Le RC Lens a-t-il bénéficié d’un passe-droit pour jouer en L1 la saison dernière ?

France 3 Nord Pas-de-Calais s’est procuré le rapport de conciliation sur la base duquel la FFF avait autorisé le RC Lens à jouer en L1 la saison dernière, contre l’avis de la DNCG, le gendarme financier du foot français. Un passage en force condamné aujourd’hui par la justice.

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Le Racing Club de Lens a-t-il bénéficié d'un coup de pouce des instances du football français pour être autorisé à jouer en Ligue 1 la saison dernière ? Mardi, la cour administrative d'appel de Nancy a jugé dans un arrêt que "le comité exécutif de la FFF (Fédération Française de Football) ne disposait pas de la compétence pour revenir sur la décision prise par la DNCG (Direction Nationale de Contrôle de Gestion) en toute indépendance dans l’exercice de sa mission, y compris dans le cas où une procédure de conciliation a été mise en œuvre". En clair, le "Comex", comme on l'appelle, n’aurait pas dû suivre, le 28 juillet 2014, le conciliateur du CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) qui demandait que le RC de Lens puisse évoluer en Ligue 1, contre l’avis du "gendarme financier" du football français qui avait refusé.


L’arrêt confirme ainsi un premier jugement du tribunal administratif de Besançon, en date du 29 janvier 2015, qui avait annulé cette autorisation de monter en Ligue 1. C’est le FC Sochaux qui l’avait saisi. Le club doubiste, relégué sportivement en Ligue 2 en 2014, aurait dû être repêché dans l’élite si la montée de Lens avait été invalidée. Aujourd’hui, Sochaux envisage de poursuivre la FFF pour le "préjudice financier" subi. "Perte de sponsors, joueurs bradés, perte de billetterie et de merchandising...", énumérait mardi l’avocat du club, Me Yanis Zoubeidi-Defert, qui va maintenant pouvoir réclamer aux instances du football français une compensation de "plusieurs millions".


Comment en est-on arrivé là ? Pour le comprendre, nous nous sommes procurés le rapport rédigé par Me Philippe Missika, l’avocat désigné comme conciliateur par le CNOSF, qui avait appelé à l’indulgence pour les Sang et Or malgré le manque de garanties financières. Ce document de 16 pages apporte un éclairage inédit sur l’ensemble de la procédure, depuis la première audition du RC Lens à la DNCG le 5 juin 2014 jusqu’à la conciliation finale rendue le 25 juillet. Il permet de reconstituer l'ensemble du puzzle, de comprendre véritablement pourquoi les tensions ont été aussi vives entre le "gendarme financier" et le club artésien. Pendant la procédure mais aussi après... 

18 juin 2014 : l'argent de Mammadov se fait attendre

Revenons presque deux ans en arrière, le 16 mai 2014. En s’imposant sur le terrain du CA Bastia, Lens s’empare de la 2e place du championnat de Ligue 2, synonyme de promotion en Ligue 1. Le président Gervais Martel s’offre un "clapping" sur la pelouse avec ses joueurs qui seront accueillis en héros par les supporters, quelques heures plus tard, à l’aéroport de Lille-Lesquin. Cela faisait trois saisons que les Sang et Or n’avaient plus goûté à l'élite. Mais la fête va rapidement être gâchée… Le 5 juin 2014, le RC Lens présente ses comptes de la saison écoulée et son budget prévisionnel pour la Ligue 1 devant les experts-comptables de la DNCG. Ce rendez-vous a été jugé suffisamment important pour qu'Hafiz Mammadov, l’actionnaire majoritaire du club, fasse le déplacement en personne au siège de la Ligue de Football Professionnel (LFP), rue Léo Delibes à Paris, aux côtés de Gervais Martel. Frédéric Thiriez, le président de la Ligue, vient très solennement accueillir l'homme d'affaires azerbaïdjanais. La poignée de main, chaleureuse, est filmée par le service communication du club artésien.


