Rue d'Aubagne, un an après : délogés, travaux, mesures... le triste constat du collectif du 5 novembre

Il y a un an, les immeubles 63 et 65 de la rue d'Aubagne s'effondraient à Marseille, provoquant la mort de huit personnes. L'heure est bilan. Que deviennent les délogés, que deviennent les immeubles, que font les pouvoirs publics ? Selon le collectif du 5 novembre, beaucoup reste à faire.

Marseille et sa "dent creuse". La ville ne peut cacher le trou béant rue d'Aubagne, les fantômes des immeubles qui se sont effondrés le 5 novembre 2018 au n°63 et 65 de la rue traversant le quartier de Noailles, le coeur battant de la ville phocéenne.

Un an après le drame qui a causé la mort de huit personnes, l'heure est au bilan.

3700 délogés, 300 encore en attente

Depuis l'effondrement des deux immeubles, 3700 personnes ont été délogées, au 5 novembre 2019. Selon le collectif de la rue d'Aubagne (C5N), ce chiffre grossit toutes les semaines, et les immeubles sont régulièrement condamnés, comme le 41 rue d'Aubagne, le dernier en date. 

Maël Camberlein, membre du Collectif du 5 novembre, a été délogé du 69 rue d'Aubagne. Avec son épouse, ils étaient propriétaires occupants de leur appartement. Après deux mois et demi d'errance entre les amis, les collègues de travail, la famille, ils ont finalement obtenu la prise en charge des frais d'hôtels par la mairie de Marseille, au même titre que les locataires. Et ce grâce à la charte du relogement.

"Il y a moins de 70 ménages qui ont été relogés en définitif et 55 qui ont été réintégrés dans leur bâtiment, témoigne Maël. Dans les 1500 qui sont en logements temporaires, 400 personnes sont à l’hôtel et les autres se sont débrouillés tout seuls".

Pourtant, les logements vides existent à Marseille. Mais légalement, ce n'est pas possible, cela ne peut être que du temporaire. La réquisition de ces logements vides prend un an, leur a dit la mairie après le drame. Un an est passé, mais toujours rien. "La réquisition est non-sujet. Aucune pression sur les propriétaires, sur les banques ou les assurances", déplore Maël.

Selon la mairie, plus de 3.000 personnes ont été évacuées en un an, de plus de 356 immeubles. Trois-cents sont encore en attente d'un relogement définitif.

Des évacuations illégales ?

Maël Camberlein explique qu'au début, dans les premiers mois après les effondrements, la mairie passait en urgence pour évacuer les immeubles. "On n'est plus dans les premiers mois, ils continuent à évacuer des immeubles sans arrêtés de péril ce qui n’est pas la voie légale".

La mairie doit signaler, nommer un expert judiciaire au tribunal pour définir s'il y a péril, déposer un arrêté et après évacuer. Aujourd'hui, les personnes sont délogées sans arrêtés de péril au préalable, or cet arrêté a un grand intérêt par rapport aux droits des personnes, notamment pour arrêter de payer leur loyer, dénonce le collectif. 

"Les gens continuent de payer leur loyer alors qu'ils n'occupent plus leur appartement", indique Maël Camberlein.

Le poids des associations

Le Comité du 5 novembre et les autres associations oeuvrent pour rendre accessible l'information aux habitants délogés. "On fait en sorte de diffuser toutes les solutions et les moyens qu’on a su découvrir par nous-même et expliquer aux personnes leurs droits, les mettre en lien au besoin avec les avocats".

Depuis le drame, la mairie a organisé de nombreuses réunions mais le collectif regrette que les compte-rendus n'aient pas été diffusés à l'ensemble des délogés. La charte du relogement a permis de coucher sur papier ce qui était possible, ce que la loi permet. "80% de la charte c’est la loi, mais appliqué à du concret, comment la mettre en place sur la ville de marseille?", interroge le collectif.
 

Une porte d'entrée cadenassée, symbole des immeubles condamnés à Marseille, sous le coup d'un arrêté de péril grave et imminent. / © GERARD JULIEN / AFP

Les marchands de sommeil 

Le collectif du 5 novembre met en avant le problème de fond du mal logement : la main mise des marchands de sommeil sur les logements insalubres. "Des signalements, il y  en a 1500 à 2000 par an, mais des personnes qui passent en commission d’insalubrité : 0 l’année dernière, 6 cette année".

Selon le collectif, "il a une volonté réelle d’appliquer la loi au compte goutte et de ne pas diffuser l’information".

