Témoignage. Moi, Eva, infirmière libérale dans le Morvan : "comment feraient nos patients sans nous ?"

Publié le Écrit par Lisa Guyenne

Eva Rossi est infirmière libérale autour de Dun-les-Places (Nièvre), en plein cœur du Morvan. Elle témoigne dans un documentaire passionnant diffusé le 29 novembre sur France 3 : "Infirmières, notre histoire".

"Je pense que ce métier, on le fait par vocation, sinon on ne le fait pas correctement." Ce sont les mots d'Eva Rossi, infirmière libérale dans le Morvan. Elle témoigne dans le documentaire "Infirmières, notre histoire", tourné au printemps 2022 et diffusé ce 29 novembre à 21h10 sur France 3. Pour l'occasion, nous avons recontacté Eva pour qu'elle nous raconte son quotidien, à la première personne.

Ça n'arrête jamais

"Installée en libéral depuis 2007, je suis infirmière à Dun-les-Places, je tourne dans un rayon de 15, 20 kilomètres. Je roule 200 kilomètres par jour et je m'occupe d'une trentaine de patients. En parallèle, je suis infirmière-sapeur pompier à Brassy [la commune voisine]. La semaine, je suis seule avec mes deux enfants, car mon compagnon travaille ailleurs. Ça fait de grosses journées !"

La semaine dernière, j'ai fait une journée de 21 heures.

Eva

infirmière libérale

"Le bip des pompiers a sonné à trois heures du matin pour une intervention, je suis rentrée à six heures, puis j'ai enchaîné sur ma journée normale. Aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, je suis en repos, mais ça n'existe pas vraiment. Mes patients ont mon numéro, ils m'appellent. Je dois aussi m'occuper de ma compta, de mes facturations. Ça n'arrête jamais."

Mon métier, c'est 7 jours sur 7. Vous ne pouvez pas être malade. Je suis déjà allée travailler avec une phlébite. Je suis déjà allée travailler avec une rupture des ligaments croisés, avec une attelle, des béquilles.

Eva

infirmière libérale

"Mais chez les soignants, on n'arrive plus à trouver du personnel comme avant. Autour de Dun-les-Places, il y a deux médecins à 9 kilomètres - dont un à temps partiel - et d'autres soignants à 21 kilomètres. Mais ils ne sont pas toujours disponibles, alors il faut se débrouiller. Moi, j'ai installé une borne de téléconsultation dans mon cabinet.

Les yeux et les mains du médecin

"Depuis 2007, j'ai vu le métier évoluer dans le mauvais sens. On n'est plus reconnues comme avant, alors qu'on a de plus en plus de responsabilités. Nos compétences se sont élargies. Bientôt, on pourra déclarer nous-mêmes les décès, alors que ce sont les médecins qui le faisaient jusqu'à présent. Désormais on peut prescrire des médicaments, des antalgiques. En même temps, quand le SMUR est à 20 ou 30 minutes de route, il faut bien faire quelque chose pour les gens qui souffrent.

Souvent, on est les yeux du médecin. Parfois, on est les mains du médecin. L'autre jour, j'ai fait un électrocardiogramme, épaulée par un médecin au téléphone. Des fois, on évite des catastrophes.

On se retrouve des fois obligé de faire certaines choses : j'ai par exemple assisté à une fin de vie en ayant un médecin au téléphone, parce que je n'ai trouvé aucun médecin sur 50 kilomètres à la ronde !"

Comment feraient nos patients s'ils ne nous avaient pas ?

"Pendant le covid, j'ai fait les courses pour certains de mes patients. Je n'étais pas obligée, bien sûr. Certains collègues me disent que j'en fais trop. Mais chacun a sa conscience pour soi. Comment nos patients feraient s'ils ne nous avaient pas ? Parfois, il n'y a pas de solution.

Il n'y a pas longtemps, un vieux monsieur a perdu sa femme et a déclenché un Alzheimer fulgurant. L'hôpital l'a ramené chez lui, contre mon gré. Il a failli mettre le feu deux fois à sa maison. Il ne se lavait plus, ne sortait pas son chien... Au final, je suis allée le voir, il ne répondait pas. J'ai fracturé la porte. Il était par terre depuis quatre heures avec l'épaule luxée. On a réussi à lui trouver une place en maison de retraite. Mais si je n'étais pas intervenue... On l'aurait retrouvé mort ?"

Certaines familles laissent leurs anciens à notre charge, ils ne s'en occupent plus. Dernièrement, j'ai eu un monsieur, dans le Morvan, qui était mort chez lui depuis un mois et demi. Personne ne s'était inquiété...

Eva

infirmière libérale

"J'ai connu une petite mamie qui avait une superbe villa sur la Côte-d'Azur et qui a tout quitté pour rejoindre sa famille à Paris. Elle a lâché sa belle maison pour un petit appartement avec un étage, en plus. Et finalement, sa famille ne venait pas, ne sortait jamais avec elle... On est descendues ensemble voir les illuminations de Noël ; elle en a pleuré.

Ça arrive que la famille ne vienne jamais, puis qu'on voie les enfants arriver au décès de la personne. Pour l'héritage...

On nous parle de "barrière thérapeutique" pour mettre de la distance entre nous et les patients. Ça, je veux bien que ça se fasse à l'hôpital. Mais avec mes patients, comment voulez-vous faire ?"

"Parfois, je suis la seule personne qu'ils voient de la journée. Comment voulez-vous installer des "barrières thérapeutiques" ?

Eva

infirmière libérale

"Depuis le tournage du documentaire au printemps 2022, au moins trois ou quatre patients sont décédés. Ça fait bizarre. Rien que lundi dernier, j'ai eu trois décès dans la matinée."

En moyenne 70 heures par semaine

"Côté salaire ? Je me paie 2 500 euros par mois. Mais il faut retirer l'URSSAF, la CARPIMKO (la caisse de retraite des infirmiers libéraux) qui coûte 20 000 euros de charges par an. L'essence me coûte 250 euros d'éthanol par semaine, je change mes pneus tous les trois mois et ma voiture tous les ans. Je paie donc aussi le crédit de la voiture.

Si je dois prendre un arrêt maladie, j'ai 90 jours de carence. Donc j'ai souscrit une assurance : 200 euros par mois. J'ai aussi une tablette pour faire ma compta, mes facturations : 110 euros par mois. 

Par semaine, je fais au minimum 50 heures, en moyenne 70. 

Les vacances, ça m'arrive quand même. Je pars souvent en août, j'essaie de bloquer Noël pour les enfants. Mais aujourd'hui, je ne conseille pas aux jeunes de se mettre en libéral. À la rigueur, qu'elles fassent plutôt des remplacements : c'est moins de charges et moins de paperasse. Là-dessus, la France est vraiment championne..."

J'aime vraiment ce que je fais

"Pourquoi je continue ? Parce que j'aime vraiment ça.

Infirmière, c'est une vocation.

J'aime aussi vraiment l'univers des sapeurs-pompiers. On vit des choses très difficiles, mais tout le monde s'épaule. J'aime vraiment ce que je fais. Je ne me demande pas tous les matins : "est-ce que je vais aller bosser ?"

► Le documentaire "Infirmières, notre histoire" est à voir ce 29 novembre à 21h10 sur France 3, puis en replay.

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