Qu’ils soient anglais, français ou allemand, des écrivains comme Colette, Alain Fournier ou Kipling ont marqué la Grande Guerre. Combattants ou simples révoltés, ils dépeignent cette époque sombre de l’Histoire, qui pour certains, a donné naissance à des chefs-d’œuvre.
La Grande Guerre a suscité une vague créatrice immense. Les productions culturelles et artistiques qui voient le jour entre 1914 et 1918 ont presque toutes pour but de décrire l'horreur, d'exacerber le patriotisme et de persuader civils et militaires d’une victoire à venir.
Ce conflit historique a ainsi donné ses lettres de noblesse à ceux qui deviendront de grands noms de la littérature : Pierre Loti, Guillaume Apollinaire, André Breton et bien d'autres. Ils nous ont laissé un héritage "immortel".
I. Une plume dans une main, un fusil dans l'autre
Nombreux sont les auteurs qui ont vécu et écrit la guerre. Leur arme : leur plume.Nicolas Czubak, professeur historien rattaché au Mémorial, le confirme :
La révolte, la mort et l’horreur sont devenues de nouvelles sources d’inspiration. Comment ont-ils employé la plume pour nous fournir leur témoignage ? Plongée dans les productions écrites PENDANT 14-18 dont les genres sont variés.Cette guerre a mobilisé les écrivains, des combattants presque comme les autres, avec une sensibilité particulière.
1. La poésie, un peu de lyrisme dans cette noirceur
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Guillaume Apollinaire (Lettre à Lou)
Dans la tradition littéraire, les épopées et les faits d'armes sont immortalisés en vers.
- John Maccrae, un médecin canadien, écrivit en 1915, lors de la deuxième bataille d’Ypres « In Flanders Fields » (« Au champ d’honneur », en français). Il évoque les coquelicots qui poussent sur les champs de bataille des Flandres. Le coquelicot est devenu la fleur du souvenir de l’Empire Britannique.
Au champ d'honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix; et dans l'espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement
Des obusiers.
Nous sommes morts,
Nous qui songions la veille encor'
À nos parents, à nos amis,
C'est nous qui reposons ici,
Au champ d'honneur.
À vous jeunes désabusés,
À vous de porter l'oriflamme
Et de garder au fond de l'âme
Le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d'honneur.
- Siegfried Sassoon était déjà poète avant de s'engager. Mais au fil des conflits, son écriture évolua, destinée à faire connaître dans toute son horreur la vérité des tranchées. Les détails comme les cadavres en train de se décomposer, les membres déchiquetés et la crasse caractérisent son travail de l'époque. Cette philosophie eut une influence considérable sur le mouvement qui conduisit à la poésie moderniste.
Son but est avant tout de légitimer la guerre et de faire croire que l'armée française est bien meilleure que l'armée allemande.
En 1914, lorsque le conflit éclate, Julien Viaud alias Pierre Loti, a 64 ans. Trop vieux pour combattre, l'écrivain va parcourir le front et mettre sa plume au service de l'immense propagande anti-allemande orchestrée par les autorités françaises. Le contenu n'a rien d'objectif, exaltant le patriotisme et le sacrifice des soldats français.
3. Carnets, journaux intimes & correspondances, au plus près du réel
Nombre de ces journaux nous sont parvenus grâce aux familles qui les ont conservés et certains de ces carnets sont même devenus de véritables oeuvres littéraires.
- En 1914, Louis Pergaud, l'auteur de la Guerre des Boutons, est mobilisé au 66ème régiment d’infanterie à Verdun. De part ses études, il passe rapidement sous-lieutenant et relate dans ses carnets le quotidien, la popote, les ordres absurdes et les liens entre soldats… Il écrit :
Vers 2 ou 3 h, Danvin manque de se noyer dans un trou plein de boue, d'eau, de pissat, de merde et de sang. Je saute dedans pour le retirer et j'en ai jusqu'aux genoux. L'odeur me poursuivra 3 jours durant.
