L'Action Française, qui a revendiqué la tentative d'intrusion au conseil régional à Toulouse, n'est pas le seul groupuscule d'extrême droite actif en Occitanie. Cette mouvance est composée de divers mouvements, concurrents plutôt que convergents. Voici lesquels.
On la croyait remisée dans les livres d'Histoire. Mais c'est bien l’Action Française qui a revendiqué la tentative d'intrusion menée ce jeudi 25 mars au conseil régional d'Occitanie. L'Action Française, c’est un groupe nationaliste, royaliste (plus précisément orléaniste) et antidreyfusard fondé à l’aube du XXème siècle et influencé par les écrits de Charles Maurras. Il revendique aujourd’hui 3.000 adhérents, "sans doute en réalité un peu moins" selon l'historien perpignanais Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droite.
La section toulousaine, très présente sur les réseaux sociaux, a plusieurs fois fait parler d’elle ces dernières années : en 2019, en investissant le toit de l’usine Latécoère pour protester contre l’OPA d’un fonds d’investissement américain et en 2020, avec la mise en scène de la pendaison d’une effigie de Marianne sur le Pont Neuf à Toulouse. Car l’Action Française est, vous l’avez compris, anti-républicaine.
L'irruption au conseil régional, une opération de recrutement ?
Lors de leur irruption à l'Hôtel de Région, les militants ont déployé une banderole dénonçant l’islamo-gauchisme. Or, pour Nicolas Lebourg, "Charles Maurras avait plutôt de la sympathie pour la culture musulmane. Ce thème n'est pas historiquement au cœur des préoccupations habituelles de l'Action Française". Mais le principe de réalité a rattrapé le mouvement :
La France est un pays républicain aujourd'hui. Leurs thèses maurrassiennes et royalistes ne portent plus. Donc, ils chassent sur les terres identitaires, celles de la Réaction au sens large qui est en train de gagner notre pays.
L'historien analyse cette tentative d'intrusion comme un message envoyé aux sympathisants de Génération Identitaire, groupe récemment dissout : "En somme, l’Action Française dit "venez chez nous, notre maison est ouverte depuis 1899 et nous, on n'est pas prêts de se faire dissoudre". L’opération viserait donc à recruter de nouveaux adhérents.
Le groupe dissout Génération Identitaire très actif en Occitanie
Jusqu’à sa dissolution début mars 2021, Génération Identitaire avait un visage, très médiatique : celui de sa porte-parole, l’étudiante toulousaine Thaïs d’Escufon. En janvier de cette année, ce groupe anti-migrants avait barré la frontière franco-espagnole au col du Portillon, dans les Pyrénées, déployant même un drone pour surveiller la route. La justice s’est saisie de cette affaire.
Pour Nicolas Lebourg, le risque de dérive violente reste tout de même limité de par la sociologie des militants de Génération Identitaire, qui rejoint celle de l'Action Française :
L'Action Française, c'est le coup de poing tous les 10 ans. Ça finit en général très simplement : ce sont globalement des enfants de bonnes familles. Lorsqu'ils se font arrêter, ce n'est pas bon pour leur image, celle de leurs proches et ça peut rejaillir sur leur carrière future. A ce moment-là, il est temps pour eux de se ranger. Il n'y a pas de prise de risque forte avec cette sociologie politique-là. Il y a trop d'enjeux.
Concurrence plutôt que convergence
Ce n'est pas le cas de la Ligue du Midi, fédérée essentiellement autour de Montpellier et de son fondateur Richard Roudier. Le mouvement identitaire a multiplié les provocations et les actions violentes durant la dernière décennie.
Au printemps 2020, une journaliste a été prise à partie lors d’un rassemblement interdit. En 2013, le siège héraultais du Parti Socialiste a été dégradé. En 2017, Olivier Roudier, le fils de Richard Roudier, a été condamné pour le saccage des locaux d'une association d’aide aux migrants. Et en mai 2021 Martial Roudier, l'autre fils du créateur de la Ligue du Midi, comparaîtra pour les violences commises 3 ans auparavant contre les étudiants grévistes de la faculté de droit de Montpellier.
Les Brigandes ou la xénophobie en chansons
Et puis il y a les Brigandes : un groupe musical féminin masqué, porte drapeau d'une communauté très fermée organisée autour d'un leader charismatique, Joël Labruyère, et soupçonnée de dérives sectaires.
En Belgique, la justice instruit actuellement une plainte contre X pour assassinat depuis la mort d'une ancienne adepte. Installées durant plusieurs années à la Salvetat-sur-Agout (Hérault), les Brigandes auraient aujourd’hui déménagé près de Gérone, de l'autre côté de la frontière catalane. YouTube a fini par fermer la chaîne du groupe, dont les clips vidéo étaient truffés de saluts nazis et autres hommages à Jean-Marie Le Pen.
Toulouse/Lyon/Marseille, triangle de l'activisme anti-musulman
Cette abondance de groupuscules d'extrême droite, l'historien perpignanais a tenté de l'analyser et de la cartographier dans son dernier ouvrage, "Violences politiques en France de 1986 à nos jours" (Presses de Sciences Po), co-écrit avec Isabelle Sommier et paru la semaine dernière.
En Occitanie, c'est la question de l'anti-Islam qui domine ces dernières années.
Il explique : "En Occitanie, c'est la question de l'anti-Islam qui domine ces dernières années, alors qu'en Alsace, par exemple, c'est l'antisémitisme qui agite l'extrême droite. Dans notre région, il y a beaucoup d'actes de violence et d'agitation islamophobes. Ici, le référentiel identitaire est obsédé par la théorie du grand remplacement. Culturellement, on sait que les femmes et les catégories sociales plus élevées et plus éduquées sont davantage sensibles à l'islamophobie qu'à l'antisémitisme. La bonne santé économique de Toulouse, ville étudiante, explique donc paradoxalement ce terreau".
Géographiquement, cet activisme anti-musulman se concentre selon lui dans un triangle Toulouse/Lyon/Marseille. Mais pour Nicolas Lebourg, ces mouvements sont davantage concurrents que convergents.