Le FC Sochaux-Montbéliard a été officiellement rétrogradé en National 1, par la DNCG, gendarme financier du football, le 11 juillet 2023. Un choc pour tout un territoire. On revient sur 10 ans de descente aux enfers pour le club franc-comtois. Récit.
Mardi 11 juillet 2023. Le FCSM a été officiellement rétrogradé en National 1. Cette date restera sans aucun doute gravée dans la mémoire des amoureux du club doubiste. Comme les grandes victoires, dont on se souvient toute la vie, certaines défaites ne s'oublient jamais. Celle-ci est la plus grosse et la plus douloureuse jamais essuyée par les Jaune et Bleu.
En plus, elle ne s'est même pas disputée sur le gazon. Tout s'est joué en coulisses, ou presque. La longue descente aux enfers du club franc-comtois débute en 2014.
La belle époque
Pour rappel, le FC Sochaux est né de la volonté de deux salariés de la société des Automobiles Peugeot, Louis Maillard-Salin, directeur de la branche carrosserie, et Maurice Bailly, un des chefs de service de ce dernier. Le premier est le président fondateur du club, le second est à la fois le capitaine et l'entraîneur, en 1928.
Le FC Sochaux-Montbéliard est l'un des clubs pionniers du football professionnel en France. C'est notamment grâce à ce club qu'est instauré un championnat professionnel. Rapidement, Sochaux attire de nombreux joueurs venus de toute la France et de l'étranger, grâce au soutien de Jean-Pierre Peugeot, dont l'objectif est de faire connaître son entreprise et la région Franche-Comté, mais aussi d'offrir à ses ouvriers des distractions. Le club est sacré deux fois champions de France en 1935 et 1938. Il remporte deux Coupes de France, en 1937 et 2007. Le club évolue la majeure partie de son histoire en première division.
L'abandon du "père" Peugeot
Le propriétaire historique, le constructeur d'automobiles Peugeot, emblème de tout un bassin de vie, décide de vendre "son enfant", après l'avoir chouchouté pendant 85 ans. Sochaux vient de descendre en Ligue 2. Les Montbéliardais ne le savent pas encore, même si l'annonce est brutale, mais c'est le début des problèmes pour le FCSM.
En juillet 2015, PSA vend son club de foot à Ledus, une société spécialisée dans l'éclairage et filiale de Tech pro, un groupe coté à la Bourse de Hongkong. Certains disent que le FCSM aurait été cédé pour une bouchée de pain, environ 50 000 euros. Officiellement, la somme de 7 millions d'euros est annoncée.
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La débâcle Ledus
Wing Sang Li, PDG de Ledus, est nommé président du club. Les finances se portent de plus en plus mal et l'incompétence du président ne tarde pas à être remarquée. Jusqu'en 2018, le club se débat en Ligue 2... mais aussi face à la DNCG, instance chargée de vérifier les comptes des clubs de foot français. Les budgets sont bancals, sans parler des libertés prises par le président, avec les comptes du club (relire notre article).
Finalement, un accord est passé avec un club sportif espagnol, Baskonia Alavés, en avril 2018. Sochaux devient un "club satellite". Les Espagnols mettent le paquet sur la communication, disent qu'ils vont investir dans le FCSM, mais dans le Pays de Montbéliard, peu y croient tant les belles paroles ont déjà été expérimentées, sans résultat. La direction chinoise emprunte quatre millions d'euros à Nenking, une autre société chinoise, pour tenter de redresser la barre. L'inquiétude des supporters grandit et gagne les élus du Pays de Montbéliard.
Du côté des fans, elle se transforme peu à peu en colère. Ils demandent fermement le départ de Ledus, jusqu'à taguer les murs, mais aussi la pelouse de Bonal avec un message géant "Ledus Out".
Les caisses du FCSM se vident inexorablement et les choix financiers sont de plus en plus aléatoires. Les Espagnols se désengagent un an plus tard. En avril 2019, alors que Sochaux joue le maintien en L2 et fête ses 90 ans d'existence, le président chinois Wing Sang Li, est déclaré en faillite personnelle par la Haute-Cour de justice de Hong-Kong.
Nenking et Samuel Laurent
À l'été 2019, Nenking hérite du club sochalien, en raison de l'incapacité de Ledus à rembourser ses dettes. Il en prend la possession définitive en avril 2020 après de longs mois de tractations à l'abri des regards. Frankie Yau, numéro 2 de Nenking, devient président.
Un Français est installé sur le siège de directeur général. Samuel Laurent connaît bien le coin, mais n'a jamais géré un club de foot. Il est né à Montbéliard et a une histoire particulière avec le FCSM. Cet ancien baroudeur, passionné par la Libye, est aussi l'auteur de livres controversés, notamment sur l'État Islamique et Al Qaeda, comme le rappellent nos confrères de L'Equipe et du Nouvel Obs.
Après des années de communication verrouillée par Ledus, le petit-fils de Jean Laurent, ancien joueur du Football Club Sochaux-Montbéliard, tient à jouer carte sur table. Il détaille les ambitions de Nenking, en "rupture complète" avec ce qui a été fait par le passé. "On a essayé d’être le plus transparent possible. On voulait faire l’inverse de monsieur Li, qui disait que tout allait bien alors que rien n’allait", lance Laurent, tout en annonçant vouloir remonter en Ligue 1 dans les cinq prochaines années. Prompt à communiquer et à flatter la presse locale avec qui il rétablit les liens, le dirigeant semble hyperactif. Il rencontre également les supporters et parait déterminé à repartir sur de bonnes bases.
Les espoirs renaissent
La recette semble fonctionner. Peu à peu, les Jaune et Bleu renouent avec la victoire. Ils montent jusqu'à la deuxième place du classement en début de saison, fin 2019. Les joueurs montrent un bel état d'esprit et les supporters reviennent peu à peu garnir les gradins de Bonal. La fin de saison est moins brillante, mais les budgets sont validés par la DNCG. Le coach Omar Daf, ancien joueur du FCSM et toujours très apprécié, mène ses joueurs habilement. Le club sort peu à peu la tête de l'eau.
L'année suivante, même scénario ou presque, sans compter l'arrivée de la Covid-19 qui vient mettre un terme à la saison. Après une très bonne entame en 2020, les lionceaux peinent une nouvelle fois à confirmer en deuxième partie de saison.
La saison 2021-2022 doit être celle de la montée selon Samuel Laurent, qui décide de prolonger Omar Daf jusqu'en 2023. Les investissements sont conséquents et les arrivées se multiplient. Les Sochaliens remontent une nouvelle fois à la deuxième place du classement... avant de lâcher prise petit à petit au fil de la saison. En coulisses, les tensions naissent progressivement, notamment entre Omar Daf et Samuel Laurent. Le coach emblématique du FCSM décide de s'en aller chez le rival Dijon, après "des déclarations mensongères" le concernant. "La direction a sapé mon autorité à plusieurs reprises", confie-t-il.
Une désillusion de plus
Olivier Guégan est recruté au dernier moment, juste avant le début de la saison 2022-2023. Le coach met en place ses principes de jeu et s'entoure de ses adjoints. De gros salaires sont débloqués, pour garder ou faire venir certains joueurs d'expérience, et notamment Sambou Yatabaré ou encore Ibrahim Sissoko. La direction continue à parler de Ligue 1. Elle tente un véritable coup de poker en dépensant une importante somme financière.
Après un troisième début de saison flamboyant, le soufflé retombe et la situation devient critique. Guégan est mis à la porte après une incroyable série de huit défaites d'affilée. Sochaux termine finalement 9e, loin de la montée en Ligue 1 promise depuis tant d'années. Sur le plan sportif, le compte n'y est pas, mais dans l'ombre des couloirs de Bonal, la situation est encore plus critique. Des voix s'élèvent pour dénoncer la gestion de Samuel Laurent. Les supporters commencent à tirer la sonnette d'alarme et s'agacent de toutes les promesses non tenues.
"On s'est rendu compte que payer très cher des joueurs, ce n’est peut-être pas la bonne solution. En utilisant des joueurs expérimentés, mieux payés, mais qui s’avèrent pus décevants sur le terrain, on néglige sûrement aussi les autres, notamment les jeunes issus de notre centre de formation. C’est ce que nous voulons remettre au centre du projet", dit le directeur général. Dans une interview exclusive accordée à France 3 Franche-Comté fin juin, il continue à jouer la carte de l'assurance, sans jamais mentionner les difficultés financières du club.
Pourtant, elles sont grandes. C'est ce que l'on apprend officiellement quelques jours après, le 28 juin. La DNCG choisit de rétrograder provisoirement le FCSM en National 1. C'est une véritable douche froide.
La menace du dépôt de bilan
Le club doit alors trouver 22 millions d'euros, une somme astronomique. Le risque d'un dépôt de bilan apparaît. Tous les joueurs quittent le navire un à un. Au 6 juillet, ils sont 19 à avoir plié bagage, alors qu'Oswald Tanchot, un nouvel entraîneur, peu expérimenté, mais qui se dit "positif", est arrivé à Montbéliard.
Les amoureux du FC Sochaux-Montbéliard sont simplement stupéfaits. Comment le club a pu sombrer aussi profondément ? Samuel Laurent ne se démonte pas et continue à rassurer les supporters et la presse. "Nenking va injecter de l'argent, ce n'est qu'une question de temps". Plus les jours passent, plus les doutes grandissent quant à l'avenir du club dans le monde du football professionnel.
Une semaine plus tard, la somme d'argent n'arrive toujours pas sur le compte de Sochaux si bien que le directeur général s'envole jusqu'en Chine, pour tenter de convaincre son actionnaire d'aligner une nouvelle fois l'argent.
Le 10 juillet au soir, l'information se propage. Le FCSM s'apprête à être relégué dès le lendemain, après son passage en appel devant la DNCG. La nouvelle tombe à 15h15, le 11 juillet 2023. La stupeur est totale. Sochaux est officiellement rétrogradé en National 1. Le risque de dépôt de bilan n'est pas écarté. Dans ce cas, le club pourrait sombrer encore plus bas, en National 3.