A l'intérieur, devant les membres de la DNCG, l'ambiance a dû se refroidir très vite. Après avoir écouté Gervais Martel et Hafiz Mammadov, le "gendarme financier" conditionne son feu vert à la "la réalisation d’un apport complémentaire, au plus tard le 16 juin 2014, d’un montant minimum de 14 millions d’euros, accompagnée d’une garantie bancaire à première demande pour le solde du montant total des apports que le club prévoit d'effectuer au titre de la saison 2014/2015 (28 millions d’euros)". La décision de la DNCG est mise en délibéré au 18 juin 2014


Le 18 juin, l'argent demandé n'est toujours pas arrivé mais la DNCG temporise. Sa commission de contrôle des clubs professionnels décide même de revoir ses exigences : au lieu de 14 millions, elle ne demande plus désormais que 10 millions d'euros dans l'immédiat. Une somme à verser en compte-courant bloqué au Racing Club de Lens avant le 25 juin 2014. La DNCG souhaite également "un engagement d'effectuer un versement complémentaire (bloqué) dans les comptes bancaires du club de 4 millions d'euros au plus tard au mois d'octobre 2014, ainsi qu'un versement de 14 millions d'euros au plus tard au mois de janvier 2015". Le tout assorti d'une garantie bancaire à première demande qui, comme son nom l'indique, permet théoriquement d'obtenir automatiquement les fonds promis auprès d'un établissement bancaire dès qu'on en formule la demande.


3 juillet 2014 : la DNCG dit non

Le 26 juin, la DNCG procède à une nouvelle audition des responsables du RC Lens et à un nouvel examen des comptes. Gervais Martel, qui s'est pourtant déplacé à Bakou, en Azerbaïdjan, pour obtenir les versements et la garantie exigés, est rentré bredouille. "Il n'y absolument aucune inquiétude à avoir", assure-t-il le lendemain en conférence de presse, évoquant un simple "contre-temps". "En Azerbaïdjan, le 26 juin est un jour férié", plaide-t-il pour expliquer l'absence de virement. L'argument ne pèse pas lourd auprès de la DNCG qui décide officiellement, le 3 juillet 2014, d'interdire le club artésien d'"accession sportive en championnat de France Ligue 1". Outre l'absence du versement et de la garantie bancaire demandés à Mammadov, le "gendarme financier" dénonce d'autres failles juridiques, comptables et budgétaires dans le dossier lensois : le projet de fusion entre la SASP Racing Club de Lens et son ex-holding, la Financière Sang et Or (FSO) - souhaitée par souci de simplification juridique - "n'est pas transcrit dans le comptes du club estimés au 30 juin 2014" ; "le résultat net combiné du club est déficitaire" (-9,5 millions d'euros) ; et "des incertitudes entourent son budget 2014 / 2015, en raison du résultat prévisionnel net combiné du club au 30 juin 2015 qui est déficitaire"


Lens n'a donc pas présenté un budget à l'équilibre pour son retour en Ligue 1. La perte est chiffrée à -9,8 millions d'euros. La DNCG relève en plus que ce déficit tient compte d'"un résultat exceptionnel lié à des plus-values sur mutation (8 millions d'euros de ventes de joueurs), ayant un caractère aléatoire". Elle rappelle que la saison précédente, le club avait budgété 6,6 millions d'euros de vente de joueurs pour n'encaisser finalement que 990 000 euros (vente d'Alexandre Coeff à l'Udinese). L'instance de contrôle pointe également "l'aléa concernant la mise en oeuvre par le club de l'augmentation de ses recettes d'exploitation, eu égard aux incertitudes budgétaires liées aux travaux dans le stade du club". Lens doit en effet se passer du Stade Bollaert-Delelis, rénové pour l'Euro-2016, et délocaliser ses matches. Or, en ce début de mois de juillet, on ignore encore où les Sang et Or vont jouer. Ce qui n'empêche pas le club d'avancer dans son budget prévisionnel des recettes de billetterie de 7,9 millions d'euros (+61,2% par rapport à la saison précédente en L2) et de sponsoring de 5,2 millions (+62,5%). Au total, Lens a présenté un budget en hausse de +103% par rapport à la saison précédente, chiffré à 33 millions, hors vente de joueurs. Il se base sur une 10e place finale (et les droits TV qui vont avec) jugée "ambitieuse" par l'instance après trois saisons passées en Ligue 2. "Il ressort des documents fournis qu'ils ne sont pas suffisamment probants", juge la DNCG qui évoque "des risques pour la continuité d'exploitation" du club.


Gervais Martel fait appel de cette décision. "Pour moi, Lens joue en Ligue 1", assure-t-il le 9 juillet lors d'une conférence de presse au Touquet. "La somme au comptant n’est pas encore arrivée car il y a eu un changement de banque. Le Crédit Agricole nous a indiqués qu’il ne pouvait plus recevoir les fonds pour le RC Lens. Nous avons alors dû  passer au Crédit Lyonnais. Mais pour des soucis administratifs, les fonds ne sont pas parvenus pour une erreur d’IBAN..."

17 juillet 2014 : la DNCG retoque Lens en appel

La commission d'appel de la DNCG se réunit le 15 juillet pour examiner le dossier. Le club présente à cette occasion des nouveaux éléments : une garantie à première demande de la Bank of Azerbaijan pour les versements prévus en octobre 2014 (4 millions d'euros) et janvier (14 millions d'euros) ; une convention de compte courant bloqué d'actionnaire ; un courriel de Michel Faroux, directeur général adjoint du Crédit Agricole Nord de France, à l'attention de Gervais Martel ; un ordre de virement de 10 millions d'euros de la Bank of Azerbaijan, en date du 11 juillet 2014, sur le compte LCL de RCL Holding (la société parisienne qui possède les actions du club, elle-même détenue à 99,99% par le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov) ; des comptes estimés 2013/2014 et prévisionnels 2014/2015 rectifiés. Mais l'appel est rejeté et Lens ne peut toujours pas jouer en Ligue 1.


Si Lens a bien présenté un ordre de virement de 10 millions d'euros émanant de la Bank of Azerbaijan,  le "gendarme financier" constate que quatre jours après la date d'émission indiquée, "cette somme n'a pas été versée sur le compte bancaire de RCL Holding", ajoutant que "le club est dans l'incapacité de fournir un relevé bancaire pouvant attester de la présence des fonds sur les comptes". De quoi aussi s'interroger sur la validité des garanties à première demande présentées par la Bank of Azerbaijan pour les 18 millions d'euros restant. La commission d'appel de la DNCG a en effet quelques raisons d'être méfiante. A la lecture des débats, on apprend qu'il y avait déjà eu des soucis les mois précédents avec l'actionnaire azerbaïdjanais du club. La commission rappelle que le 15 janvier 2014, un échéancier avait déjà été négocié et mis en place avec le RC Lens pour le financement de la fin de saison 2013/2014 en Ligue 2. L'"actionnaire de référence", le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov, devait alors injecter 11 millions d'euros jusqu'en mai 2014 de la manière qui suit : trois versements de 2 millions les 20 janvier, 20 février et 20 mars ; deux versements de 2,5 millions  les 20 avril et 20 mai. S'il n'y a eu aucun souci sur le premier virement de janvier, celui prévu le 20 février "n'est intervenu que le 17 mars 2014, et ce, après plusieurs relances de la commission de contrôle des clubs professionnels". La commission d'appel avait constaté alors "un décalage que le club n'a pu expliquer". L'échéancier fixé n'a plus été respecté ensuite mais un reliquat de 7 millions d'euros - correspondant aux sommes restantes - a bien fini par être versé le 23 mai 2014, bien qu'"aucun document pouvant en justifier n'(ait) été transmis à la commission de contrôle des clubs professionnels de la DNCG". L'organe de régulation financière du football français semblait donc encore ignorer au mois de juillet d'où venait cet argent.


De façon assez curieuse, Lens s'est présenté à cet appel avec un ordre de virement de 10 millions d'euros émis par la Bank of Azerbaijan mais aussi avec une deuxième version de son budget prévisionnel... ne tenant pas compte de cet apport de 10 millions. Un "plan B" qui n'a pas convaincu non plus la DNCG. Pour obtenir la validation de ce second budget, Gervais Martel et son équipe ont tout d'abord avancé une nouvelle version des comptes 2013-2014, laissant apparaître un résultat net positif de 12,3 millions d'euros au lieu d'un déficit initial de -9,5 millions. Cette nouvelle version intègre la fusion entre la SASP Racing Club de Lens et son ex-holding FSO, avec une reprise de provision pour titres de 15 millions d'euros inscrite dans les produits exceptionnels. Il s'agit seulement d'une présentation comptable qui tient compte de la recapitalisation effectuée par le Crédit Agricole Nord de France avant le rachat de Lens par Mammadov (voir notre analyse des comptes 2013/2014 du RC Lens). Elle permet de masquer - de façon tout à fait légale - la perte enregistrée à l'issue de la saison, ce que les experts-comptables de la DNCG ont très bien compris.


Quant au second budget prévisionnel présenté par Lens pour la saison de Ligue 1, il laisse encore apparaître un résultat net négatif de 9 millions d'euros, certes un peu moins important que dans la première version. Mais ce qui inquiète surtout la DNCG, c'est l'analyse du plan de trésorerie (les liquidités disponibles tout au long de l'année pour honorer les factures, les impôts et les salaires...). Sans l'apport initial des 10 millions d'euros de Mammadov, Lens présente une trésorerie fortement déficitaire à la fin de chaque mois jusqu'en décembre 2014 : -7,9 millions d'euros en juillet, -6,2 millions en août, -7,6 millions en septembre, -255 000 euros en octobre (malgré un apport prévu de 4 millions), -3,7 millions en novembre et -3,2 millions en décembre. La commission d'appel en conclut que "le club fait face à de fortes difficultés de trésorerie mettant en évidence une insuffisance d'encaissement" et qu'elle ne peut donc "tenir compte de ce nouveau budget présenté". Elle relève par ailleurs que les nouvelles versions des comptes 2013/2014 et du budget prévisionnel 2014/2015 n'ont pas été certifiés par un commissaire aux comptes. La DNCG maintient ainsi l'interdiction de montée en Ligue 1 dans une décision du 17 juillet.

23 juillet 2014 : Lens entendu par le CNOSF

Malgré ce nouveau refus, Gervais Martel ne désarme pas. "Il y a très peu de clubs français qui avancent les fonds avant le début de leur saison", se lamente le président lensois, le 20 juillet, dans l'émission Stade 2.  "On va d’abord saisir le CNOSF dès lundi pour avoir une conciliation avec la Fédération Française de Football. (...) Hafiz Mammadov est très vexé, il estime qu’il a donné 20 millions d’euros l’an passé, qu’il a prouvé sa crédibilité. Du coup, il a décidé de ne pas les verser en avance et plutôt de les virer petit à petit tout au long de la saison. Le fonctionnement de la DNCG ne correspond pas à son fonctionnement". Des supporters lensois manifestent pour la réintégration du club en Ligue 1 tandis que les soutiens se multiplient au sein du football français, certains présidents de club adressant même des courriers au CNOSF pour défendre les Sang et Or et l'emblématique Gervais Martel. 


Le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) a un rôle d'arbitre dans les conflits entre les fédérations sportives et leurs licenciés. Mais cet arbitrage n'est que consultatif. La conciliation entre le RC Lens et la Fédération Française de Football, représentée par Hocine Mekidiche (DNCG) et Werner Boucheny (juriste de la FFF), se déroule le 23 juillet 2014, au siège de l'institution à Paris, alors que le championnat de Ligue 1 doit reprendre dans quelques semaines, le 8 août. Devant le CNOSF, Gervais Martel et son équipe défendent la deuxième version du budget présenté en appel à la DNCG. Celui qui renonce au versement initial de 10 millions d'euros par Mammadov. Mais il y a eu quelques changements par rapport à l'audience du 15 juillet, notamment sur le plan de trésorerie qui avait donné des sueurs froides au "gendarme financier". Lens apporte "des aménagements de lissage" sur ses dépenses, certifiés cette fois par le commissaire aux comptes. Ce "lissage" s'appuie principalement sur "une avance de 5 millions d'euros" sur les recettes de sponsoring, consentie par la société Sportfive (aujourd'hui Largardère Sports) qui gère les droits commerciaux du club. Mais cette avance est conditionnée par "l'accession en Ligue 1" des Sang et Or. Le club présente aussi "des recettes en matière de droits télévisuels supérieures à celles attendues initialement (750 000 euros)". Des joueurs ont par ailleurs accepté de recevoir de façon échelonnée leur prime, dont le paiement était prévu en juillet. Ils la percevront "en partie en juillet et octobre 2014, et en janvier 2015". 


Le RC Lens estime que "la progression du bugdet, évaluée à +103%, est cohérente". Les recettes de billetterie revues nettement à la hausse malgré les travaux de Bollaert ? "L'organisation de trois matches au Stade de France lors de la saison 2014/2015 (Lens-PSG, Lens-LOSC et Lens-OM) devrait, selon les prévisions du Stade de France, générer une recette globale de 6,66 millions d'euros", répondent les responsables lensois qui ajoutent que "c'est en faisant preuve de prudence que le club a budgété sa recette totale de billetterie à hauteur de 6,1 millions pour l'ensemble de la saison" (on notera que les recettes billetterie estimées ont été réduites de 1,8 million d'euros par rapport au premier budget présenté à la DNCG). Les ventes de joueurs ? Elles "seraient raisonnablement estimées" et "en tout état de cause, le club dispose de droit de suite et de droit à compléments d'indemnité au titre de contrat de mutation de plusieurs joueurs", non mentionnés dans le budget. Le club semble alors faire référence aux 10% qu'il est censé percevoir si Toulouse vend définitivement Serge Aurier au Paris Saint-Germain. Le jour de la conciliation, le joueur ivoirien, formé à La Gaillette, est officiellement prêté pour une saison au club de la capitale avec option d'achat. Et quid sinon la 10e place finale envisagée ? Le "budget en charges d'exploitation prévisionnel (48 millions d'euros) positionnerait (Lens) dans les huit équipes les mieux dotées du championnat, de sorte que la 10e place estimée (...) ne serait pas déraisonnable". Gervais Martel et son équipe appuient enfin sur la corde sensible. "La privation de l'accession (du club) en Ligue 1 remettrait en cause sa pérennité et aurait des conséquences irréversibles pour son avenir", plaident-ils. "Le club, dont la survie serait remise en cause, s'exposerait aux départs de son entraîneur et de ses joueurs et un état de cessation de paiement en découlerait très probablement. Au plan social et économique, un refus d'accession mettrait en péril certains emplois de salariés et aurait des répercussions importantes sur l'économie locale." Le RC Lens demande "le retrait de la mesure d'interdiction d'accession du club" en Ligue 1 et que le "retrait de cette mesure soit assorti d'une mesure de recrutement contrôlé".

28 juillet 2014 : le comité exécutif de la FFF réintègre Lens en L1

Durant la conciliation du 23 juillet, les représentants de la FFF apportent plusieurs objections à l'argumentaire lensois. Hocine Mekidiche et Werner Boucheny émettent notamment "des réserves sur les montants annoncés par le club", concernant les recettes de billetterie. Selon la fédération, "le courriel du Stade de France versé aux débats fait état de recettes prévisionnelles maximales, donc optimistes". Idem sur les recettes de sponsoring. Le représentant de la DNCG et le juriste signalent que l'avance de Sportfive est "conditionnée à l'accession du club en Ligue 1" et qu'elle "constitue un élément nouveau qui ne peut pas être versé aux débats". Elle modifie "le plan de trésorerie présenté par le club" devant la commission d'appel de la DNCG, "lequel a de fait, également, un caractère nouveau". La conciliation du CNOSF est censée porter en effet sur la décision de la commission d'appel, fondée sur l'audience du 15 juillet et les éléments qui y ont été présentés. La FFF rappelle que le versement de 10 millions d'euros, prévu au 25 juin, "n'a pas été réalisé au jour de l'audience de concilation" et que la garantie à première demande de 18 millions d'euros "émane d'un établissement privé, la Bank of Azerbaijan, qui serait une filiale du groupe détenu par l'actionnaire majoritaire du club". Il existe donc "une incertitude sérieuse" sur ce versement et par conséquent "sur la continuité d'exploitation du club". Les représentants fédéraux rappellent que le RC Lens a déjà fait l'objet de "trois procédures de contrôle de gestion ayant abouti à des décisions de la commission d'appel de la DNCG au cours de l'année écoulée" et qu'il a été interdit de recrutement en janvier 2014.


Malgré ces objections, le conciliateur du CNOSF, Me Philippe Missika, va en partie donner raison au RC Lens. Concernant les recettes de billetterie, il observe que le club artésien a budgété "un montant inférieur aux recettes estimées pour les seules rencontres programmées pour se dérouler au Stade de France". Pour ce qui est du sponsoring, l'avance de Sportfive de 5 millions d'euros, aux yeux de l'avocat, "n'apparaît pas (nouvelle) (...), puisqu'(elle) conforte la réalisation de la perception, par le club, de la quasi-intégralité des 5,264 millions budgétés et annoncés à la commission d'appel de la DNCG", bien qu'elle modifie totalement le plan de trésorerie présenté au "gendarme financier". Pour le conciliateur toutefois, "l'exercice de lissage", qui permet à Lens de "présenter une trésorerie positive tout au long de l'année", n'est pas "de nature à dissiper les doutes qui demeurent s'agissant de la continuité de l'exploitation et de la pérennité du club, au regard des incertitudes (...) relatives à la concrétisation des apports d'actionnaires attendus par le club".


Du coup, le conciliateur du CNOSF demande encore une fois au RC Lens de "présenter des instruments financiers indiscutables susceptibles de dissiper les incertitudes" concernant les 18 millions qu'Hafiz Mammadov s'est engagé à verser en deux fois en octobre 2014 et janvier 2015. La "dead-line" est fixée au vendredi 25 juillet, 14h. Et "miracle" ! Le 25 juillet, Philippe Missika reçoit un courriel du RC Lens contenant une lettre d'Hafiz Mammadov "précisant qu'il a, de façon irrévocable, mis à la disposition du club un montant de 4 millions d'euros le 25 juillet 2014, en effectuant ainsi par avance le versement de 4 millions d'euros dont il était prévu initialement qu'il soit effectué en octobre 2014". Ce courrier est surtout accompagné d'un "virement SWIFT émis par la Bank of Azerbaijan certifiant l'envoi de 4 millions d'euros sur le compte RCL de la société RCL Holding". Le conciliateur du CNOSF estime "qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause le caractère probant" de ce versement et qu'il constitue "un engagement réel" d'Hafiz Mammadov. Il va donc "de ce fait (...) pouvoir proposer à la fédération une mesure de limitation de la masse salariale du club et/ou de recrutement contrôlé (...) à la mesure d'interdiction d'accession sportive au championnat Ligue 1". Une propositon que le comité exécutif de la FFF valide le 28 juillet 2014. Lens jouera finalement bien en Ligue 1.  

Virement fantôme         

"Hafiz a mouillé le maillot en amenant du cash", se félicite Gervais Martel, après l'annonce de l'arbitrage du CNOSF. "C'était une décision importante à faire, essentielle. Il en a apporté un certain nombre, mais ce n'est pas le plus important. Le budget de Lens sera garanti sur l'année. Et il n'est pas impossible qu'Hafiz refasse un geste en janvier avant le mercato" (on notera que le président lensois évoque alors le versement des 14 millions en janvier comme une option alors qu'il s'agit d'un engagement budgétaire pris devant la DNCG et le CNOSF). Seul souci, ce fameux virement SWIFT de 4 millions d'euros, élément décisif car jugé "probant" par le conciliateur, n'arrivera jamais les caisses du club. Le 5 août, les Sang et Or annonceront dans un communiqué que "la DNCG a interdit provisoirement au Racing Club de Lens de recruter, dans l'attente du respect de l'engagement de l'actionnaire de verser par anticipation les sommes prévues en octobre 2014". Ce virement SWIFT n'avait donc pas plus de réalité que l'ordre de virement du 11 juillet émis lui aussi par la Bank of Azerbaijan et présenté devant la commission d'appel de la DNCG. 


Lens parviendra quand même à obtenir ces 4 millions d'euros mais beaucoup plus tard et en deux fois. Fin septembre, 1,5 million tomberont dans les caisses du club. Mais il faudra attendre décembre pour obtenir les 2,5 millions d'euros restant par le biais d'un certain Anar Mammadov (sans lien de parenté avec Hafiz), fils du ministre des Transports d'Azerbaïdjan. Quant aux 14 millions d'euros, censés être versés en janvier 2015 avec une garantie à première demande de la Bank of Azerbaijan, ils resteront lettre morte. A l'évidence, ni le conciliateur du CNOSF, ni le comité exécutif de la FFF, n'ont cherché à en savoir plus sur la solvabilité du Baghlan Group d'Hafiz Mammadov, ni sur celle de la Bank of Azerbaijan. Pourtant à l'été 2014, les deux sociétés - liées à l'actionnaire majoritaire du RC Lens - étaient déjà au plus mal. En décembre 2013, le Baghlan Group avait échoué à rembourser une échéance d'un emprunt obligataire de 150 millions de dollars (136 millions d'euros), contracté auprès de la filiale luxembourgeoise d'une banque française, BNP Paribas. Quatre mois plus tard, l'agence de notation Fitch décidait de dégrader la note du groupe d'Hafiz Mammadov en raison de son incapacité d'honorer ses dettes et "d'informations insuffisantes" ne permettant plus d'estimer la situation du groupe en termes de liquidités.


Cette information a été diffusée le 2 avril 2014 par la célèbre agence de presse internationale Reuters. Mais elle n'est pas arrivée visiblement jusqu'au comité exécutif de la FFF, ni jusqu'au conciliateur du CNOSF qui ne semblaient pas non plus au courant de la situation financière de la Bank of Azerbaijan. Début mai 2014 pourtant, Elman Rustamov, le président de la Banque centrale azerbaïdjanaise, s'inquiétait publiquement du manque de liquidités de cet établissement privé, dont le capital était détenu par deux fils et un frère d'Hafiz Mammadov. A la fin du même mois, l'actionnaire majoritaire du RC Lens avait été éjecté de la présidence du conseil de surveillance. Certains médias azéris évoquaient une dette colossale de 700 millions de dollars (635 millions d'euros). A l'été 2014, la Bank of Azerbaijan avait été placée sous tutelle pour être recapitalisée et avait stoppé temporairement ses activités de crédit (elle a fini par être placée en liquidation en février 2016) . Au même moment d'ailleurs, un autre club de football ne vit jamais arriver des fonds promis par Hafiz MammadovSheffield Wednesday (2e division anglaise) devait être racheté par l'homme d'affaires azerbaïdjanais pour environ 50 millions d'euros. "Malheureusement, malgré tout le travail effectué par les deux parties, M.Mammadov n'a toujours pas été capable à ce jour de remplir les engagements stipulés dans les termes de l'accord", déclarait Milan Mandaric, le vendeur, dans un communiqué en date du 8 août 2014
       

Le président de la DNCG écarté

Les membres de la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG) semblent en revanche s'être posés très tôt des questions sur la solvabilité de Mammadov. Dès le printemps 2014, après le premier retard de versement. Lors du passage du RC Lens en commission d'appel le 15 juillet 2014, le "gendarme financier" s'interrogeait encore sur l'origine du versement d'un reliquat de 7 millions d'euros dans les comptes du club le 23 mai 2014. En mars 2015, le sénateur LR du Bas-Rhin Alain Reichardt, président du groupe France-Caucase pour l'Azerbaïdjan, nous donnera une réponse. "L'Etat d'Azerbaïdjan est intervenu à deux reprises", assurera-t-il. "Il y a eu deux versements : un premier de 7 millions d'euros et un second de 3 millions. Il s'agissait de sauver les meubles à titre gracieux. Mais maintenant, ce n'est plus possible. C'est ce que m'a dit l'ambassadeur d'Azerbaïdjan en France​." "L’Azerbaïdjan n’a jamais rien payé !", répondra Gervais Martel, offusqué. "Tous les fonds sont passés par le Baghlan Group. Après, s’il y a eu des interventions là-bas, c’est leur sauce. Je n’ai pas à m’en mêler...".


En tout cas, le versement de ce reliquat de 7 millions d'euros est intervenu quelques jours après une visite officielle de François Hollande en Azerbaïdjan. Gervais Matel faisait partie de la délégation. Le président de la République l'avait introduit auprès du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. "Il m'a aidé à récupérer le solde de l'année dernière de Mammadov, il a été exceptionnel dans ce dossier-là", reconnaîtra le président lensois en mars 2015, dans une interview au Parisien. De son côté, le député socialiste du Pas-de-Calais, Nicolas Bays, déclarera, en septembre 2014 dans une interview à But! Lens, qu'il avait demandé à François Hollande d'intervenir en faveur de la montée en Ligue 1 du RC Lens auprès des instances sportives. "Je m'en occupe en ce moment-même", lui aurait répondu le chef de l'Etat. "J’aime ce club, l’avis du CNOSF va dans le bon sens", lui aurait également écrit le Premier ministre Manuel Valls. Nicolas Bays rétropédalera ensuite. "J'ai cherché à sensibiliser le CNOSF, pas à influer sur la décision", nous expliquera-t-il par téléphone. "Pour être clair, j'ai alerté le président sur les conséquences économiques notamment en terme d'emplois ainsi que sur l'investissement public lié au nouveau stade qu'il y aurait eu si Lens était descendu donc liquidé. Qu'il fallait prévoir les conséquences et qu'il faudrait y apporter des réponses. Je sais que le président de la République a le respect strict des institutions. Je suis sûr qu'il n'a rien fait qu'il ne devait pas faire. "Je m'en occupe en ce moment-même" , ça veut sans doute dire qu'il a demandé au secrétaire d'Etat aux sports de suivre particulièrement le dossier."


L'opacité de ces versements et les ordres de virement sans lendemain de la Bank of Azerbaïdjan sont en tout cas restés en travers de la gorge de Richard Olivier, le président de la DNCG, qui n'a pas apprécié d'être déjugé par le CNOSF puis la FFF. Dans une interview accordée à L'Equipe le 5 mai 2015, il déclarera que Lens a été sauvé "au nom de l'intérêt supérieur du football français", au terme d'"une procédure malsaine" sur la base "de documents qui étayaient un certain nombre d'informations (qui) n'étaient pas vraies". Comme un baroud d'honneur, il lancera une instruction sur "l'argent versé ou promis en provenance d'Azerbaïdjan", dixit Le Parisien, avant d'être écarté de ses fonctions au mois de juin. "On va prouver que tout ce qui a été dit sont des propos déplacés, inadaptés, qui ne correspondent pas à la réalité", s'était agacé Gervais Martel à la suite de son interview à L'Equipe.

Epilogue

Le RC Lens a terminé la saison 2014/2015 sans déposer le bilan. Mais le club artésien s'est classé 20e et dernier de Ligue 1, loin de la 10e place sur laquelle était fondé son budget. Les recettes billetterie, elles, ont été correctement évaluées : 6,16 millions d'euros ont été encaissés selon le rapport de la DNCG sur les comptes individuels des clubs. Concernant les ventes de joueurs, seul Dimitri Cavaré a été cédé à Rennes pour 3,6 millions d'euros alors que le club avait budgété 8 millions d'euros de cessions. Paradoxalement, c'est l'interdiction de recrutement et le plafonnement de la masse salariale à 6,5 millions d'euros imposés par la DNCG qui ont  sans doute aidé Lens à s'en sortir financièrement, en permettant des économies substantielles.


Gervais Martel et son équipe sont également parvenus à obtenir plusieurs reports d'échéances. Les loyers du Stade Bollaert-Delelis, par exemple, ont été suspendus pendant la durée des travaux et lissés jusqu'en... 2052. De même, les remboursements d'emprunt ont été renégociés et quasiment divisés par deux la saison dernière : 610 000 euros au lieu des 1,2 million initialement prévus. La dette à l'égard des fournisseurs s'est également accrue. Lens a fini toutefois la saison avec une perte de -10,1 millions d'euros, supérieure à celle qui avait été budgétée (-9 millions) devant la commission d'appel de la DNCG. Les Sang et Or ne sont parvenus à équlibrer leur bilan qu'avec deux éléments inscrits au passif : 4 millions d'euros venus d'Azerbaïdjan et 6,2 millions d'avances sur recettes de la saison en cours.

L'arrêt du 1er mars 2016 de la cour administrative d'appel de Nancy n'invalide que la procédure qui a permis au RC Lens de sauver sa place en Ligue 1 à l'été 2014, sans se prononcer sur les arguments et les éléments qui ont permis ce sauvetage. Mais lorsque le tribunal administratif de Besançon s'était penché sur le dossier en janvier 2015, le rapporteur public avait clairement souligné que la FFF "(avait) commis une erreur de droit en autorisant le club de Lens à participer au championnat de la Ligue 1 de la saison 2014/2015 alors que sa situation financière à l'issue de la saison 2013/2014 était incompatible avec sa participation à un championnat de la Ligue 1".
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