Des actions à long terme

Résoudre le problème de l'habitat indigne à Marseille est un travail de longue haleine. Maël en est convaincu. Et notamment à cause de l'inertie des pouvoirs publics. "C'est un problème de longue date. Cela fait 20,30 ans que la ville mène cette politique du pourrissement. La situation s’est gangrénée", regrette-t-il. 

"Dire qu’on a relogé tout le monde à l’hôtel n’est pas une solution satisfaisante, cela ne gère pas la problématique des repas, des tickets de transport, de la laverie…, explique-t-il. Tout cela est un combat quotidien. Des solutions trouvées au début, ont été retirées au bout de quelques mois. Il a fallu des coups de pression permanent de la part des associations pour arriver à maintenir les avancées"

Maël note des avancées, notamment la prise en charge des propriétaires occupants. Mais cela reste insuffisant, à un an du drame. "C’est ne pas prendre conscience de l’ampleur du problème qui va durer des années", estime-t-il.

"Un an après, on n’a toujours pas quelque chose de solide qui couvre toute la problématique malgré notre contact de la mairie et de la préfecture".

Une gentrification en marche

Le collectif du 5 novembre ainsi que plusieurs associations luttent contre la gentrification qui s'opère selon eux dans le quartier de Noailles, mais pas que. "On n’a pas besoin de mixité sociale, elle existe de fait", explique Maël.  

"Ce qui est nécessaire, c’est qu’ils prévoient un droit au retour des personnes qui habitaient ces immeubles", explique-t-il. Les délogés ont été éloignés en périphérie. "On ne veut pas finir avec des Airbnb partout et des logements seulement pour des propriétaires ou en gentrifiant avec des logements à prix libres".

Le collectif se bat pour l'inclusion des habitants dans la rénovation du centre-ville, leur quartier. 

Un épuisement général

Les délogés, les membres des associations, se disent épuisées. "C’est la statégie générale, donner une info après deux heures d’attente à un rendez vous. Ne pas répondre au niveau de langage nécessaire pour que les gens prennent les choses en main".

De son côté, Maël s'est battu pour la suspension d'un emprunt de 10 ans sans intérêt. 27 mails plus tard, il a obtenu ce qu'il voulait. Mais à quel prix ? "Cela prend un temps énorme. Pour tout le monde. Un nombre de rendez vous incalculable, un nombre d'emails incalculable".

Et ces solutions, tout le monde n'y a pas accès. "Ce n’est pas normal au bout d’un an d’en être là. Ce n’est pas prendre en compte la réalité des choses". 

Le collectif du 5 novembre prépare une mobilisation le samedi 9 novembre, au terme d'une semaine hommage. Elle débute lundi 4 novembre par une veillée et une "prise de libre parole aux habitants". "On a besoin de la mobilisation de l’ensemble des marseillais pour défendre leur ville", déclare Maël. 

Les expositions photos, les concerts, les actes de solidarités notamment au stade vélodrome lors du match OM-Lille "font chaud au coeur", estime celui qui se bat depuis un an.

"Maintenant, il faut faire du mal-logement un thème national". Si Marseille en est symptomatique, d'autres villes peuvent en être concernées. "Il faut faire quelque chose qui soit applicable ailleurs, comme la charte". 

Le refrain reste le même depuis un an : "Il faut qu’on oblige les institutions à donner des réponses et que les habitants soient inclus dans les décisions".

17 millions versés sur les 240 promis

L'Etat aura engagé, d'ici la fin de l'année, 17 millions d'euros pour la rénovation de Marseille, sur les 240 millions promis par le ministre du Logement après les effondrements meurtriers de deux immeubles, pour lutter contre l'habitat indigne dans la deuxième ville de France.

Seuls 17 millions d'euros "auront été payés ou engagés par l'Anah (agence nationale de l'habitat) pour la rénovation de Marseille", a appris lundi l'AFP auprès d'une source proche du ministre.

"Cela a permis de prendre en charge des mesures d'urgence pour les familles du centre-ville, le lancement des études pour les opérations de rénovation de l'habitat dégradé du centre-ville ou encore des travaux d'urgence sur les copropriétés dégradées", a détaillé cette source.

Les 240 millions, assure cette source, seront versés "sur dix ans".

Interrogé sur Europe 1 lundi, Julien Denormandie a annoncé la création d'une société de rénovation de l'habitat à Marseille, dont l'Etat sera actionnaire. "Cette structure ne fera que ça: racheter des immeubles insalubres, les rénover et les remettre sur le marché", a détaillé le ministre.
 
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