Classée "forêt d'exception", aux portes de Dijon, la forêt du Val-Suzon souffre du changement climatique. En dépit des fortes pluies printanières, beaucoup d'arbres dépérissent.
Malgré les pluies de printemps, y compris celles du week-end de Pâques qui ont causé une crue centennale en Bourgogne, les forêts de Côte-d'Or ne vont pas mieux.
Si une partie de la végétation reverdit, les promeneurs habitués du Val-Suzon s'en sont rendus compte : à de nombreux endroits : les arbres dépérissent. Beaucoup sont morts ou fragilisés, cassants. Un phénomène que constatent aussi les agents de l'office national des forêts sur place.
"En 2070, on aura un climat méditerranéen"
"Ce sont les effets du changement climatique", confirme Marlène Treca, conservatrice de la réserve naturelle régionale du Val-Suzon. À force de sécheresses violentes et à répétition, "on a beau avoir des printemps pluvieux, le problème est que les arbres n'ont plus la capacité de suivre, à force".
Comme ailleurs en France, la sécheresse ne tue pas systématiquement les arbres, mais elle les rend plus vulnérables. Pendant trois ans de suite, les végétaux du Val-Suzon ont subi les attaques des chenilles de bombyx disparate, un papillon considéré comme invasif. "Cela a causé de grosses défoliations [pertes de feuilles]", rappelle la conservatrice de la réserve naturelle. Les frênes, eux, sont sensibles à la chalarose, un champignon qui peut tuer des arbres entiers. Les résineux, enfin, peuvent être décimés par les scolytes - mais c'est un moindre mal dans le Val-Suzon, où les conifères sont bien plus rares qu'en Franche-Comté ou dans le Morvan.
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Le Val-Suzon est principalement composé, sur ses plateaux, de chênes et de charmes ; les combes et les pentes sont le terrain du hêtre qui représente un peu moins de la moitié des arbres de la zone. "Or, on sait que le hêtre va disparaître du quart nord-est de la France d'ici 2070, et qu'on aura un climat méditerranéen en Côte-d'Or", note Marlène Treca.
"Fin 2016, ce n'était pas comme ça"
La situation actuelle est aussi amplifiée par la nature des sols du Val-Suzon. "La vallée est calcaire, avec ce que l'on appelle des phénomènes karstiques qui font que l'eau s'infiltre très vite."
"Le Val-Suzon est une passoire. Dès qu'il y a de la pluie, ça peut monter très vite comme on l'a vu lors du week-end de Pâques, par contre ça redescend très vite aussi. Ça peut être surprenant."
Marlène Trecaconservatrice de la réserve naturelle du Val-Suzon
Parce que les terres du Val-Suzon ne retiennent pas l'eau (qui part en grande partie vers la vallée de l'Ouche), les sols s'assèchent vite, même après de fortes précipitations. Ainsi, les périodes d'assèchement du cours d'eau du Suzon s'allongent. Et les arbres en souffrent aussi.
"Finalement, ça ne fait pas si longtemps qu'on voit ce phénomène de dépérissement d'arbres. Quand j'ai repris le projet fin 2016, ce n'était pas comme ça", se souvient la conservatrice de la réserve naturelle. "Ça fait à peine trois ou quatre ans que l'on observe cela dans ces proportions, on a l'impression que ça s'accélère." Rappelons aussi que les années 2022 et 2023 furent les années les plus chaudes recensées en France métropolitaine.
Marlène Treca évoque aussi de probables "cercles vicieux" : "On a des arbres qui poussent en groupe, et lorsque certains meurent, cela crée une trouée. Les autres arbres qui étaient jusqu'alors à l'ombre se retrouvent en pleine lumière. Et, comme nous, ils peuvent prendre des "coups de soleil" et "brûler"."
