Panisset, et on tient au courant les forces de l'ordre".

Une adrénaline de tous les instants que recherchait cette ancienne gendarme. "Je suis partie des forces de l'ordre trop tôt à mon goût" sourit-elle. "J'ai toujours aimé ce travail d'enquête, minutieux. J'ai donc adhéré à l'ARPD il y a un an et je ne regrette rien". De son propre aveu, Patricia, veuve, avait envie de retrouver une activité ayant du sens à ses yeux, au service des autres.

On passe un entretien pour rentrer dans l'association. Nous, les membres, on sait très bien que nous ne sommes pas des "supers flics" capables de résoudre une enquête en deux jours. Mais on a le mérite de donner de notre temps.

Patricia

enquêtrice-bénévole à l'ARPD de Bourgogne-Franche-Comté

Des anciens gendarmes, policiers, militaires, il y en a plusieurs au sein des effectifs de l'ARPD, qui compte 19 agents dans notre région. Mais, comme Claire, certains membres sont aussi ici après des événements personnels marquants. C'est le cas de Corinne Georges, 55 ans, vice-présidente de la branche en Bourgogne-Franche-Comté. "J'ai toujours été fasciné par les documentaires ou les articles sur les disparitions" explique-t-elle. "En 1998, mon fils a également failli être enlevé sous mes yeux. Ça a été très dur, et j'ai eu un déclic".

Après cela, je repensais à cette tentative d'enlèvement à chaque fait divers. Je me suis dit : pourquoi je ne pourrais pas apporter mon aide aux familles de disparus ?

Corinne Georges,

vice-présidente de l'ARPD Bourgogne-Franche-Comté

Entrée dans l'association en 2016, elle est d'abord enquêtrice avant un grave accident de santé en 2020. Depuis, c'est elle qui gère la page Facebook et le site web de l'ARPD au niveau national. "Je relaye les avis de recherche officiels, et j'en rédige d'autres quand la famille fait appel à nous" dit-elle. "Il y a aussi un important travail de veille, pour mettre à jour les situations. J'ai souvent les familles et les forces de l'ordre au bout du fil".

"On sait qu'on n'est pas des super-héros"

Ancienne Accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH), Corinne Georges "a toujours voulu aider les autres". "C'est une sorte de passion. Je veux résoudre des disparitions, apporter un peu de joie aux familles. Et puis on se sent utile". La cinquantenaire se souvient de ses débuts, lorsqu'elle travaillait sur ses enquêtes après le travail et les week-ends. "C'est un peu une double vie. C'est vrai que parfois, il faut être fort pour ne pas tomber dans l'émotion" reprend Corinne.

On est quand même confronté à la tristesse des familles et à des histoires difficiles. Entre les avis de recherche, il faut prendre le temps de couper. Moi, je vais me balader dehors avec mon chien pour souffler.

Corinne Georges,

vice-présidente de l'ARPD Bourgogne-Franche-Comté

Et quand on la confronte aux critiques qui pointent du doigt le supposé manque de légitimité de ces "enquêteurs-citoyens", la cinquantenaire est claire. "On sait très bien qu'on n'est pas des super-héros" assure-t-elle. "Nous ne disposons pas de pouvoirs juridiques, mais on nous délivre une carte d'enquêteur et les autorités sont au courant de nos activités. On travaille avec des psychologues, des avocats, des mediums. On vient en complément, pour permettre de gagner du temps et d'être plus efficace".

Gagner du temps, c'est justement la raison qui a poussé la famille de Jérôme Panisset à demander à Patricia de les aider dans leur enquête. "On propose une présence humaine, citoyenne qui, quand les recherches patinent, permet de s'accrocher à quelque chose pour ne pas perdre espoir" souligne l'enquêtrice chargée du dossier. Une aide précieuse, presque professionnelle, pourtant proposée par des amateurs... à moindre coût. "On s'en fait un point d'honneur" ajoute Patricia. "Notre travail est gratuit, excepté 40 euros de frais de dossier".

► À LIRE AUSSI : Disparition de Jérôme Panisset dans le Jura : un mois après, l’interminable attente.

À l'heure où nous écrivons ces lignes, les recherches continuent pour retrouver Jérôme Panisset. Selon l'ARPD, des spéléologues et des plongeurs devraient bientôt être mobilisés pour localiser le cinquantenaire, disparu depuis maintenant deux mois. Mais malgré le temps qui passe"on n'abandonnera pas " conclut Claire Descargues, président de l'ARPD BFC. "Notre deadline, c'est la découverte du disparu".

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