Narcotrafic à Marseille : "2 000 ou 3 000 euros l'intimidation", on vous explique comment fonctionnent les recrutements sur les réseaux sociaux

Lors des dernières affaires liées au narcotrafic à Marseille, les policiers, le procureur de la République et le ministre de l'Intérieur évoquent des recrutements sur les réseaux sociaux, qui permettent de brouiller les pistes. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Comme n'importe quel autre business, le narcotrafic évolue avec son temps. "Il y a cinq, six ans, ils placardaient des annonces dans les halls d'immeuble des cités pour recruter", se souvient Rudy Manna, porte-parole du syndicat Alliance police. Désormais, les missions sont proposées sur les réseaux sociaux et plus précisément sur Telegram et parfois Snapchat et Signal. Surtout depuis l'apparition des "Uber shit" et "Uber cook", précise Bruno Bartocetti, responsable de la zone Sud du syndicat Unité SGP Police-FO. 

Ce que confirme le procureur de la République de Marseille lors de sa conférence de presse de mardi 12 novembre à propos du meurtre de Nicolas en Ardèche, tué par un homme retrouvé à Marseille : "le conducteur et le tireur disent avoir été recrutés sur les réseaux sociaux et ne se connaissaient pas". 

Messages intraçables 

Sur ces réseaux, et plus particulièrement sur Telegram et Signal, la sécurité des internautes est renforcée. Le système de chiffrement est robuste, les discussions privées sont intraçables.

Sur son site, Telegram indique : "ceux recherchant plus de confidentialité devraient consulter nos paramètres avancés et notre politique plutôt révolutionnaire. Et si vous voulez la discrétion, essayez nos échanges secrets spécifiques à l'appareil avec des messages, des photos et des vidéos qui s'autodétruisent".

Même chose du côté de Signal qui assure : "nous avons développé une méthode de chiffrement de bout en bout ultramoderne, qui s’appuie sur notre protocole open source pour assurer la sécurité de vos conversations. Nous ne pouvons ni lire vos messages, ni écouter vos appels. En clair : vous seul y avez accès. Et personne d’autre. La confidentialité n’est pas une option facultative : elle fait partie de notre ADN".

Annonces alléchantes 

Mais pour entrer en contact avec les bonnes personnes, certains passent d'abord par des canaux accessibles aux yeux de tous, mais toujours intraçables. Telegram par exemple, offre la possibilité de créer des groupes de 200 000 membres. Ils peuvent servir à mettre en relation les consommateurs et les dealers, mais aussi à recruter. 

Dans certains groupes, nous avons ainsi pu lire ce message : "vous bougez pas pour 20k-30k (c'est des grosses têtes de la villes)" ou encore : "qui est branché dz mafia vient en pv" (en message privé).

Rudy Manna, porte-parole du syndicat Alliance police, aborde les tarifs suivants : "120 euros pour un chouf, jusqu'à 300 euros pour charbonner, par jour". Des montants que confirme Bruno Bartocetti. Dans le cas d'intimidation, les deux policiers évoquent entre 2 000 et 3 000 euros la mission. Et entre 10 000 et 50 000 euros pour un meurtre. "Souvent, on leur propose aussi un logement et un repas", tient à rappeler Rudy Manna.

Faire équipe avec un inconnu

Cette méthode de recrutement permet de former des équipes d'inconnus. Cela semble être le cas dans la fusillade qui a tué Nicolas en Ardèche. Le procureur de la République de Marseille commente : "ce qui nous ramène à Marseille, c'est le recrutement du conducteur et du tireur par le biais de réseaux sociaux pour se mobiliser très rapidement".

Il s'agit peut-être de personnes qui ne se connaissent pas et qui ne connaissent pas leurs commanditaires.

Nicolas Bessone, procureur de la République de Marseille

France 3 Provence-Alpes

Dans l'affaire du meurtre en Ardèche, le tireur, retrouvé à Marseille, est un Italien de 19 ans, sans domicile fixe, arrivé en France depuis quelques mois et qui n'avait jamais fait l'objet de signalisations, précise le procureur de la République lors de sa conférence de presse. C'est ce genre de profils que les réseaux sociaux permettent de recruter.

"Ils cherchent des jeunes inconnus de nos services ou qui ne sont pas de Marseille parce que les policiers ne les connaissent pas. Et le temps qu'on les repère, ils partent. Il y a donc un turn-over et une mobilité qui nous met en difficulté", précise Bruno Bartocetti. Mais chercher ne veut pas dire qu'ils trouvent. "La plupart du temps, il s'agit quand même de jeunes déjà connus de nos services." C'est le cas du conducteur dans cette affaire, âgé de 23 ans et qui avait déjà fait l'objet de plusieurs condamnations pour trafic de stupéfiants, mais aussi violences intrafamiliales.

