Mené du 21 au 25 juin aux Assises de Saône-et-Loire à Chalon-sur-Saône, le procès de Valérie Bacot a été marqué par de nombreuses figures à la personnalité affirmée.
Pendant 5 jours, le procès de Valérie Bacot a comporté son lot de moments forts, avec plusieurs acteurs aux personnalités affirmées ou aux propos marquants. De la victime présentée comme un pervers, à l'accusée bouleversée par une vie de violences conjugales subies, en passant par les acteurs incontournables comme l'avocat général ou la présidente de la cour d'Assises, les débats organisés entre le 21 et le 25 juin au tribunal de Saône-et-Loire de Chalon-sur-Saône ont donné la parole à des figures très différentes les unes des autres.
Mais toutes racontent un aspect de notre société. Elles nous renseignent sur le fonctionnement de la justice et nous interrogent sur les violences conjugales. Pour rappel, Valérie Bacot a été condamnée pour "assassinat" à 4 ans de prison dont 3 avec sursis. Elle est ressortie libre, ayant déjà réalisé une année de détention après son arrestation.
Valérie Bacot, accusée et victime
Tout au long de la semaine, Valérie Bacot est une figure ambivalente. Car si elle se retrouve sur le banc des accusés, la femme de 40 ans est aussi une victime. Pendant 24 ans, elle subit la violence de Daniel Polette, son beau-père puis son mari. Assise en prenant le moins de place sur sa chaise ou bien debout mais agrippée à la barre face à la cour, tout dans son langage corporel témoigne de sa fragilité.
Pendant les 5 jours de débats, l'accusée pleure beaucoup, parle dans un souffle étouffé par les sanglots et revit avec émotion les épisodes d'une vie faite de violences et d'agressions physiques, verbales et psychologiques. "Ce procès, c'est encore mon combat contre lui", lance-t-elle dès le premier jour. Valérie Bacot répond sans rien cacher de sa vie sous emprise et explique son geste par la peur. "Je voulais nous protéger de lui".
Au quatrième jour du procès ce jeudi, Valérie Bacot se montre sous un autre aspect. Lorsqu'elle parle de sa vie actuelle et de son travail, son attitude, son élocution et son vocabulaire changent. La femme n'est plus la même, beaucoup plus confiante et affirmée. "Je ne suis plus une chose. Je suis devenue quelqu'un", lance-t-elle avec sincérité. Mais la femme de 40 ans reste marquée par son parcours. Vendredi, après le réquisitoire de l'avocat général qui réclame 5 ans de prison dont 4 avec sursis, elle fait un malaise sous le coup de l'émotion. Ayant déjà été incarcérée un an en prison, elle comprend qu'elle peut ressortir libre à la fin de cette semaine de débats éprouvante pour elle.
Daniel Polette, l'accusé fantôme
Le procès de Valérie Bacot est aussi le sien. Qualifié de "monstre de La Clayette" par Nathalie Tomasini, avocate de la défense, la victime apparaît tout au long des débats comme une personne violente, impulsive et malsaine. Au point de se demander si Daniel Polette n'est pas le véritable accusé. Aucun témoin ne vient défendre celui qui se faisait surnommer "Dany". Bien au contraire, sa sœur Mireille affirme : "moi il ne me manque pas. Il ne m'a jamais manqué et il ne me manquera pas".
Même discours pour les trois enfants de Valérie Bacot et Daniel Polette cités à la barre. "Mon père ne me manque pas", lance l'un d'entre eux. La victime apparaît comme quelqu'un de pervers et manipulateur qui fait subir à son entourage les pires sévices. Adolescent, il frappe son père handicapé et viole sa sœur. Ses différentes compagnes sont victimes de violences conjugales de sa part. Valérie Bacot est quant à elle violée dès ses 12 ans par lui, son beau-père qui devient ensuite son mari.
Lucas, le beau-fils complice
Lucas est une autre personnalité complexe de cette affaire. Le jeune homme est le petit-ami de la fille de Valérie Bacot au moment où elle tue Daniel Polette. Il est aussi le confident de la mère de famille. L'après-midi qui précède le meurtre, il l'aide à empoisonner Daniel Polette avec des somnifères. Il est aussi celui qui la soutient pour cacher la dépouille du conjoint violent et organise la disparition des preuves. "Elle s’est sauvée la vie et j’ai aidé à dissimuler le corps", justifie-t-il.
