Valérie Bacot : "c’est une faille de la société", juge un psychiatre lors du procès de la femme qui a tué son mari

Au quatrième jour du procès de Valérie Bacot, la cour d’Assises de Saône-et-Loire s’est penché sur le profil psychologique de la femme qui a assassiné son mari violent le 13 mars 2016. Trois experts ont été cités à la barre ce jeudi 24 juin.

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Après une première journée consacrée à la parole de Valérie Bacot qui a expliqué vouloir protéger ses enfants en tuant leur père, le témoignage des enfants mardi, l'étude mercredi de la personnalité de la victime, le mari violent et pervers Daniel Polette, les experts psy ont été appelés à la barre ce jeudi matin afin déterminer le profil mental de Valérie Bacot. Celle-ci a vécu pendant 24 ans sous la domination de Daniel Polette, son beau-père puis son mari qui l’a violée, battue et prostituée avant de le tuer le 13 mars 2016. La notion d'emprise était notamment au centre des débats.

Le sentiment de peur peut-il expliquer le geste de Valérie Bacot ? Dans quel état d’esprit a-t-elle vécu durant toutes ces années ? Quelles sont les conséquences de son parcours sur sa vie actuelle ? Les experts qui l'ont suivie depuis octobre 2017, date de son arrestation, ont répondu à ces questions.

Valérie Bacot "emprisonnée dans l'emprise de son mari"

Le docteur Denis Prieur, psychiatre à Montbard (Côte-d’Or) est le premier à s'exprimer face au jury ce jeudi matin. Il rencontre l'accusée le 21 novembre 2017 quelques semaines après sa mise en examen. "Valérie Bacot est une femme qui parle facilement de ce qu’elle a vécu mais de manière plaintive", décrit le médecin.

Durant ses échanges avec Valérie Bacot, Denis Prieur ne constate aucune pathologie psychologique mais des "carences éducatives et affectives" qui émergent dès son enfance et qui expliquent le phénomène d'emprise dans lequel la mère de famille est tombée dès son adolescence. Selon l’expert, Valérie Bacot, violée par son beau-père 25 ans plus âgé, ne différencie pas les générations. Raison pour laquelle la mère de famille a pu entretenir une relation avec Lucas, l'ancien partenaire de sa fille. Elle ne fait également pas de distinction entre danger et protection, vie et mort. "Les mécanismes de base de la fondation de sa personnalité n'existent pas", estime le Dr. Prieur. 

Selon le médecin, la mère de 4 enfants souffre également du "syndrome de la femme battue", après 24 ans d’emprise de Daniel Polette. "Le sujet aliénant devient peu à peu totalitaire. Le sujet aliéné est peu à peu annihilé. Quoi qu'il fasse, cela n'ira pas. Peu à peu, la parole du sujet aliénant devient la vérité", explique le praticien. Dans ce mode de rapports dans le couple, la mort devient la seule solution pour sortir de l'emprise, présente Denis Prieur.

Si Valérie Bacot s'était enfuie, les violences de Daniel Polette auraient-elles augmenté ?
- C'est fort probable

Le Dr. Prieur interrogé par Janine Bonaggiunta

Pour rappel, depuis le début du procès, le procureur Jallet estime que Valérie Bacot avait d'autres solutions que de tuer son mari pour échapper à ses violences conjugales. Face à l'avocat général, le Dr. Prieur affirme qu'il était difficile pour la mère de famille d'appeler à l'aide : "Son libre-arbitre est réduit à néant. Dans sa pensée, elle n’est pas seule. Son mari est toujours présent. L’emprise est permanente. L’injonction persiste". Un avis partagé par Laurence François, psychologue interrogée également ce mercredi. "On exclut les plaintes de par la fragilisation. Elle savait très bien ce qui allait se passer. Les moyens de défense étaient réduits", estime-t-elle.

Il était le tyran domestique qui incarnait une toute puissance, ayant droit de vie et de mort sur son entourage

Denis Prieur, psychiatre

La présidente l'interroge alors sur le "déclic" qui peut expliquer le passage à l'acte, à savoir les propos de Daniel Polette demandant à sa fille le 12 mars comment elle est "sexuellement". "De mon expérience, c'est toujours la projection de la propre souffrance de la mère adulte sur l'enfant qui lui permet de sortir de l'engrenage dans lequel elle est enfermée", considère le médecin.

