Témoignages. "C'est un autre métier" : sans neige, le quotidien des moniteurs de ski du Jura bouleversé

Publié le Écrit par Antoine Comte

Période noire pour les stations de ski du massif du Jura. Alors que la neige est aux abonnés absents en ce mois de février, les domaines de Franche-Comté sont dans l'obligation de s'adapter. Écoles et moniteurs de ski, entre déception, espoir et résignation, sont forcés de faire évoluer leur pratique.

C'est un jour que Ferréol Cannard redoutait, mais qu'il savait inéluctable. "Je me doutais que ça allait arriver" soupire-t-il. "Mais ça donne un coup au moral". Jeudi 22 février 2024, la station de ski de Lamoura était fermée au public en pleines vacances de février, là où l'activité est d'habitude la plus forte. Une première dans l'histoire des lieux depuis l'utilisation de la neige de culture. 

Jusqu'à maintenant, je travaillais en journée complète. Ce matin, je me suis mis en tenue, j'étais prêt à enseigner. Et en arrivant aux pieds des pistes, plus rien.

Ferréol Cannard,

moniteur de ski à Lamoura, ancien biahtlète, médaillé de bronze aux JO de Turin en 2006

Comme à Lamoura (Jura), tous les domaines skiables de Franche-Comté font grise mine en ce début d'année, avec des chutes de neige proches du néant. À Métabief, sur les 35 pistes, seule une était ouverte ce 22 février. "On est en pleine décroissance" témoigne Nicolas Beucler, directeur de l'École de ski internationale (ESI) de Métabief. "Il y a deux semaines, on travaillait sur 12 pistes, ce week-end, 6, 4 en début de semaine et deux hier".

Aucune station comtoise n'est épargnée

Même constat aux Rousses (Jura), où aucune piste n'était skiable. À Mouthe (Doubs), la situation est plus critique : la toute petite station n'a été ouverte qu'un week-end, en janvier. Depuis, plus rien sur les pistes, ou presque. "Ça représente un réel manque à gagner pour nous, c'est sûr, avec 50 % de clientèle en moins" explique Yves Maréchal, président de l'École de ski français (ESF) du Val de Mouthe.

"On a dû s'adapter. On propose des autres activités comme des initiations au biathlon, des randonnées, des balades en raquette... " reprend-il. "Mais dans une station familiale comme nous, ça prend moins. Et sur les 15 moniteurs que j'avais engagés, j'en ai envoyé une dizaine dans des stations de Haute-Savoie".

À Métabief, la station de ski la plus importante du Haut-Doubs, "l'ambiance est un peu morose" concède Nicolas Beucler. "Mais on essaye de garder le sourire, on en blague entre nous au bureau. Et puis chez nous, les pertes restent minimes avec 29 moniteurs contre 30-35 les bonnes années, qui font essentiellement des cours pour enfants". 

Cette année, le boulot de moniteur a un peu changé. On a beaucoup plus travaillé sur les pistes, on aide à pelleter la neige, à la transporter. Et puis nos moniteurs, qui ont souvent plusieurs diplômes, passent plus de temps sur les activités d'été... et moins sur les skis.

Nicolas Beucler,

directeur de l'ESI de Métabief

Aux Rousses, on essaye également de positiver. "Les clients, moins nombreux que d'habitude, sont aussi plus stressés et nous posent énormément de questions" assure John Bailly-Bazin, directeur de l'ESF local. "Donc je file un coup de main aux hôtesses d'accueil, et on essaye de renvoyer des ondes positives en partageant sur nos réseaux des photos humoristiques de nos moniteurs au boulot".

Rire, en croyant dur comme fer à des jours meilleurs, voilà l'état d'esprit aux Rousses. "On brûle des cierges tous les matins" s'amuse John Bailly-Bazin. "Et puis sans vous mentir, on passe quand même beaucoup de temps à aller inspecter le manteau neigeux, pour vérifier l'état des pistes et emmener de la neige là où il faut combler les trous".

"C'est la première fois qu'on vit ça"

Le directeur se veut rassurant. "On a du travail" répète-t-il plusieurs fois. "Et on a divisé les groupes d'enfants par deux pour pouvoir embaucher des moniteurs". Mais derrière ce discours, la déception est grande. "Février, avec les vacances des Parisiens couplées à celles des locaux, c'est le mois qu'on préfère, celui où on gagne notre vie, où c'est l'euphorie avec des festivités. Et cette année il n'y a rien. C'est quand même triste. C'est la première fois que je vis ça".

"Je regarde dehors, je vois les gens avec parapluies et capuches" complète Nicolas Beucler, de l'ESI de Métabief. "Ça fait 20 saisons que je suis moniteur et directeur d'une école de ski. Forcément, le présent contraste avec les souvenirs joyeux des années précédentes. Quand on a passé notre diplôme de moniteur, on ne s'attendait pas à ça".

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Si le spleen gagne les directeurs d'école, les problèmes peuvent s'avérer plus importants pour les moniteurs. "Ce sont des travailleurs indépendants" précise Yves Maréchal, directeur de l'ESF de Mouthe. "Ils doivent payer leurs équipements, l'URSSAF, les adhésions au syndicat. Aujourd'hui, en Franche-Comté, ils peuvent de moins en moins vivre de leur passion".

Il n'y a plus d'avenir pour les moniteurs de ski dans la région. Il n'y a plus assez de neige, et ça ne va pas s'arranger. Il faudra migrer vers les stations en plus haute altitude.

Ferréol Cannard,

moniteur de ski à Lamoura, ancien membre de l'équipe de France de biathlon

Ou alors ne plus compter sur les cours de ski pour vivre, comme c'est déjà le cas depuis plusieurs années. "En tant que moniteur, avant, il fallait un plan B. Maintenant, il faut un plan A" reprend Ferréol Cannard. "Beaucoup de jeunes partent ou augmentent leur prestation de guide de montagne".

C'est le cas de sa collègue à Lamoura, Laurence Gindre-Moyse. Agricultrice et monitrice de ski depuis plusieurs années, la cinquantenaire l'avoue, "cette année, je n'ai pas mis un pied sur les skis". Un crève-cœur pour cette fondue de ski de fond, qui constate année après année que "les saisons se raccourcissent, alors que la neige se raréfie". Elle l'assure, tous ses collègues moniteurs "ont un métier à côté". Impossible de vivre sans cela.

Laurence, également guide de haute montagne, encadre quant à elle cette année des randonnées pour combler le manque à gagner laissé par l'absence de cours de ski. "Je m'en sors" dit-elle. "Mais j'ai moins d'heures que d'habitude. Cela a un impact sur mes finances et puis ce que j'aimais, moi, c'était le ski".

L'adaptation, que ce soit pour les écoles de ski et les moniteurs indépendants, est donc le maître mot de cette saison 2024. Ce qui n'est pas pour déplaire à David Vincent, lui aussi fermier et moniteur à Lamoura. "Ce sont des changements logiques" argue-t-il. "On doit apprendre à vivre avec notre nature qui change, et ne pas chercher à attirer à tout prix les touristes par le ski. C'est nous qui devons faire évoluer nos activités".

On adore tous la neige. Le ski, c'est notre passion. Mais on sait que la tendance future est à de plus en plus d'hivers comme celui-ci.

Nicolas Beucler,

directeur de l'École de ski internationale (ESI) de Métabief

C'est aussi l'avis de toutes les écoles de ski interrogées, qui ont toutes revu leurs prestations pour coller à la réalité climatique. Avec plus ou moins de succès. Si dans les gros domaines comme Les Rousses ou Métabief, les clients, bien que moins nombreux, sont toujours au rendez-vous, des petites stations familiales comme à Mouthe se retrouvent en difficulté. 

Mais ne venez pas croire que les stations comtoises ont dit adieu à la neige pour 2024. L'espérance est de mise pour que les flocons tombent enfin dans les prochains jours. "Depuis quelques années, on vit au jour le jour" certifie John Bailly-Bazin, des Rousses. "Mais on ne perd pas espoir. On met tout en place pour accueillir la neige car ce serait un vrai plus".

Un manteau blanc serait ainsi le bienvenu pour les têtes et les jambes. "Et comme ça, les clients arrêteraient de nous dire tout le temps "bon courage"" s'amuse Nicolas Beucler. "On reviendrait aux "au revoir" et "bonne journée" plus classiques". Un petit détail, nous direz-vous, mais qui pour eux veut dire beaucoup.

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