Les réseaux sociaux ont permis à ces deux profils, qui ne se connaissaient pas, de faire équipe. Impossible, alors, de remonter au donneur d'ordres. "Ça brouille les pistes", reconnait le responsable SGP Police-FO. 

Des ordres flous

L'une des conséquences de cette méthode de recrutement pourrait être le manque de clarté des instructions. C'est en tout cas ce que prétendent ces deux personnes arrêtées à Marseille et Cavaillon. "Le conducteur dit avoir été recruté sur les réseaux pour conduire un véhicule de Marseille à Valence, pour se rendre sur un point de deal. À son arrivée, on lui aurait dit que les choses avaient changé" détaille Nicolas Bessone. 

Le tireur reconnait que les instructions ont changé au dernier moment. Il reconnait qu'on lui a finalement demandé de commettre un acte d'intimidation devant la discothèque. Il n'avait l'intention d'enlever la vie à personne, assure-t-il.

Nicolas Bessone, procureur de la République de Marseille

France 3 Provence-Alpes

Ces jeunes "veulent bien faire", comme dans n'importe quel emploi, rapporte Bruno Bartocetti. Ils sont recrutés comme guetteur pour un mois, "comme un CDD" et tentent de tirer leur épingle du jeu. "Ce sont des Pieds nickelés, ils tirent sur des gens alors que personne ne leur a demandé", décrit Rudy Manna. Le porte-parole d'alliance-police ajoute que c'est une façon pour ces jeunes de "monter dans la hiérarchie". 

Le résultat de ces ordres parfois flous est dramatique. Nicolas, par exemple, n'était "ni de près, ni de loin lié à ces histoires. Il était juste devant la discothèque, comme plein d'autres jeunes", rapporte Nicolas Bessone. Dans cette affaire, le videur de la boite de nuit a également été visé aux jambes et une femme a été gravement blessée.

Autre exemple tragique : vendredi 4 octobre, un homme de 30 ans avait été tué par un jeune de 14 ans, originaire de Vaucluse, recruté sur les réseaux sociaux par un commanditaire depuis sa cellule de prison. Ce dernier avait appelé la police pour dénoncer lui-même les faits. La victime n'est pas l'homme qui devait être assassiné, mais le chauffeur Bolt qui avait refusé d'attendre quand il a compris la raison de sa présence, avait rapporté le procureur de la République de Marseille

Étendre son influence

Les actions d'intimidations par des Marseillais ou par des personnes interpellées à Marseille se multiplient partout en France. Comme à Poitiers, le même soir (Halloween), lors d'une fusillade qui a fait un mort et quatre blessés. Les réseaux sociaux permettraient-ils d'étendre l'influence des mafias sur le territoire ?

C'est une criminalité multiforme, grandissante et tentaculaire.

Didier Migaud, garde des Sceaux

France 3 Provence-Alpes

"Le trafic de drogue rapporte de plus en plus. La dernière fois, on a retrouvé 1,2 million d'euros en liquide ! Régulièrement, on les arrête avec plus de 10 000 euros sur eux. Donc il faut bien trouver les moyens de blanchir cet argent", développe Rudy Manna. Lors de la dernière conférence de presse du procureur de la République de Marseille, le directeur de la police nationale de la Drôme et le chef de la police judiciaire de Valence s'inquiètent : "la vallée du Rhône commence à attirer leur attention. À ce stade, nous devons être rigoureux".

Internet permet de recruter des jeunes originaires des quatre coins de la France. "Nous avons des groupes d'échanges de familles de victimes et maintenant, elles viennent de partout en France : Marseille, Paris, Perpignan, Arles, etc.", nous confiait Anita l'année dernière, membre d'un collectif de familles de victimes à Marseille. 

Investigations sur internet

Lors de leur déplacement dans la cité phocéenne le 8 novembre, Didier Migaud et Bruno Retailleau assuraient vouloir donner les moyens "d'investiguer et de poursuivre" les auteurs de cette criminalité, en développant les techniques d'enquêtes judiciaires notamment numériques, afin de démanteler les rouages financiers des organisations criminelles.

Pour autant, dans un rapport publié le 20 octobre, la Cour des comptes constate que les policiers marseillais sont victimes de forts taux d'absentéisme à cause d'un manque certain d'attractivité. Les effectifs sont en baisse depuis 2016 alors que les chiffres du narcotrafic ont été multipliés par quatre en sept ans. 

Ce serait un boulot de dingue de tout surveiller sur les réseaux sociaux !

Rudy Manna, porte parole d'Alliance-police

France 3 Provence-Alpes

Ces recrutements sur les réseaux sociaux ne constituent néanmoins pas l'intégralité des missions confiées par les mafias marseillaises. "Je t'offre une paire de chaussures, mais tu es redevable : on prend en otage les jeunes", ça existe toujours, assure Bruno Bartocetti.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information