Témoignage. "Un procès, c'est comme un combat", une avocate au chevet des petits dealers de drogue raconte son quotidien à Marseille

Publié le Écrit par Dotte Frederic
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Elle est l'une des héroïnes de la série documentaire "Commises d'office". L'avocate Tiphaine Rémy raconte ses batailles, et les maux de son quotidien : ceux d'un Marseille gangrené par la drogue et la pauvreté. Et d'une justice parfois démunie.

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Elle frappe, Tiphaine. Encore et encore. Les gants bien ajustés. Et le punching-ball comme défouloir. Quand elle quitte le Palais de Justice, sa robe remisée dans l'armoire, la salle de boxe est son refuge. Pas juste pour le sport. Le ring est son deuxième bureau. C'est là aussi, qu'elle prépare ses prochains combats, quand viendront les audiences.

Pour moi, l'avocat pénaliste est un boxeur. Une affaire, c'est un combat. Il faut savoir donner des coups, en recevoir aussi. Et se relever après le gong

Tiphaine Rémy, avocate pénaliste à Marseille

Une "boxeuse" commise d'office

Depuis deux ans, Thiphaine Rémy "boxe" au Barreau de Marseille où elle est avocate pénaliste. Souvent commise d'office par le Bâtonnier, son temps est encore plus compté pour défendre ses clients. "Au tribunal comme sur le ring, le combat est très court, une préparation rigoureuse fait la différence. Celui qui gagne, c'est celui qui s'entraîne, qui analyse son adversaire. Et qui sait adapter ses coups".

Petite blonde aux yeux bleus

Thiphaine est une battante. À l’instar de ses jeunes consœurs marseillaises Nawel et Pauline, elle n'a pas hésité longtemps avant d'accepter de livrer à la caméra son quotidien professionnel. D'abord déterminée à lutter contre le préjugé de l'avocat pénaliste "homme, grand, avec de la gouaille et un certain charisme".

On n'imagine pas une petite blonde aux yeux bleus descendue de sa campagne pour défendre des gros dossiers criminels

Tiphaine Rémy

Tiphaine le sait, en tant que femme, elle "doit toujours faire plus ses preuves pour tout". Pas de quoi la perturber. "Ça me permet de démontrer que je suis au même niveau que les autres" concède l'avocate sur un ton déterminé.

"Voir ce que l'on vit"

La caméra ne triche pas. Aux yeux de Tiphaine, le documentaire "Commises d'office" permet de "montrer la réalité" d'un monde judiciaire où la télévision est rarement la bienvenue. De plonger dans ces affaires qui témoignent toutes "du manque de temps et de moyens". De mettre en lumière ces invisibles, "des clients à défendre que l'avocat doit cerner en quinze minutes montre en main".

Plongée dans Marseille, ville gangrenée

La plupart des clients  qu'assiste Thiphaine Rémy, ce sont les "choufs" ou guetteurs, les "charbonneurs" ou vendeurs, les ravitailleurs, et les dealers, petits et gros. Toutes les petites mains du narcotrafic marseillais au service de la DZ Mafia, de Yoda ou des Blacks, ces gangs qui se disputent le marché du cannabis, de la cocaïne et des drogues de synthèse. 

Ma réalité, c'est le Marseille gangrené par la criminalité. Cette misère sociale concentrée dans les quartiers parmi les plus pauvres de France, qui justifie mon combat

Tiphaine Rémy, avocate

Des "jobeurs" venus faire fortune

C'est toute une facette de la ville qui se dévoile devant l'avocate, et défile au parloir ou à son cabinet. "Une véritable société dans la société", économie des stupéfiants dans laquelle l'avocate s'immisce "à tous les stades de la hiérarchie". Des "jobeurs" toujours plus jeunes, et souvent venus de l'extérieur, parfois de loin pour faire fortune à Marseille.

Aujourd'hui, à chaque audience, il y a au moins un "jobeur" venu d'ailleurs. Venir à Marseille, c'est à "mettre sur le cv". et selon le risque, certains quartiers paient bien mieux qu'ailleurs

Tiphaine Rémy, avocate à Marseille

La mort pour quelques milliers d'euros

"Enlèvement", "torture", "mutilation", "actes de barbarie"... Des mots surlignés dans le dossier ouvert sur le bureau de l'avocate. "Je m'efforce de rester à distance, mais parfois "les sentiments reprennent le dessus, et on se dit que c'est terrible, on a l'impression que cette jeunesse est totalement déconnectée de la réalité".

Des victimes de règlements de compte, j'en ai beaucoup. On se dit que la vie ne vaut rien aujourd'hui. On va tuer pour quelques milliers d'euros,

Tiphaine Rémy

Quelle réponse judiciaire ? 

"À Marseille, les magistrats sont connus pour leur sévérité, et recourent souvent à de la prison ferme y compris à l'encontre des petits trafiquants". À chacun son métier. Mais fort de sa petite expérience, l'avocate fait part de ses doutes sur l'utilité de la mise en détention. Elle plaide plutôt pour des peines mixtes, avec un accompagnement social mieux à même de tenter de "ramener les jeunes dans les rails de la société". 

La prison, ça ne prévient pas la récidive

Tiphaine Rémy, avocate pénaliste

Une vie à pile ou face

Au bout du bout du travail de Tiphaine, il y a le jugement. Le couperet. Chapelet de petites victoires, A l'image de ce jeune dealer au casier vierge qu'elle a finalement réussi à sortir de détention après deux mois d'insistance et plusieurs appels. Et les gros enjeux qui envahissent ses nuits. Comme ce jeune homme accusé de torture dans la cité de Félix-Pyat, et qui clame son innocence depuis des années.

Aujourd'hui, j'ai la vie d'un homme entre mes mains. Pour lui, ce sera la perpétuité ou l'acquittement. En l'espace d'une semaine, on va déterminer tout son avenir

Tiphaine Rémy, avocate

Les jurés des assises des Bouches-du-Rhône ont tranché en décembre 2023 : le client de Tiphaine Rémy a été condamné à 25 ans de réclusion. Un combat perdu. Une raison supplémentaire de rester sur le ring.

>>> "Commises d'office", un documentaire à voir sur france.tv en cliquant ici.

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