Face à la cour, Lucas apparaît comme une personnalité forte mais influençable, s'exprimant parfois vulgairement et changeant de versions en fonction des questions qui lui sont posées. "Il s’est positionné en tant que leader de cette famille. Il prend symboliquement le rôle de sauveur. Il deviendra le mari de sa belle-mère et le beau-père de sa petite amie. Il s’est senti important de par l’attention que lui accordait Valérie Bacot", décrit une psychologue citée par Nathalie Tomasini, avocate de la défense. Entre août et octobre 2017, la mère de famille entretient en effet une relation avec Lucas : "C’est un gros bordel. Dans cette histoire, il n’y a rien qui va du début à la fin", juge-t-il.
Camille*, la fille courage
Mardi, les trois plus grands enfants de Valérie Bacot témoignent. Vincent et Romain défendent leur mère avec sincérité. Mais la plus convaincante et à l'aise dans cet exercice particulièrement difficile est Camille, le troisième enfant de la femme de 40 ans. À 19 ans, la jeune fille est en troisième année d'école d'infirmière. Elle impressionne l'audience par sa maturité.
Elle raconte alors son rapport à un père malsain. "Je ne me sentais pas à l'aise quand il me regardait, me carressait les cheveux. Le but n'était pas la tendresse". La veille de sa mort, Daniel Polette lui demande comment elle est "sexuellement". C'est la confession de Camille à sa mère qui crée un déclic en elle. Le lendemain soir, Valérie Bacot tire une balle dans la nuque de son conjoint. "J'ai dit à ma mère 'maman ce n’est pas grave on va s’en sortir. Je sais que tu n’as pas fait ça par plaisir mais pour nous protéger'", explique la jeune femme face à la cour d'Assises.
Joëlle Aubague, la mère indigne
Cela faisait partie des témoignages les plus attendus. Mercredi matin, Joëlle Aubague est appelée à la barre. La mère de Valérie Bacot a été la compagne de Daniel Polette. Face à la cour, la femme de 65 ans apparaît soignée et apprêtée. Mais très vite, ses réponses sèches et ses quelques remarques lorsque la présidente la contredit témoignent de son caractère autoritaire. Alors que son conjoint est condamné pour les agressions sexuelles qu'il commet sur sa fille, Joëlle Aubague la force à aller le voir en prison puis à lui envoyer des lettres. Lorsque "Dany" est libéré, il réintègre le domicile familial. De nouveau violée, Valérie Bacot tombe enceinte et est chassée par sa mère.
"Il y a des choses que j'ai faites que je ne referais pas, c'est sûr", regrette-t-elle. Mais la mère de Valérie Bacot n'adresse aucun mot et aucun regard à sa fille. Interrogée à propos du viol que Christophe, son fils, aurait commis sur sa fille Valérie, Joëlle Aubague affirme ne pas croire à cette "anecdote". Par ailleurs, elle souffle à la cour qu'elle estime que Valérie Bacot n'était pas sous l'emprise de Daniel Polette, mais bien amoureuse de lui. "Je n'attendais rien du tout de ma mère. Pour moi, elle n'existe pas", réagit le soir-même Valérie Bacot.
Monique Polette, l'autre victime de Daniel Polette
La journée de mercredi nous offre son lot de témoignages forts. Alain Polette exprime sa haine pour son frère, "cet être ignoble" avec une colère ni dissimulée, ni feinte. Mireille Polette, une autre sœur de la victime, affirme, "j'ai toujours pensé que mon frère était un pervers". Celle-ci marque d'ailleurs l'audience par sa gouaille et sa personnalité exhubérante. Mais le témoignage le plus fort, le plus émouvant du troisième jour de débats est celui de Monique Polette.
Assise car très fragile mentalement, la sœur cadette de Daniel Polette raconte les viols qu'il lui imposait entre ses 12 et 15 ans. "Mon plus gros regret c'est de ne pas l'avoir tué. Pour moi c'était un bourreau", glisse-t-elle avant de fondre en larmes. La femme de 59 ans porte encore les stigmates physiques et psychologiques de ces années de violences. Face à la cour, Monique Polette explique ne plus supporter la douleur et penser en permanence au suicide. Après ce discours poignant, la présidente du jury décide de ne lui poser aucune question.
Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta, les avocates de la défense
Pour ce procès, Valérie Bacot est défendue par Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta. Deux figures médiatiques importantes qui ont déjà assuré les intérêts de Jacqueline Sauvage lors de ses procès en 2014 et 2015. Avant et pendant le procès, les avocates utilisent les médias afin de faire entendre la cause de la femme victime de violences conjugales et faire peser le poids de l'opinion publique.
Lors de leurs plaidoiries, elles réclament l'acquittement de leur cliente. Une décision pour faire entendre la cause de toutes les femmes victimes de violences en France. "Si je plaide, c'est à la demande de Valérie mais aussi pour toutes ces femmes", raconte Janine Bonaggiunta. Pour Nathalie Tomasini, ce procès est l'occasion d'entrer dans "le nouveau monde de la justice", celui qui ne condamne pas mais protège les victimes de violences conjugales.
Céline Therme, la présidente empathique
Tout au long de cette semaine, la présidente du jury de cour d'Assises s'attèle à mener les débats avec précision, humanité et douceur. Se montrant bienveillante, Celine Therme se permet quelques commentaires personnels, comme quand elle explique à l'un des fils de Valérie Bacot : "Vous pouvez être fiers de la solidarité de la fratrie face à ces épreuves".
Dans ce procès parfois lourd et violent, la présidente arrive à diriger les échanges avec rigueur et empathie. Face à une Valérie Bacot à la posture et à l'attitude transfigurées au moment d'évoquer sa vie actuelle, la juge n'hésite pas à rebondir avec compassion sur certains propos. "Vous avez toujours besoin de conclure par 'c'est bête'". Rire général dans la salle d'audience.
Denis Prieur, le psychiatre pédagogue
La journée de jeudi représente un vrai tournant dans cette semaine de procès. Elle est consacrée à établir le profil psychologique de l'accusée. Le premier expert à témoigner est Denis Prieur, psychiatre à Montbard qui rencontre Valérie Bacot le 21 novembre 2017 peu après son arrestation. Le spécialiste s'exprime alors avec beaucoup de clarté et de pédagogie face à l'audience pour détailler ses conclusions sur la femme qui a tué son mari.
Denis Prieur explique que Valérie Bacot a été victime du syndrome de la "femme battue" et attribue à la société la cause de son malheur et de son passage à l'acte. "De mon point de vue de psychiatre, c’est une faille de la société. Notre rôle de société, c'est d’empêcher ça". À travers son expertise, l'audience prend conscience que sous emprise, il est impossible pour l'accusée de s'en sortir. "Son libre-arbitre est réduit à néant. Dans sa pensée, elle n’est pas seule. Son mari est toujours présent. L’emprise est permanente. L’injonction persiste". Détruire le bourreau en le tuant devient la seule solution pour s'en sortir.
Éric Jallet, symbole d'une justice qui évolue
L'avocat général n'est pas toujours tendre avec Valérie Bacot durant cette semaine de procès. Plusieurs fois, Éric Jallet reproche à l'accusée de ne pas avoir porté plainte plutôt que de tuer son conjoint. "Vous ne comprenez rien ! Vous ne savez pas ce que c'est de vivre sous la peur, de vous faire menacer par une arme !", lui répond-elle le premier jour des débats avec colère.
Le procureur se montre également virulent avec la mère de Valérie Bacot, Joëlle Aubague. "Votre fille a été violée par l'homme avec lequel vous vivez, c'est insupportable ! Or, vous n'avez pas réagi de manière très radicale, vous êtes prête à excuser, vous allez le voir en prison", lui reproche-t-il. Le jour de son réquisitoire, l'avocat général réclame finalement 5 ans de prison, dont 4 avec sursis, ce qui rime avec une libération de l'accusée qui a déjà passé une année en détention. "Faut-il que Valérie Bacot revienne en prison ? Je crois que la réponse est non". Un discours symbole d'une justice qui veut sanctionner le crime mais entend aussi l'attente sociale forte en marge de ce procès.
*les prénoms des enfants ont été modifiés.