L’expert ne propose pas d’injonction de soins pour Valérie Bacot. Selon le spécialiste, Valérie Bacot représente une très faible dangerosité pour la société. Dans les faits, peu de femmes ayant tué leur mari après des années de violences ont récidivé.

Un acte préparé ?

Laurence François, psychologue à Dijon (Côte-d'Or) a échangé quatre fois avec Valérie Bacot entre février et mars 2018. Elle est la deuxième experte à évoquer la personnalité de l'accusée ce jeudi matin. "C'est une femme qui a un bon contact et qui s'exprime avec beaucoup d'authenticité", décrit Laurence François. Devant elle, Valérie Bacot raconte une "enfance pourrie" avec une mère dépressive et alcoolique. "Elle s'est habituée très tôt à subir. Progressivement, elle se fragilise mais s'endurcit en même temps. Il faut bien supporter les maltraitances".

La question centrale de la préméditation du geste commis sur Daniel Polette est posée à Laurence François par Nathalie Tomasini, avocate de Valérie Bacot. Pour elle, la victime de violences conjugales n'a pas préparé son geste. "Il y a eu une tension interne telle, que Madame Bacot a réagi comme pour sauver sa peau à ce moment-là. Il y a eu tel mouvement de panique qu'il n'y a pas de réflexion avant d'agir", estime-t-elle, évoquant un sentiment de "danger imminent" ressenti toute la journée du 13 mars qui peut expliquer la passage à l'acte final.

Le premier expert psy interrogé dans la matinée, Denis Prieur, retient lui une altération et non une abolition de la pensée de l'accusée au moment du meurtre de Daniel Polette. "Elle n'a pas agi par une force autre. Elle n'est pas coupée du réel", estime le Dr. Prieur.

Valérie Bacot victime du syndrome de Stockholm

Au sujet de sa relation avec Daniel Polette, d'abord son beau-père puis son mari, la psychologue, Laurence François, estime que Valérie Bacot a été victime d'un syndrome de Stockholm. "On finit par tolérer la violence et même parfois s'attacher à la personne pour ne pas s'effrondrer, se détruire et se suicider. Elle a dû s'accrocher à de très rares moments d'apaisement pour tenir", décrit-elle, parlant d'une peur gelée. Le sentiment de crainte est dissimulé en obéissant aux ordres du "bourreau". "Cela correspond à une forme d'auto-défense pour ne pas mourir. On trouve un compromis d’acceptation pour ne pas vivre quelque chose de pire ce qu’on a déjà subi", précise Laurence François.

La présidente de la cour d'Assises lui demande de revenir sur les visites de Valérie Bacot à Daniel Polette lors de son séjour en prison entre 1995 et 1997. "On renforce l’idée que tout ce qui a été subi avant devrait paraître normal. Elle a été prostituée par sa mère avant d’être prostituée par son mari en quelque sorte", lance la psychologue. Quant au retour de Daniel Polette au domicile familial dès sa libération, "cela veut dire que la loi ne sert à rien. Il est puni et il revient"

Plus tôt dans la journée, le psychiatre Denis Prieur avait regretté la passivité des services sociaux et de la justice qui ont permis à Daniel Polette de continuer à développer son emprise malgré son arrestation en 1995 et sa condamnation pour viol sur mineure. "De mon point de vue de psychiatre, c’est une faille de la société. Notre rôle de société, c'est d’empêcher ça".

"Une marionnette" dont les fils sont tirés par son mari

Dans la matinée, le dernier spécialiste a avoir parlé de l'accusée est le docteur Gérard Lopez. Chaque semaine, le psychiatre s'entretient en thérapie avec Valérie Bacot trois fois par semaine depuis 3 mois. L'homme de 72 ans n'intervient pas en tant qu'expert mais en tant que témoin.

Selon lui, Valérie Bacot souffre d'un trouble important qui remonte à son enfance, bien avant sa rencontre avec Daniel Polette. Enfant, elle voyait sa mère avoir des relations sexuelles avec des hommes. Les maux augmenteront au fil des années sous la domination de son beau-père devenu son mari. "Elle était une sorte de marionnette et c'est lui qui tirait les fils. Quand on est sous l'emprise, c'est très difficile d'en sortir", estime Gérard Lopez. 

Le psychiatre s'exprime avec beaucoup de conviction et d'empathie pour Valérie Bacot. "Elle ne ferait pas de mal à une mouche. Elle ne représente aucun danger pour la société", souffle-t-il à plusieurs reprises pour appuyer sa pensée intime. Revenant sur le soir de l'assassinat, le Dr. Gérard Lopez estime que la mère de famille a vécu un symptôme de dissociation durant lequel elle s'est déconnectée de la réalité.

Après le discours du psychiatre, la présidente de la cour d'Assises rappelle : "Il me semble difficile de prendre une position aussi affirmée que la vôtre sans avoir accès à l'intégralité du dossier", invitant celui qui est cité en tant que témoin à ne pas ajouter de la confusion auprès des jurés.

Valérie Bacot s'exprime sur son passé

Valérie Bacot est également revenu sur son parcours cet après-midi. "Ce que j'ai appris ce matin, ça m'a mis une calotte, encore une fois. Ça me fait comprendre des choses même si je n'imprime pas tout", réagit l'accusée aux propos des experts.

Comme face aux spécialistes qui ont parlé ce matin, Valérie Bacot décrit une enfance triste, dont les seuls moments heureux sont les séances de jeu avec son frère cadet dans la boutique de sa mère. C'est dans cette boutique qu'elle tombe sur Joëlle Aubague, sa mère, trompant son père avec un autre homme.

Devant la présidente, elle explique que Christophe, son frère aîné, l'agresse sexuellement dans la cave de sa grand-mère à l'âge de 6 ans. "C'est le jour où mon beau-père m'a fait faire la fellation sur lui pour la première fois que j'ai revécu ce moment-là", confie-t-elle.

Questionnée par la présidente, Valérie Bacot revient sur les lettres qu'elle a envoyées à Daniel Polette et ses visites en prison entre 1995 et 1997. "Je devais réparer car c'était à cause de moi qu'il était en prison et que ma mère était malheureuse. Je voulais lui faire plaisir". Pendant ces années, la jeune adolescente est suivie par un éducateur dont le travail n'a pas payé pour elle. "Je m'en souviens très peu. Mais la preuve que ça n'a pas marché, aujourd'hui je pense toujours que tout est de ma faute !"

L'accusée se rappelle par ailleurs avoir été de nouveau soumise aux violences sexuelles de son beau-père quelques semaines seulement après son retour au domicile familial. Pourtant, lorsqu'elle tombe enceinte, Valérie Bacot part vivre avec Daniel Polette. "Je n'avais pas d'autres choix. Chez mon père, c'est mort, il y a mon grand-frère. Chez ma grand-mère aussi. Pour elle, mon grand-frère c'était comme le messie. C'est compliqué, je dois être cinglée", culpabilise-t-elle. La juge, compatissante la rassure. "Non je ne pense pas. Je crois qu'on a compris beaucoup de choses ce matin".

Je ne suis plus une chose. Je suis devenue quelqu'un

Valérie Bacot lors de son procès

Échange touchant entre Valérie Bacot et la présidente du jury de cour d'Assises toujours dans l'empathie. L'accusée s'exprime sur son parcours après la mort de Daniel Polette. Elle trouve un CDI et devient aide à domicile jusqu'en octobre 2017, date de son arrestation. "Pour me soulager et me faire du bien j'ai besoin de faire du bien aux autres. C'est une petite estime. Je sais ce que c'est de souffir, si je peux aider les autres à ne pas souffrir... C'est stupide ce que je dis". "Pas du tout, pas du tout", répond la présidente. Libérée sous contrôle judiciaire en octobre 2018, Valérie Bacot travaille désormais dans une entreprise de BTP. 

Quelques minutes plus tard, Valérie Bacot conclut une nouvelle phrase par "c'est bête". "Vous avez toujours besoin de conclure par 'c'est bête'", s'amuse la présidente de la cour d'Assises. Quelques rires dans la salle d'audience après cette remarque. 

Après le récit de Valérie Bacot, la présidente a tenu à lire trois déclarations faites aux gendarmes : celles de Roger Bacot, père de l'accusée, de Christophe Bacot, son frère aîné et de sa grand-mère maternelle.

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