- L’écrivain allemand Ernst Jünger a raconté dans Orages d'acier son expérience de combattant. Jünger a puisé dans les quinze carnets qu'il a tenus durant toute la période de la guerre. "Il s’agit d’un des récits les plus puissants de la Grande Guerre" selon Laurent Parisot journaliste à France 3 Lorraine et chroniqueur 14-18.
- Tous les jours, Roland Dorgelès prend des notes sur le vif et entretient une abondante correspondance avec sa famille. Des textes, par centaines, détaillant l'état d'esprit et le quotidien des soldats, et qui serviront de base à l'écriture de son fameux livre, Les Croix de bois . Il est l'un des écrivains les plus célèbres de l'entre-deux guerres.
Les obus miaulaient un amour à mourir
Un amour qui se meurt est plus doux que les autres
Ton souffle nage au fleuve où le sang va tarir
Les obus miaulaient. Entends chanter les nôtres
Pourpre amour salué par ceux qui vont périr.
Calligrammes Guillaume Apollinaire
Carnets de guerre, souvenirs d’anciens combattants, relations épistolaires, parmi lesquels Ceux de 14, de Maurice Genevoix et Orages d’acier, de Ernst Jünger sont devenus des classiques de la littérature. Sans oublier...
rappelle Nicolas Czubak.Les grands écrivains d’avant-guerre, nous n’avons pas de témoignages de leur part puisqu’ils seront vite tués.
Charles Peguy, Louis Pergaud et Alain Fournier ont disparu en septembre 1914. De grandes plumes pour lesquelles ils ne reste pas de textes. Ceux qui sont revenus des tranchées sont devenus les dénonciateurs de la grande boucherie qui faucha toute une génération.
Je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans. Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi...Je la refuse tout net avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient ils 995 même et moi tout seul, c'est eux qui ont tort et c'est moi qui ai raison car je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.
Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline
Selon l'association française des écrivains combattants fondée au sortir de la guerre, 450 écrivains sont morts pendant le premier conflit mondial.
II. Des champs de bataille à la naissance d’une fiction
Orages d'acier de Ernst JüngerOn ne connaît pas un homme avant de l'avoir vu au danger.
A l'instar de Maurice Genevoix et Ernst Jünger, certains écrivains qui ont vécu 14-18 ont transformé le chaos et la destruction en source d'inspiration créatrice.
Jean Cocteau et Siegfried Sassoon ont aussi franchi le pas, tout comme J.R.R. Tolkien.
La Terre du Milieu, l'univers créé par Tolkien, est le mythe moderne le plus populaire du XXe siècle. Mais saviez-vous que le troisième roman le plus vendu de tous les temps, Le Seigneur des Anneaux, est né dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale ?
Tolkien écrivit dans une lettre privée en 1916 : "Les marais des Morts et les abords du Morannon ont une dette envers le nord de la France après la bataille de la Somme".
Nombreuses sont les comparaisons avec la Grande Guerre. Les paysages, les situations et les héros... Fredon voyage avec son fidèle Sam Gamegie. Tolkien l’a expliqué : Sam est le reflet des combattants qu’il a cotoyés. « Un simple soldat venu des comtés ruraux ».
Pardonne-moi, camarade : comment as-tu pu être mon ennemi ?
Si nous jetions ces armes et cet uniforme, tu pourrais être mon frère.
A l'Ouest rien de nouveau, de Erich Maria Remarque
3. Des hommes derrière la plume
Leur nom et leurs œuvres sont immensément connus. Leurs histoires personnelles liées à la Grande Guerre le sont moins. Que sait-on de ces hommes ? Anecdotes sur une poignée.- Rudyard Kipling, Le Livre de la Jungle, prix Nobel de Littérature en 1907 : un fils disparu
- Alain Fournier, Le Grand Meaulnes : le mystère de sa mort
- Louis Pergaud, La Guerre Des Boutons : le mari fantôme
- Guillaume Apollinaire, Pont Mirabeau : le soldat amoureux
- André Breton, Manifestes sur le surréalisme : la folie comme génie créatif
- Jean Giono, Le Hussard sur le toit : l'amitié sans limites
Où sont les femmes ? On ne pouvait pas finir cet article sans évoquer Colette qui travaillait en tant que journaliste à l'Excelsior et aussi à la Vie Parisienne.
Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne.