Depuis le début de l’année, onze résidences secondaires ont été visées par des attentats et des incendies criminels dans l’île. Si ces différentes actions n’ont pas été revendiquées, elles s’inscrivent dans un contexte politique tendu marqué par l’agression mortelle d’Yvan Colonna.
Maisons incendiées, charges explosives retrouvées, tags sur les murs... Depuis le début de l’année, l’île fait face à un regain de violence nocturne.
En trois mois et demi, onze maisons ont été la cible d’incendies criminels et d’attentats. Point commun : ce sont toutes des résidences secondaires. Dernier exemple en date ce jeudi à Conca où deux villas ont été dévastées par les flammes.
Entre le 7 et le 14 avril, pas moins de six maisons ont brûlé dans l’île. Sur certains de leurs murs, des slogans "IFF" ("I Francesi fora") ont été bombés. Sur d’autres, des tags en hommage à Yvan Colonna ont été inscrits par les auteurs des faits.
Les 11 résidences secondaires visées en 2022 :
- 16 janvier, Brando : charges explosives sur deux maisons
- 22 février, Conca : incendie (présence de tags)
- 7 mars, Bravone : appartement et voiture incendiés (Tags)
- 28 mars, Cargèse : charge explosive
- 7 avril, Canale di Verde : incendie (Tags) - la même maison avait fait l’objet d’une tentative d’attentat le 24 février.
- 9 avril, Ghisonaccia : charge explosive
- 10 avril, Capo di Feno : incendie
- 13 avril, Pianottoli-Caldarello : incendie (tags)
- 13 avril, Conca : incendie (Tags)
- 14 avril, Conca : incendie (Tags)
Aucune revendication
Pour l’heure, aucun de ces attentats et incendies n’a été revendiqué. Si plusieurs tags, avec un message parfois similaire, ont été découverts sur les lieux, il est pour l’instant difficile de savoir si ces actions émanent d’un ou plusieurs groupes, proches ou pas de la mouvance nationaliste.
À Pianottoli, dans la nuit du 12 au 13 avril, un nouveau sigle AJRC (Action des jeunes pour la renaissance de la Corse) a fait son apparition sur une villa en partie détruite par les flammes. Néanmoins, aucun communiqué de revendication n’a suivi.
"On n'identifie pas encore ce groupuscule dans le paysage, si ce n'est qu'il serait apparu récemment", a indiqué à l’AFP Nicolas Septe, procureur de la République d’Ajaccio.
À Capo di Feno, à l'ouest d'Ajaccio, la résidence incendiée dans la nuit du 9 au 10 avril avait quant à elle fait l’objet d’une tentative d’attentat en septembre 2021. L’action - avortée - avait alors été revendiquée par le FLNC. Ce qui n’a en revanche pas été le cas de celle du week-end dernier au même endroit, où deux bungalows sont partis en fumée.
"Un retour un peu attendu"
Si on est encore loin des "nuits bleues" du FLNC des années 80 ou 90, cette flambée de violence témoigne d’une certaine tension qui s’est accentuée depuis l’agression mortelle d’Yvan Colonna, le 2 mars, à la centrale d’Arles. Depuis cette date, huit résidences secondaires (sur 11) ont été visées dans l’île.
"D’une certaine façon, ce retour à quelques éléments de violence politique - qui font penser au répertoire classique du nationalisme clandestin - était un peu attendu, analyse l’universitaire Xavier Crettiez, spécialiste de la violence politique. Il y aura quelques "flammettes" de violence mais je ne pense pas que l’on revienne à des "nuits bleues" imposantes et à une lutte armée de grande envergure. Techniquement, structurellement et politiquement, ce n’est plus tellement faisable. Néanmoins, il y a quelques maisons qui sautent ou qui brûlent et qui sont choisies selon un certain fondement."
De son côté, le FLNC (regroupant les structures "Union des combattants" et "22 octobre") n’a plus fait parler de lui depuis le 16 mars dernier. À la veille de l’arrivée en Corse du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, le mouvement clandestin avait - via un communiqué - menacé de repasser à l’action. Mais depuis la tentative d’attentat de Capo di Feno en septembre 2021, il n’a plus revendiqué aucune action.
"On a vraisemblablement affaire à des gens qui n’ont pas connu les années de clandestinité ou alors qui étaient trop jeunes."
Xavier Crettiez
Le modus operandi de ces récentes actions interpelle également. En dehors des attentats de Brando, Cargèse et Ghisonaccia, toutes les autres villas ont été incendiées. Aucune charge explosive n’y a été découverte.
"Les charges, il faut maîtriser la technique qui va avec, souligne Xavier Crettiez. Là, on a vraisemblablement affaire à des gens qui n’ont pas connu les années de clandestinité ou alors qui étaient trop jeunes. Ça ne s’improvise pas d’aller mettre un explosif. En revanche, un incendie, c’est davantage à la portée de n’importe qui. On est un peu dans du terrorisme low-cost, facilement accessible. Ce regain de violence nocturne intervient peut-être au moment où la violence émeutière de type black bloc, qui était particulièrement nouvelle en Corse et qui a eu lieu pendant les manifestations des quatre dernières semaines, commence un peu à s’épuiser."
Pas de saisie du PNAT
À ce jour, toutes les investigations en cours sont menées par les services de Gendarmerie. Pour l’instant, le Parquet national antiterroriste (PNAT) ne s’est saisi d’aucune enquête concernant les onze résidences secondaires visées depuis le début de l’année.
Le PNAT serait "actuellement débordé par les saisies liées au terrorisme islamiste", selon Xavier Crettiez. "Néanmoins, ajoute-t-il, des juges antiterroristes commencent à avoir quelques petites préoccupations sur la Corse."
"Le PNAT est avisé et peut se saisir d’une de ces enquêtes-là quand il le souhaite, précise de son côté Jean-Jacques Fagni, procureur général de Bastia. Il y a d’abord une évaluation et une vérification des services d’enquête, notamment de la SDAT (sous-direction antiterroriste), afin de voir s’il peut y avoir des éléments probants sur le caractère terroriste de ces faits. C’est donc en cours d’évaluation et rien ne dit que le PNAT ne se saisira pas, à terme, d’une de ces enquêtes, notamment s’il y avait une revendication."