Alors que les tractations sur la nouvelle PAC sont en cours, la FNSEA a organisé ce 6 avril une manifestation au cœur de Dijon (Côte-d'Or). Un passage en force et des revendications contestés par d’autres syndicats de paysans. Le sujet divise. Illustration en Bourgogne-Franche-Comté.
Ce vendredi 9 avril, 3 jours après le coup de force de 300 agriculteurs membres de la FNSEA devant la Dreal de Dijon en Côte-d'Or. Mardi 6 avril, la manifestation a vite dégénéré, impliquant l'intervention des forces de l'ordre et les interpellations de 3 participants. Un mouvement organisé alors que se dessinent les contours de l'application des nouvelles règles de la PAC, la Politique Agricole Commune en France. Celles-ci entreront en vigueur en 2023 pour une période de 5 ans et pourraient donner une nouvelle impulsion aux modes d'agriculture sur le territoire français.
Agriculture intensive face à méthodes écologiques, agrandissement des exploitations face à protection des petites cultures, exportations ou circuits courts, plusieurs visions s'opposent entre les différences forces syndicales. D'un côté, la FNSEA, composée majoritairement d’exploitants en grandes cultures. De l'autre, la Confédération paysanne qui regroupe principalement des petits et des moyens éleveurs. Et entre les deux, une troisième force, la Coordination rurale.
Condamnations des violences
"Ce sont deux types de développement agricole qui s’affrontent", confie Denis Perraud, agriculteur en Côte-d’Or et secrétaire national de la Confédération paysanne. Son collectif condamne les débordements engendrés par le mouvement organisé ce 6 avril à Dijon. "Je suis assez scandalisé. Il y a quand même des limites. Ce n’est pas en cassant la Dreal que cela fera progresser les affaires", avance Denis Perraud pour qui la FNSEA instrumentalise les inquiétudes des éleveurs. De son côté, la Coordination rurale regrette également les actes de mardi. On ne les cautionnent pas. C’est bien de réagir, mais quand on ne sait pas quoi défendre, à quoi ça sert ?", se demande Bernard Blondeau, un membre qui tient une exploitation dans l'Yonne.
Agriculture intensive face à des modes d'exploitation sociaux
Pour rappel, 63 milliards d'euros seront reversés aux agriculteurs français en marge de la nouvelle PAC. 600 millions d'euros sont destinés aux agriculteurs de Bourgogne-Franche-Comté. Un montant stable. Le critère de répartition de cette manne revêt donc d'importants enjeux pour les 16 800 exploitants agricoles de la région. Pour la Confédération paysanne, les aides doivent permettre à de nouveaux exploitants à se lancer. En 30 ans, 2/3 des paysans ont disparu.
"On a une PAC qui a privilégié les agrandissements et la productivité alors que pour avoir une alimentation diversifiée, il faut des systèmes complexes et des paysans nombreux", prône Denis Perreau. La Confédération paysanne entend notamment obtenir une aide de 5 000 euros pour les petites exploitations et déterminer un plafond des sommes versées à chaque agriculteur.
Il est important que la PAC fasse en sorte que l’on tende vers une agriculture sociale.
Car aujourd'hui, la PAC fournit encore des aides basées sur la taille de la ferme. Une incitation à gagner toujours plus d’espace, qui fragilise l’agriculture française et réduit la diversité du marché rural selon la Confédération paysanne. "La fuite en avant vers l’agrandissement ne peut résoudre les problèmes. Il faut se démarquer sur la qualité, les produits et les normes sociales", avance le secrétaire national du collectif.
Une vision que partage la Coordination rurale. Mais le mouvement prône une politique plus mesurée, permettant une évolution des pratiques sans mettre en danger les paysans traditionnels. "Le problème de la Confédération paysanne, c’est qu’elle a un dogme, l’agriculture familiale. Mais aujourd’hui, tous les modèles sont possibles", affirme Bernard Blondeau, éleveur dans la Nièvre et membre du mouvement.
La PAC risque de réduire les trésoreries des agriculteurs. Pour nous, ce qui compte, c’est qu’on puisse faire vivre décemment nos familles.
La Coordination rurale espère surtout que la nouvelle PAC permette de compenser la perte de revenus des agriculteurs et garantisse une harmonisation des normes entre les pays de l'Union européenne, mais aussi entre les régions françaises pour supprimer toute forme de concurrence déloyale. "On est pour une agriculture proche du consommateur, mais on défend des prix rémunérateurs". D'autant plus que la loi Egalim votée en 2018 n'a pas permis aux éleveurs de faire face à la puissance de la grande distribution.
Quant à la FNSEA, elle s’inquiète d’une potentielle baisse des aides pour les agriculteurs traditionnels avec les règles qui pourraient être mises en œuvre à partir du 1er janvier 2023. Le syndicat a estimé que les exploitations de plus de 100 hectares pourraient perdre entre 25 et 30% de leur bénéfice annuel si les modalités de la nouvelle PAC actuellement discutées étaient actées.
"L'objectif est de renforcer l'efficacité environnementale des exploitations. Mais l'arbitrage ministériel n'est pas rendu", précisait mardi 6 avril, Fabien Sudry, préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté lors d'une rencontre avec les manifestations de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs
Les écorégimes également sujets à débat
Les différents syndicats s’opposent également sur la question écologique. Cette nouvelle PAC pourrait mettre en place des écorégimes, des aides délivrées selon les actions menées par un agriculteur pour respecter des normes environnementales. La FNSEA espère que tous les paysans auront facilement droit à ces subventions.
La Confédération paysanne demande une éligibilité plus stricte, pour induire un vrai changement dans les modes de culture. "Il faudrait pouvoir toucher ces droits après avoir enclenché une démarche vertueuse. Si tout le monde y a droit dès le départ, cela traduit très peu d’ambition", avance Denis Perraud.
Le collectif propose alors deux niveaux d’aide. Un seuil auquel tous les agriculteurs auraient accès pour éviter une baisse trop brutale des aides, et un second seuil dans le cas d’un réel changement des pratiques.
De son côté, la Coordination rurale met en avant une agriculture raisonnable qui tient compte des problématiques écologiques et environnementales, mais attend un soutien de l’Etat afin de laisser un temps d’adaptation aux paysans. "Il faut augmenter le budget. L’Etat veut une forte proportion d’agriculture bio, mais sans nous en donner les moyens", estime Bernard Blondeau.
À terme, l’agriculture biologique pourrait représenter 25% des surfaces agricoles d’ici 2030 selon les objectifs de la Commission européenne.