Une forêt en libre évolution, "un laboratoire"
La réserve naturelle représente 46 % des 6 900 hectares du site classé de la forêt du Val-Suzon, entre le village de Val-Suzon et Messigny-et-Vantoux. "Le parti pris est de laisser faire la nature en libre évolution", explique Marlène Treca. L'idée n'est donc pas de replanter d'autres essences plus résistantes au changement climatique, comme cela peut se faire dans d'autres forêts. "Ça a vraiment un intérêt, avec la vocation d'être un territoire d'expérimentation, un laboratoire."
Cette libre évolution doit permettre de voir comment la forêt évolue avec le réchauffement. Progressivement, de nouvelles espèces d'arbres pourraient faire leur apparition.
Le souci est que les arbres "migrent" lentement. Leurs zones d'implantation évolue vers le nord, mais le changement climatique va plus vite.
Marlène Trescaconservatrice de la réserve naturelle du Val-Suzon
"Par contre, certaines essences déjà présentes ont des affinités avec ce climat : le chêne pubescent, le tilleul... Mais pour l'heure, nous n'avons pas encore observé de nouvelles essences qui auraient "migré" dans le Val-Suzon."
"La chance du Val-Suzon, c'est qu'il s'agit d'une mosaïque de milieux naturels qui se juxtaposent. La résilience peut aussi venir d'échanges, ou de vases communicants entre ces zones", relève la conservatrice. Site classé depuis 1989 et réserve naturelle depuis 2011, le Val-Suzon regroupe en effet plusieurs milieux : plateaux, falaises calcaires, vallons, forêts denses et marais tufeux.
Le Val-Suzon, "presque une problématique de parc urbain"
Au milieu de ces bouleversements, une autre question se pose : celle de la place de l'humain dans cette forêt. Depuis le covid, les randonneurs sont de plus en plus nombreux, en quête d'espaces verts et de nature. Ce qui pose de nouveaux problèmes.
Dans les zones où nous laissons la forêt en libre évolution, il y a des arbres fragilisés qui peuvent chuter, également des chablis [arbres qui se déracinent] sans qu'on puisse toujours l'anticiper. Cela peut être un risque dans les zones fréquentées par les marcheurs"
Marlène Trescaconservatrice de la réserve naturelle du Val-Suzon
En 2023 par exemple, de nombreux arbres avaient été déracinés après un orage fin août dans la combe aux Prêtres. Mais même par temps calme, désormais, les arbres affaiblis peuvent représenter un danger.
Alors, dans cette forêt située à 20 minutes à peine de Dijon, "on arrive presque à une problématique de parc urbain. À Dijon, lorsqu'il y a un orage, la ville ferme le parc de la Colombière." Difficile d'imaginer la même chose dans l'immensité du Val-Suzon... Mais l'ONF réfléchit à une politique de prévention des risques. "Mettre un suivi précis et cadré sur les sentiers balisés, mais aussi sur les sentiers qui traversent les zones non exploitées, avec une signalétique où l'on expliquerait qu'on laisse volontairement le bois mort sur place", avance Marlène Treca.
Autre problématique : le risque incendie. En 2022, une petite zone avait brûlé au-dessus de la combe des Chênaux, entre Messigny-et-Vantoux et Etaules. Mais la forêt n'est pas à l'abri d'un risque plus étendu, comme en 2023 dans la réserve naturelle de la combe Lavaux à Gevrey-Chambertin - dix hectares étaient partis en fumée.
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"Les collègues sur le terrain font des tournées en été, pour sensibiliser les randonneurs. En période de risque, on rappelle qu'il est déconseillé de fumer en forêt." Pour mémoire, les feux de camp sont interdits partout en forêt, même en hiver. D'autres contrôles sont régulièrement menés : contre les décharges sauvages notamment, et contre la circulation des véhicules motorisés dans l'enceinte de la réserve naturelle.
► En mars 2024, la chambre régionale des Comptes a publié un rapport alarmant sur la santé des forêts de Bourgogne-Franche-Comté. Ses conclusions sont à lire ici.